Le meurtre spectaculaire d’un journaliste frappe les esprits au moins une fois l’an dans les métropoles congolaises. La dernière victime en date est Bruno Koko Chirambiza, 24 ans, speaker d’une radio de la ville de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, dans l’est du pays. Il a été « poignardé par des inconnus » dans la nuit du samedi 22 août 2009.
Cette ville de Bukavu est particulièrement meurtrière pour les journalistes. Didace Namujimbo et Serge Maheshe, jeunes journalistes de Radio Okapi, y ont été abattus à coups de pistolet, respectivement en novembre 2008 et en juin 2007.
À Kinshasa, dans la nuit du jeudi 3 novembre 2005, le journaliste Franck Ngycke (grand reporter du journal La Référence Plus) et Hélène, son épouse, étaient froidement abattus à coups de balles par des inconnus devant leur résidence.
À cette chronique nécrologique pourraient s’ajouter des voies de fait et des bastonnades de journalistes jugés impertinents, faits somme toute banals dans ce milieu délétère.
Dans une lettre ouverte datée du 23 octobre 2007 adressée à M. Antoine Gizenga, ancien Premier ministre de la RDC, l’ONG congolaise Journaliste en danger (JED) dont l’activité de protection des journalistes couvre 8 pays de l’Afrique centrale, s’insurge contre le tabassage du journaliste Heustache Namunanika et de son cameraman Didier Lofumbwa de la chaîne de télévision privée Horizon 33, qui, ayant diffusé un élément contradictoire juste après avoir passé une interview de M. Sylvain Ngabu, à l’époque ministre de l’Enseignement supérieur, sont sommés de se présenter dans le bureau du ministre.
Face à lui, ces journalistes ont campé sur leur position d’indépendance journalistique. Et ce qui devait arriver arriva : « Furieux, le ministre d’Etat a fait monter dans son bureau les policiers commis à sa garde et leur a ordonné de « corriger » les deux journalistes. Devant le ministre d’Etat assis sur son fauteuil, les deux journalistes ont été copieusement battus avant d’être jetés, comme des malfrats, hors des installations » du ministère de l’Enseignement supérieur.
Telle est la malfaisance routinière à laquelle sont passibles des gens exerçant le métier suicidaire de journaliste en RDC. Selon le classement mondial annuel 2008 de Reporters Sans Frontières pour la liberté de presse, celle-ci est en recul en RDC. Le pays y occupe la 148e place, derrière tous ses voisins, y compris le Soudan (135e place) malgré le terrible conflit du Darfour.
Et les choses ne vont certainement pas s’améliorer pour la RDC avec les décrets liberticides successifs de Lambert Mende, ministre congolais de la Communication et des Médias, de coupure du signal FM de Radio France Internationale (RFI), d’abord dans l’est du Congo au mois de juin, puis sur toute l’étendue du pays le 24 juillet 2009.
Pour Mende, Ghislaine Dupont, l’ancienne correspondante de RFI interdite de séjour au pays, serait la grande coupable de cette coupure arbitraire et liberticide du signal, comme il l’a confié à Radio Okapi. « Nous avons coupé. Il appartient à RFI de savoir ce qu’elle doit faire pour que le signal soit remis, parce que nous avons des griefs que nous avons articulés contre RFI, contre cette manière qu’avait la préposée de RFI à démobiliser nos populations qui doivent être solidaires des forces armées en campagne contre les terroristes rwandais à l’Est ». Autrement dit : avant le rétablissement de son signal, RFI devra préalablement licencier Ghislaine Dupont et se muer en une chambre d’écho de la propagande du gouvernement de Kinshasa.
Pour ceux d’entre nous qui ont vécu sous Mobutu, la série des 5 vidéoclips disponibles sur le site d’hébergement de vidéos YouTube du point de presse du mardi 28 juillet 2009 de M. Mende réfutant en bloc l’accusation faite par les ONG internationales de défense des droits de l’homme de « dérive autoritaire du régime » congolais et justifiant ses décrets liberticides contre RFI se visionnent comme des bandes annonces d’un film dont l’intrigue se situerait dans les années cauchemardesques de la dictature zaïroise.
Les mêmes gestes, les mêmes sourires, les mêmes airs de suffisance, la même arrogance, la même langue de bois, le même raffinement et les mêmes formules recherchées de celui qui a la maîtrise parfaite de la langue française, parce qu’il a fait une grande école, mais qui choisit l’obscurantisme pour faire avancer sa carrière.
Mende est, de fait, un auteur sachant bien manier la langue de Molière. Son livre publié en 2008 par L’Harmattan s’intitule Dans l’œil du cyclone et coûte la modique somme de 26,5 €. Au risque de tomber dans le même travers liberticide, je suggérerais aux bibliophiles francophones de boycotter cet écrivain surnommé, dès le mois de mai dernier par le journaliste Botwamungu Kaloma, « ministre des ukases inutiles » pour son autre décret d’interdiction de diffusion sur les antennes nationales des chansons dédiées « aux autorités et personnes disposant des mandats publics ». Une absurdité car les chanteurs congolais se sont toujours définis comme des griots.
Le cinquième vidéoclip illustre le mieux notre propos. Expliquant la coupure du signal FM de RFI, Mende y redéfinit l’information. Elle serait comparable à n’importe quelle marchandise ou à n’importe quel article de consommation. Et, selon lui, la dissémination de l’information sur le territoire d’un pays se réduit à une simple question de contrat de partenariat entre le ministère de la Communication et des Médias et une station de radio. Et tombe l’oukase : « En date du 24 juillet 2009, le ministère de la Communication et des Médias a été amené, de guerre lasse et le cœur lourd, à prendre la mesure de résilier le contrat qui le liait à Radio France Internationale pour la diffusion des programmes de cette chaîne publique française en République Démocratique du Congo ».
Il est aussi intéressant de relever que Mende justifie la coupure du signal de RFI par une loi passée sous la dictature de Mobutu : la « Loi 96/022 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la presse ». Ironiquement, Mobutu, lui, recourut à plusieurs reprises à une loi coloniale de relégation ou de l’exil intérieur pour bannir des opposants à son régime dans leurs villages d’origine. On boucle ainsi la boucle du cercle vicieux comme mode de fonctionnement au Congo. Les régimes passent, mais les pratiques restent les mêmes.
Cependant, en signant le décret liberticide de coupure du signal de RFI, Mende ne s’imaginait sans doute pas qu’il allait être confronté à une vague de désobéissance et de résistance ouvertes qui risquent non seulement de ternir son image politique, mais aussi d’entamer le peu de crédibilité dont jouit encore le Congo en matière de liberté de presse et de protection des journalistes.
Dans la province Nord-Kivu, l’épicentre des récents troubles et des déplacements de centaines de milliers de civils, trois radios locales ont continué à relayer les émissions de RFI. Selon Reporters Sans Frontières, le 12 août, les trois directeurs de ces stations de radio, « Kennedy Wema de la Radio Télé Graben, Rochereau Kambakamba de Radio Liberté et John Tchipenda de Radio Scolaire » ont été convoqués à l’antenne locale de l’Agence nationale des renseignements (ANR) où ils « ont été menacés de voir leurs radios suspendues s’ils continuaient de retransmettre les émissions de RFI ». Si deux de ces directeurs de radio ont baissé la tête, Kennedy Wema a, lui, tenu tête aux barbouzes congolaises de l’ANR et « confirmé sa ferme intention de continuer à diffuser ces émissions tant qu’aucun document officiel ne lui sera adressé ».
Doit-on diaboliser Mende et le désigner comme apprenti-sorcier opérant seul ? Les propos de Benoît van Der Meerscher de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), qui a rendu public le rapport sur la dérive autoritaire au Congo, ne laissent aucun doute quant aux responsables du genre de comportement anti-citoyen du ministre Mende. « Nous avons, dit-il, le sentiment d’assister à une multiplication des dérives de la part du pouvoir… qui témoignent du caractère systématique d’une politique qui semble pensée au plus haut niveau ». On ne peut perdre de vue que le ministre de la Communication opère au sein d’un gouvernement, d’un système et d’un régime.