Élections en RDC : l’association Badilika Droits humains/ASBL fait son dépouillement


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Les élections du 20 décembre continuent de nourrir l’actualité en RDC. Les organisations de la société civile se prononcent sur le déroulé du vote le 20 décembre et après. Parmi elles, il y a l’Association congolaise pour la défense des droits humains (Badilika Droits humains/ASBL) qui s’est penchée sur le déroulement du scrutin dans le Nord-Kivu.

Le déroulement des élections du 20 décembre 2023 dans la province du Nord-Kivu a été suivi de près par l’association Badilika Droits humains/ASBL. Elle a observé et relevé de nombreuses irrégularités.

L’association déplore l’exclusion des populations des territoires de Rutshuru et Masisi du vote

Quelques semaines avant la tenue des élections, le Président Félix Tshisekedi en personne a annoncé que les populations des territoires de Rutshuru et du Masisi ne pourront pas participer au vote, du fait de la situation sécuritaire tendue. Effectivement, les populations de ces deux territoires n’ont pas pu accomplir leur devoir civique à la date du 20 décembre 2023. Chose qui n’est pas passée inaperçue aux yeux des responsables de Badilika Droits humains/ASBL.

Dans le communiqué de presse qu’il a publié, ce vendredi, Patrick Kambale Nguka, secrétaire exécutif du bureau de représentation/Goma, a attiré l’attention sur le fait considéré comme une violation des droits de ces Congolais. « Les populations des territoires de Rutshuru et Masisi au Nord-Kivu ont droit au vote, et l’État congolais est dans l’obligation de faire jouir cette population de son droit », lit-on dans le communiqué. Par conséquent, pour les responsables de l’association, priver un citoyen de son droit de vote citoyen constitue « une violation grave » de ces droits. Même s’ils reconnaissent que cette situation n’est que la résultante des affrontements entre les FARDC et le M23 dans ces deux régions.

Une série d’irrégularités lors des élections

Pour les responsables de Badilika Droits humains/ASBL, le vote dans la province du Nord-Kivu a été marqué par un certain nombre d’irrégularités. Il y a par exemple le retard dans l’opérationnalisation de plusieurs bureaux de vote où on pouvait « voir vers 10 heures des agents de la CENI [affichant] les listes électorales » ou encore que les matériels de vote n’étaient pas prêts. À cela s’ajoutent les problèmes liés aux machines à voter dont certaines étaient tombées en panne, dès le lancement du vote, l’indisponibilité des fiches de vote par dérogation au début du vote. Le problème « de panne des machines a créé au sein de la population un sentiment de désintéressement en exerçant leur droit dans ces conditions jugées exclusives et de non-crédibilité de vote », lit-on dans le communiqué.

Par ailleurs, s’il y a un problème observé dans tous les centres de vote, c’est le non-affichage des listes électorales dans le délai. Ce qui eut pour conséquence le faible taux de participation des personnes à mobilité réduite comme les handicapés ou les personnes du troisième âge. Les « personnes de petite taille » et les femmes enceintes ont également été frappées par ce problème, se voyant « exclues automatiquement du vote ».

Des bureaux de vote restés ouverts jusqu’à des heures tardives

Les retards ou les difficultés liées au mauvais fonctionnement des machines à voter et d’autres dysfonctionnements ont entraîné la poursuite du vote jusqu’à des heures tardives. Des bureaux ont fermé vers 21 heures au lieu des 17 heures réglementaires, avec des électeurs déterminés à s’acquitter de leur devoir civique. En l’absence d’électricité dans certains bureaux de vote, les lampes des téléphones portables ont servi d’éclairage pour les opérations de dépouillements.

Alors que ces dépouillements devaient se dérouler devant les représentants de partis politiques ou de candidats, certains parmi ces derniers ont été empêchés par les forces de sécurité d’y prendre part dans des centres de vote. Le même sort a été réservé à des observateurs. Ailleurs, des représentants de partis ou de candidats ou des observateurs « n’ont pas reçu les procès-verbaux de résultats » ou ont été tout simplement empêchés d’accéder aux bureaux de vote à l’heure du lancement. Toutes choses ayant entraîné « des frustrations et qui peuvent conduire à des contestations de résultats, voire de soulèvements populaires », préviennent les responsables de Badilika.

Dans la ville de Goma, certains bureaux ont dû rouvrir leurs portes dans la journée du jeudi 21 décembre pour la poursuite des opérations de vote. Les responsables de l’association relèvent également une incompétence de certains agents déployés sur le terrain par la CENI.

L’attitude menaçante des forces de l’ordre

Pour les responsables de Badilika, l’attitude des forces de l’ordre dans certains bureaux de vote était de nature à intimider les électeurs. « Malgré quelques dérapages de certains officiers, le vote s’est déroulé sans incident grave », indique le communiqué. « Mais, regrettent les responsables de Badilika, il faut signaler la présence d’armes létales dans certains centres de vote portées le jour du scrutin. Certains agents de sécurité intimidaient psychologiquement les électeurs, voire les menaçaient physiquement ».

Quelques recommandations

Après avoir relevé les irrégularités, le communiqué a formulé quelques recommandations. Des recommandations pour l’avenir. À l’attention du gouvernement, l’association recommande :

  • d’appuyer à temps le déploiement des kits électoraux afin d’atteindre tous les centres de vote pour permettre à tous les citoyens d’exercer leur droit de vote ;
  • de nommer, après consensus des acteurs, les animateurs de la CENI pour la crédibilité, l’impartialité et l’indépendance afin de réduire les moindres présomptions de non-crédibilité des élections.

Recommandations de la CENI

En ce qui concerne la CENI, les recommandations visent à :

  • déployer les kits de vote à temps dans les différents centres de vote ;
  • améliorer la qualité de carte d’électeur et gérer à temps la question de duplicatas afin de permettre à une grande partie de la population de prendre part au vote ;
  • prendre des dispositions rassurantes de sécurité non seulement dans le déploiement des machines à voter, mais également dans les transferts des résultats vers les bureaux de compilation ;
  • intégrer des programmes d’éducation électorale pour les personnes à mobilité réduite, les malvoyants, les sourds et les personnes âgées pour des élections purement inclusives et non discriminatoires ;
  • afficher les listes électorales dans le délai prévu afin de permettre aux électeurs de localiser leurs bureaux ;
  • se rassurer de la conformité entre la liste électorale et la liste d’émargement ;
  • recruter un personnel compétent et les outiller suffisamment sur leur responsabilité.

Quant aux partis politiques, ils doivent renforcer l’éducation politique, citoyenne, voire électorale de leurs partisans et sur la non-violence afin de réduire les recours à la violence et à la haine avant, pendant et après les élections. De même, ils doivent éviter de se substituer à l’organe de proclamation des résultats qui est la CENI et privilégier les voies de recours légales en cas de contentieux.

Enfin, trois recommandations visent les organisations de la société civile. Il s’agit de :

  • renforcer l’éducation aux droits de l’homme en impliquant les personnes vulnérables afin d’exercer leurs droits civiques et politiques ;
  • renfoncer ou développer des outils de surveillance électorale pour un bon contrôle du processus ;
  • militer pour la participation des personnes malvoyantes et sourdes dans le processus en intégrant l’écriture braille aux prochaines élections.
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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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