Après avoir subi des pressions pour faire condamner Katumbi, la juge Chantal Ramazsani Wazuri craint désormais pour sa famille ! Dans une lettre adressée au ministre congolais de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, la juge Chantal Ramazani Wazuri, présidente du Tribunal de paix de Kamalondo, à Lubumbashi, déclare avoir été contrainte de signer l’acte de condamnation de l’opposant Moïse Katumbi dans une obscure affaire immobilière vieille de plusieurs décennies, afin d’obtenir son inéligibilité. L’Agence Nationale de Renseignements et son Administrateur général, Kalev Mutond, un proche collaborateur du Président Joseph Kabila, sont pointés du doigt.
Le propos est on ne peut plus clair. « J’ai été obligée par Monsieur Kalev Mutond, Administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR), la Présidence de la République, le premier Président de la Cour d’appel de Lubumbashi (mon chef hiérarchique et inspecteur de l’ANR, accompagné de douze éléments de la Garde républicaine) et le Procureur général près la Cour d’appel de Lubumbashi, à condamner Monsieur Moïse Katumbi Chapwe », écrit Chantale Ramazani dans un courrier en date du 25 juillet. La magistrate poursuit : « cette condamnation avait notamment pour objectif d’obtenir son inéligibilité en cas de présentation de sa candidature à la Présidence de la République ». Depuis, la juge qui, selon certaines sources, aurait fui le pays après avoir été menacée « d’arrestation immédiate », craindrait « des représailles sur les membres de sa famille » restés au pays.
Panique à Kinshasa
De façon surprenante pour un service de sécurité, l’ANR a tenté ce mercredi 27 juillet de répliquer par voie de communiqué. Une tentative inhabituelle jugée « maladroite » par nombre d’observateurs. « Le fait que l’ANR, réputée pour son mutisme, éprouve le besoin de communiquer publiquement montre qu’elle a été piquée au vif », décrypte un fin connaisseur de l’appareil sécuritaire congolais. « La crainte est grande aujourd’hui, tant du côté administratif que politique, de voir la juge Ramazani se répandre encore et produire des preuves matérielles à l’appui de ses allégations. De là à parler de panique, il n’y a qu’un pas », conclut-il, manifestement soucieux de la tournure prise par les événements.
En attendant, à Kinshasa, c’est le branle-bas-de-combat, au lendemain du retour « triomphal » d’Etienne Tshisekedi en RDC – un million de personnes seraient venues l’accueillir, formant une véritable marée humaine sur le boulevard Lumumba. Le chef de l’Etat, Joseph Kabila, a convoqué au pied levé Alexis Thambwe Mwamba, le ministre de la Justice, parti « se réfugier à Kindu dans le Maniema (lire à ce sujet notre article : « RDC : Thambwe fuit Kinshasa après avoir menacé Katumbi »), Kalev Mutond, le patron de l’ANR, ainsi que Flory Kabange Numbi, le Procureur général de la République, pour une réunion de crise destinée à « élaborer une stratégie concertée de réponse à la lettre de la juge Ramazani et prévenir ainsi tout dégât dans l’opinion ».
Dans le même temps, le remplacement de la magistrate a été opéré avec la plus grande diligence. Suite à une réunion entre les représentants du Parquet et la magistrature du Siège à Lubumbashi, c’est le juge Betukumesu Hardy, celui-là même qui avait confirmé la décision de condamnation de Moïse Katumbi après avoir lui aussi subi des pressions (juste avant de prendre sa décision, il avait été convoqué séance tenante par le premier Président près la Cour d’appel de Lubumbashi). Une promotion qui s’apparenterait pour lui à une récompense ? Certains n’hésitent pas à en faire l’hypothèse.
Le mensonge judiciaire n’a pas sa place dans un Etat de droit
D’autres spéculent sur les motivations de la juge Ramazani à dénoncer les pressions dont elle dit avoir été victime. Quelques-uns évoquent des raisons financières en guise d’explication. Une justification peu plausible pour ce responsable d’une ONG de défense des droits de l’Homme en RDC. « Si cette magistrate avait été corrompue, elle l’aurait été par ceux qui possèdent l’argent, le pouvoir et qui peuvent assurer sa sécurité, autrement dit par le régime en place. En l’occurrence, c’est tout le contraire. Elle se met en situation d’insécurité physique et professionnelle et elle expose sa famille. En dénonçant de telles pressions, elle cherche à l’évidence à soulager sa conscience et à défendre des principes », fait-il observer.
Des propos corroborés par ceux de cet avocat, spécialiste des libertés publiques. « Cette juge était parée de toutes les vertus hier par le Pouvoir lorsqu’il était question de faire condamner Moïse Katumbi. Aujourd’hui qu’elle dénonce les pressions qu’elle a subies, elle est vouée aux gémonies par ceux-là même qui l’ont portés aux nues. Où est donc la cohérence chez nos autorités ? », s’interroge-il. « Son geste est digne de respect car il s’agit de défendre des valeurs. Le mensonge judiciaire n’a pas sa place dans un Etat de droit. Cette juge mérite toute notre considération pour cet acte de bravoure car, ce faisant, elle lutte contre la corruption des agents publics, défend le principe d’insubordination du pouvoir judiciaire à l’égard de toutes pressions et pourfend l’instrumentalisation de la Justice », tranche-t-il.
Dans un communiqué de l’Institut de Recherche en droits humains de Lubumbashi rendu public aujourd’hui, Me Tshiswaka Masoka Hubert dénonce une « instrumentalisation de la Justice (qui) est extrêmement grave et lourde de conséquence » au Congo-Kinshasa. Un avis partagé par une majorité d’observateurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.