Dans une tribune intitulée « Au Kivu, on viole et massacre dans le silence », publiée dans Le Monde daté de mercredi, une vingtaine de personnalités, dont Mohamed Ali, Jacques Chirac, Denis Mukwege et Abdou Diouf, enjoint l’ONU d’élargir les prérogatives de la Monusco (Mission de l’ONU en RDC) en donnant aux casques bleus l’autorisation d’intervenir directement dans le conflit au Kivu, où au Nord les mutins du Mouvement du 23 mars (M23) s’opposent depuis mai à l’armée régulière congolaise et massacrent au Sud la population et violent les femmes. Contactés par Afrik.com, les spécialistes africains de la République démocratique du Congo jugent cette pétition illusoire et, selon eux, il s’agit d’une mascarade visant à protéger le président Joseph Kabila qui ne bénéficiera pas à la population.
Interrogée ce mercredi par Afrik.com, une journaliste basée au Nord-Kivu nous a confirmé les massacres et viols perpétrés la semaine dernière au Sud-Kivu par « des militaires incontrôlés ». « Ils ont pillés des camps des déplacés. Dans le village de Mugunga, des militaires incontrôlés ont par ailleurs violé six femmes. A Minova, d’autres femmes ont été violées », nous confie-t-elle. Même si la tribune, publiée dans Le Monde datée de mercredi, n’a pas fait écho dans cette région du Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC), l’ONU est la cible de toutes les critiques la-bas aussi : « Les casques bleus sont présents mais ils n’interviennent pas. Ils font des patrouilles dans la ville, là où il y a de la lumière c’est-à-dire là où il ne se passe rien. Ils ont refusé de secourir les habitants du Kivu massacrés et les femmes violées, ils disent que ce n’est pas leur mandat d’intervenir (dans un conflit, ndlr), (et qu’) ils ne peuvent que maintenir la paix », ajoute-t-elle.
D’où la tribune d’une vingtaine de personnalités, dont l’ancien boxeur américain Mohamed Ali, l’ex-président français Jacques Chirac, le gynécologue congolais et prix des droits de l’Homme des Nations Unies Denis Mukwege et l’ancien chef d’Etat du Sénégal Abdou Diouf. Dans ce texte, intitulé « Au Kivu, on viole et massacre dans le silence » et daté de ce mercredi, les signataires soulignent « la faute d’application réelle (du) mandat (des Nations unies) pour intervenir », signalant que « L’horreur, ces derniers jours, a franchi un nouveau degré. Des escadrons, dont le groupe baptisé M23, font des incursions à Goma et sèment la terreur […] Ils (les rebelles) ravagent et ils tuent. Et ils violent. Ils violent par centaines de milliers les femmes et les enfants pour terroriser la population. Ils violent pour détruire. Ils violent pour arracher à jamais les identités. Et les enfants qu’ils n’ont pas massacrés, ils les enrôlent de force ». Avant d’enjoindre l’ONU d’élargir les prérogatives des casques bleus, au nombre de 17 000 en République démocratique du Congo : « Un drame que la communauté internationale pourrait arrêter. A l’instant. Il lui suffirait de donner l’ordre aux dix-sept mille soldats de faire leur métier et de remplir leur mandat. Leur métier de soldat. Et leur mission de garantir la paix et la dignité de l’espèce humaine ». Contactés par Afrik.com, les spécialistes africains de la RDC jugent cette pétition illusoire et, selon eux, il s’agit d’une mascarade visant à protéger le président Joseph Kabila et qui ne bénéficiera pas à la population.
« C’est l’arbre qui cache la forêt »
Depuis plus de 10 ans, le Nord-Kivu est en proie à des conflits. Ces affrontements sont souvent liés à des questions de partage des ressources minières rares qu’abritent cette région du Nord-Est de la RDC, tels que : la cassitérite, le coltan, voire le pétrole. L’ONU a, d’ailleurs, envoyé en 1999 la plus grande force de paix déployée à l’étranger à raison de 17 000 mille hommes. Ce qui n’a pas réglé le conflit car les casques bleus ne peuvent pas employer la force. D’où les réticences des spécialistes africains de la RDC qui trouvent cette tribune « illusoire » et soulignent qu’il s’agit de « l’arbre qui cache la forêt ».
« C’est l’arbre qui cache la forêt. Ça fait combien de temps que les Congolais dénoncent l’élection présidentielle entachée de fraudes de 2011 remportée officiellement par Joseph Kabila or c’est Etienne Tshisekedi qui devait être élu, et la communauté internationale ne monte pas au créneau pour dénoncer les infractions aux droits de l’homme résultantes de ce scrutin », déclare à Afrik.com Jean-Louis Tshimbalanga, président de l’association Convergence pour l’émergence du Congo. Et de préciser. « Je ne dis pas que ça (la tribune publiée dans Le Monde) ne sert à rien, toute démarche dénonçant la crise en RDC est la bienvenue, mais ce n’est pas le peuple qu’on veut sauver mais Kabila ». Avant de conclure : « Est-ce à l’avantage des Congolais ? On veut donner l’impression qu’on se soucie du sort de ces populations ; si c’était vraiment une réelle volonté pourquoi on ne médiatise pas ce conflit comme on n’a pu le faire pour les manifestations contre la Constitution en Egypte ou pour la Syrie…».
Même son de cloche de la part de Michel Galy, politologue et sociologue. « Je crains que ce soit une nouvelle version de la charité internationale plutôt qu’une analyse politique. Il y a peu d’intellectuels, c’est surtout du people et politique. Pourquoi ils ne s’indignent pas du devenir de la démocratie suite à l’élection présidentielle en République démocratique du Congo de 2011. Cette tribune laisse entendre que la communauté internationale saurait régler un conflit en Afrique, ce qui est inexacte », constate le spécialiste de la RDC. « C’est illusoire de tout mettre sur le dos des forces internationales, les casques bleus. Le M23 est soutenu par le Rwanda. Cette tribune est remplie de bonnes intentions, de toute incompétence : ces personnalités veulent sortir les casques bleus de leur rôle. Or, ils n’ont pas à mener des coups d’Etat comme en Côte d’Ivoire ni d’imposer une puissance coloniale », conclut-il.
Selon nos informations, la Monusco (Mission de l’ONU en RDC), dotée d’un budget de 1,5 milliards de dollars par an, est mal vue et même accusée d’être de mèche avec les mutins du M23. Ces derniers, toujours repliés à 30 km de Goma, la capitale du Nord-Kivu, ont cessé de négocier avec les autorités congolaises en vue d’un accord de paix. La reprise des tractions, qui devaient se poursuivre jusqu’au 31 décembre, est prévue pour le mois de janvier 2013. Pendant ce temps, massacres et viols continuent au Kivu. Au total, ce conflit aurait causé la mort des millions de personnes et fait plus de 500.000 déplacés. Tous les espoirs sont désormais tournés vers le Conseil de sécurité de l’ONU.