Les élections présidentielles du 30 décembre dernier en République démocratique du Congo (RDC) ont donné à Martin Fayulu Madidi une visibilité accrue au plan national et même international. Une visibilité qu’il n’avait jamais réussi à obtenir malgré sa longévité politique. Mais malheureusement il est en train de s’engager dans une démarche périlleuse et court le risque de voir s’estomper cette visibilité.
Dans son premier meeting post-électoral, qu’il a tenu le samedi 2 février à Kinshasa, Monsieur Fayulu a appelé ses partisans à la désobéissance civile : « organisez-vous dans des quartiers, districts, provinces pour résister », a-t-il lancé. Et ce, malgré le fait que la plus haute Cour du pays, compétente en la matière, a tranché définitivement en faveur de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.
En mauvais perdant, le candidat malheureux à la présidentielle, qui était très proche du but, refuse de s’incliner et d’accepter le verdict des urnes. Il continue de se battre avec toute l’énergie du désespoir pour une cause perdue d’avance.
Il faut dire que cette Cour constitutionnelle a été mise en place pour, entre autres, entendre les contestations post-électorales susceptibles de survenir à l’issue des élections. Et, tous les candidats sont invités à recourir uniquement à des moyens légaux et aux institutions nationales appropriées pour statuer sur les différends électoraux.
En continuant d’ignorer la décision irrévocable de la Cour constitutionnelle et par là son autorité, Monsieur Fayulu fait naître des doutes quant à sa volonté de contribuer au renforcement des institutions démocratiques en RDC, à la consolidation de l’État de droit et à la stabilité essentielle pour assurer la reconstruction de ce pays qui a tant souffert à la fois de la dictature et de la mauvaise gouvernance, avec leurs corollaires de violations graves et systématiques des droits de la personne.
Les acteurs politiques congolais devraient faire preuve de beaucoup de prudence et de responsabilité dans leurs propos, surtout lorsqu’ils s’adressent au public, en pesant le poids et les nuances de chaque mot qu’ils utilisent. Surtout quand on sait ce qui s’est dernièrement passé à Kikwit après la publication des résultats provisoires, il y a lieu de craindre que l’appel à la désobéissance civile lancé par Monsieur Fayulu puisse mener au dérapage et inévitablement à la violence à caractère ethnique, dont il sera seul responsable de conséquences éventuelles qui pourraient en découler.
Il est temps pour Bemba et Katumbi de reprendre la main
Pour dire les choses franchement, Monsieur Fayulu doit son ascension fulgurante sur la scène nationale congolaise, principalement à Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, dans une moindre mesure à Adolphe Muzito et Freddy Matungulu, mais également à Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, qui l’on adoubé à Genève.
N’eût été la rencontre, à Genève, de ces sept personnages politiques qui avaient convenu de conclure une grande alliance stratégique et s’étaient accordés pour présenter un candidat unique, dans le cadre de l’élection présidentielle du 30 décembre, afin de maximiser les chances de battre le dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, Monsieur Fayulu serait un candidat comme les dix-huit autres qui n’avaient même pas fait le déplacement à l’intérieur du pays pour battre campagne pour leur élection.
C’est donc grâce à cette alliance de circonstance, qui transcendait les clivages idéologiques et les rivalités personnelles, pour mettre fin au régime de Joseph Kabila, que Monsieur Fayulu a pu drainer des foules dans les provinces acquises à Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, et ainsi attiré une attention médiatique croissante dont il a fait l’objet durant sa campagne. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que Monsieur Fayulu était également candidat aux Assemblées législatives nationale et provinciale de la ville de Kinshasa, parce qu’il n’avait pas beaucoup d’attentes quant à ses chances de pouvoir se faire élire au scrutin présidentiel.
Maintenant que la période électorale est derrière nous, que le nouveau Président a exprimé clairement sa volonté et son intention de travailler avec toutes les filles et tous fils du pays, il y a lieu d’espérer très vivement que Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi auront la sagesse de saisir la main qui leur est tendue.
En effet, l’essence même de la démocratie est de savoir concilier les intérêts divergents de manière à sauvegarder le mieux possible l’intérêt supérieur de l’État. Et, les politologues vous diront que la démocratie vit et se fonde sur les compromis, exigeant des concessions diverses de la part des acteurs politiques qui doivent parfois faire contre mauvaise fortune bon cœur afin de garantir le bien-être de leurs concitoyens. Il faut donc être capable d’accepter certains compromis de progrès, pour aller plus loin dans l’avenir.
On se rappellera d’ailleurs qu’en 2006, après la médiation du Comité international des sages, l’ancien vice-Président Jean-Pierre Bemba, en vrai « gentleman », avait déclaré qu’il acceptait les résultats de l’élection dans l’intérêt du maintien de la paix, et s’était engagé à mener une opposition républicaine.
En effet, saisir la main tendue par le nouveau Président ne veut pas forcément dire que la coalition « LAMUKA » devra faire partie d’un quelconque gouvernement qui sera formé dans les semaines à venir. Dans l’éventualité où le Président Tshisekedi formait une coalition gouvernementale avec le Front commun pour le Congo (FCC), si elle tient toujours, LAMUKA deviendrait de facto l’opposition officielle. Et, au regard de la loi portant sur le statut de chef de file de l’opposition politique, il appartiendra donc au leader de la formation politique membre de LAMUKA, ayant le plus de sièges à l’Assemblée nationale, de devenir le chef de file et porte-parole de l’opposition.
L’opposition parlementaire est une composante indispensable de la démocratie. Cela étant, la bonne gestion des affaires publiques n’est possible que si l’opposition politique a les moyens de contrôler librement les actions du pouvoir exécutif, de critiquer les politiques gouvernementales et les décisions des pouvoirs publics.
Nous sommes de ceux qui croient que Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi sont promis à un avenir politique brillant en RDC. Ils ont donc tout intérêt à rester présent sur la scène politique nationale, en intégrant les institutions, notamment en se portant candidats aux élections sénatoriales à venir, pour jouer pleinement un rôle essentiel, contribuer au débat politique et au processus de réforme démocratique en cours, en apportant leur contribution en tant qu’une opposition politique républicaine et responsable, pour consolider la démocratie, l’État de droit, ainsi que le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales. Dieu seul sait combien ils sont nombreux les défis à relever dans ce pays pour améliorer les conditions socio-économiques de cette population meurtrie.
Toute chose étant égale par ailleurs, l’élection présidentielle du 30 décembre dernier, en dépit de certaines insuffisances et irrégularités signalées, et surtout, l’alternance démocratique qui en est découlée, représentent un grand pas en avant et une avancée positive vers la mise en place d’une culture démocratique à consolider davantage. De toute façon, la démocratie est un modèle qui n’est jamais atteint, mais dont on doit s’en approcher. Elle nécessite donc des améliorations constantes et doit être bâtie et rebâtie tous les jours.
Par Isidore KWANDJA NGEMBO, politologue