En République Démocratique du Congo, Joseph Kabila entend reprendre le cycle électoral, laissé en déshérence. Il s’agirait, dans son esprit, de commencer par les élections locales et municipales, de poursuivre par les provinciales avant de terminer par la présidentielle. Une nouvelle manœuvre, selon l’opposition, pour lui permettre de se maintenir au pouvoir au mépris de la Constitution. En attendant, le « dialogue » que souhaite convoquer le chef de l’Etat congolais, sous la férule d’Edem Kodjo, est dans l’impasse.
La rencontre, annoncée depuis quelques jours, à Bruxelles entre Etienne Tshisekedi et Edem Kodjo, le facilitateur de l’Union Africaine, risque de tourner à un dialogue… de sourds. Le Sphinx de Limete est désormais l’une des figures de proue du large « Rassemblement » de l’opposition RD congolaise, qui n’entend absolument pas participer au « Kabilogue » (nom donné au dialogue national que souhaite organiser le Président Kabila).
Quant à Edem Kodjo, il est, pour la plupart des observateurs, déjà « usé », voire « grillé ». « Tout le monde sait qu’il n’est pas neutre dans cette histoire et qu’il a parti pris depuis le départ », tranche un membre des mouvements citoyens. L’ex-Premier ministre togolais est en effet soupçonné de n’avoir pour objectif que de cautionner « un processus électoral hors délai constitutionnel, tel que souhaité par Joseph Kabila ». En ce sens, il n’est pas en phase avec la résolution 2277 de l’ONU, dont les termes sont particulièrement clairs : l’élection présidentielle en RDC doit se tenir dans le délai constitutionnel, soit le 27 novembre prochain.
Du coup, plusieurs des partenaires du Congo-Kinshasa ne verraient pas d’un mauvais œil le fait que l’ancien Premier ministre togolais rende son tablier. « Le paravent d’Edem Kodjo consiste à s’entourer d’anciens chefs d’Etat qui sont supposés représenter la CIRGL et la SADC », décrypte un analyste politique. « Il entend ainsi élargir le panel de facilitation en présentant cette décision comme une concession faite à l’opposition. Or, cette dernière a exigé l’élargissement de la facilitation (à l’ONU, l’UA, l’UE et l’OIF) pour ramener Edem Kodjo dans la logique de la résolution 2277, et non pour le plaisir d’y retrouver de vieilles figures politiques africaines, démonétisées et décrédibilisés pour la plupart », poursuit-il. « Pour l’opposition cette concession de façade est une provocation », conclut-il. « Nous n’accepterons pas de voir assassinée la Constitution de la RDC », a lancé Joseph Olenghankoy, Président des Fonus, à Edem Kodjo, en guise d’avertissement.
« Il faut maintenir la pression sur l’élection dont le calendrier est fixé par la Constitution, autrement dit la présidentielle », insiste un autre opposant. Mais tout laisse à penser que Joseph Kabila, à l’inverse, s’apprête à annoncer l’ouverture d’un cycle électoral complet afin de montrer qu’il ne reste pas inactif et gagner ainsi encore un peu de temps. Mais, au final, le résultat reste le même : le glissement du calendrier et la violation in fine de la Constitution.
Plusieurs éléments accréditent un tel scénario :
les termes de référence de la mission d’Edem Kodjo, signés par Mme Dlamini-Zuma, ont été convenus directement avec Joseph Kabila. Or, d’après certaines indiscrétions, ils ne font aucunement mention du respect de la Constitution et des délais qui y sont prescrits ;
la saisine de la Cour Constitutionnelle par la Majorité et l’arrêt qu’elle a pris confirme que le délai n’est plus une donnée qui oblige Joseph Kabila à tenir la présidentielle dans les cinq années de son mandat. « Le Président entend se couvrir derrière ce semblant de constitutionnalité pour instaurer un processus électoral à rallonge », décrypte un Député avant de poursuivre : « selon toute probabilité, cette rallonge sera mise à profit pour l’organisation d’un référendum lui permettant d’aller vers des mandats illimités » ;
pour d’autres encore, comme ce spécialiste de droit électoral, « Kabila a pris le contrôle de la CENI ». Il est vrai que les attributions de cette institution sont très claires. Elle seule peut publier le calendrier électoral. Or, la CENI rejette cette responsabilité sur le dialogue. Cette stratégie vise à l’exonérer de fait de sa mission au profit d’une structure extra-constitutionnelle. « Tous ces éléments annoncent un blocage imminent », pressent un observateur. Aujourd’hui, la ligne d’horizon est fixée au 19 septembre 2016. A cette date, la CENI doit convoquer le corps électoral en vue de la tenue de l’élection présidentielle. Or Joseph Kabila veut absolument que « son » dialogue se tienne avant cette date. Pour quelles raisons ? Et surtout, avec qui ? Autant d’interrogations auxquelles il est difficile aujourd’hui d’apporter une réponse…
Dans ce contexte, il n’est nullement question de transition, comme le craignent certains. Ni au sein de la Majorité, pas plus que dans les rangs de l’Opposition. « Cette controverse sur une supposée transition n’a aucune raison d’être », s’insurge un membre de la Dynamique, avant de poursuivre : »ni nous, ni le G7, ni l’AR, n’avons jamais évoqué une quelconque transition extra-constitutionnelle. Cette idée a germé un temps au sein de l’UDPS, mais elle n’est plus du tout d’actualité aujourd’hui. » En effet, depuis le Conclave de Bruxelles, le parti d’Etienne Tshisekedi n’en démord pas : « il faut tout faire pour que l’élection ait lieu dans le respect de la Constitution », assure un de ses dirigeants.
Toutefois, comme l’affirme un autre opposant, « l’hypothèse de la non tenue de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel doit être envisagée, même s’il s’agit pour nous d’une hypothèse d’école. C’est comme pour une entreprise. Il faut établir un business plan sur la base d’un worst case scenario, le scénario du pire, celui qu’on ne souhaite pas voir se réaliser, qu’il faut tout faire pour éviter, mais qu’on doit néanmoins envisager. Dans le cas contraire, ce serait faire l’autruche. »
La question d’une éventuelle transition est certes évoquée ça et là. Mais pour l’ensemble de l’opposition, l’UDPS y compris, l’objectif principal, sinon unique, est désormais le respect de la Constitution. Autrement dit la tenue d’une élection présidentielle au terme de laquelle le Président Kabila quitterait ses fonctions au plus tard le 19 décembre 2016 à 23h59. Pour ce faire, elle entend bien coupler à la mobilisation nationale et à celle de la diaspora, des pressions internationales. Histoire, justement, d’éviter le worst case scenario tant redouté et échapper ainsi au chaos annoncé…
Post scriptum : ce vendredi 17 juin, peu après 18h00, heure locale, Edem Kodjo a été reçu par Etienne Tshisekedi et le « comité des sages » du « Rassemblement », au grand complet. Durant la rencontre, afin sans doute de couper court à toute rumeur, le fils du Sphinx, Felix Tshisekedi, s’est fendu d’un tweet sous forme de mise en garde : « en discussion avec le Facilitateur Edem Kodjo et le Conseil des sages du Rassemblement. Rassurez-vous, vos intérêts sont sauvegardés ». A bon entendeur…