Raymond Kalla, ancien défenseur central des Lions Indomptables du Cameroun, a réussi sa reconversion dans l’immobilier à Douala, mais aussi dans d’autres affaires. S’il était présenté comme une terreur sur le terrain, un « monstre » comme le surnommaient certains, le natif de Douala est tout le contraire dans la vie. C’est plutôt un homme sympa, humble, courtois et jovial, qui nous à grandement ouvert ses portes et son cœur, dans son bureau, à Bonamoussadi.
Entretien de notre Envoyé spécial au Cameroun,
Que devient Raymond Kalla, après une carrière footballistique très riche en termes de trophées ?
J’ai arrêté ma carrière en 2007. Après il a fallu prendre un peu de temps pour voir ce que je pouvais faire. Je travaille aujourd’hui pour mon propre compte. J’évolue dans le secteur de l’immobilier, mais je suis aussi le Team manager de l’équipe nationale U23 du Cameroun, qui est l’antichambre de l’équipe A.
Parlez-nous un peu de votre carrière en club, car vous avez beaucoup joué en Allemagne.
Comme vous le savez, j’ai joué dans quatre pays différents. J’ai joué en Grèce, après c’est l’Espagne où j’ai presque fait 5 ans. Ensuite, je suis allé en Allemagne puis en Turquie. Mais, je pense que l’Allemagne a un football vraiment à apprécier, parce que les stades ont toujours été pleins. Quand tu commences un match, tu joues à fond. C’est un pays très discipliné. J’ai passé de très bonnes années en Allemagne, avec des souvenirs qui me resteront à jamais.
Avec le Cameroun vous aviez participé à plusieurs Coupes du monde et remporté deux Coupes d’Afrique des Nations…
Je pense qu’avant d’arriver dans ces deux compétitions, notamment les CAN 2000 et 2002, on avait une très belle génération, qui avait commencé en 1998 au Burkina Faso. On avait déjà une génération qui commençait déjà à montrer de très bonnes choses avant d’aller à la Coupe du monde 1998. La CAN Ghana-Nigeria 2000 a été une belle compétition. On était sûr de nous quand on partait. On s’était dit qu’avec la génération qu’on avait et l’équipe qu’on avait, il fallait qu’on aille pour gagner. C’était la CAN la plus difficile et qu’on a gagnée face au Nigeria, à domicile (2-2, tab 4-3, ndlr). C’était quelque chose de difficile, mais on l’a fait. En 2022, c’était juste la confirmation. On était champion d’Afrique et il fallait confirmer au Mali. On voulait monter une fois de plus que l’équipe qu’on avait pouvait vaincre tout le monde. On a fini le tournoi sans encaisser le moindre but. Ce sont des choses qui resteront à jamais. On avait une équipe solide.
Qu’est-ce qui expliquait votre grande complicité avec Rigobert Song dans la charnière centrale des Lions Indomptables ?
Rigobert Song, c’est un frère. On a commencé ensemble. J’ai joué en équipe nationale, quand j’évoluais encore dans le championnat camerounais. Lui, c’est la même chose. Il jouait au Tonnerre de Yaoundé et moi j’étais au Canon. Il y avait feu Marc-Vivien Foé, qui jouait aussi au Canon. Donc, on était trois joueurs locaux sélectionnés pour disputer la Coupe du monde 1994. Comme on dit, on jouait au bled et on n’était pas pro. Mais, le niveau de notre championnat était très relevé. Il y avait au moins 30 à 35 000 spectateurs qui venaient au stade. On a commencé à dynamiser les automatismes. Moi, je connaissais les faiblesses de Rigobert Song et il connaissait aussi les miennes. Il sait comment je me plaçais sur le terrain. Avec lui, je pouvais jouer les yeux fermés. C’est pour ça que cette génération a eu une défense très solide. On savait qu’on pouvait jouer sans encaisser. On savait aussi qu’on avait des attaquants qui pouvaient marquer à tout moment. Notre rôle était donc de défendre, pour ne pas encaisser. Rigobert Song est la meilleure personne avec qui j’ai joué en défense centrale et avec qui je n’ai pas eu de difficulté. Après le football, jusqu’à présent on reste de vrais amis.
Un événement malheureux à Bamako lors de la CAN 2002, à savoir l’affaire Thomas Nkono. Semble-t-il que le Président du Mali de l’époque, Alpha Oumar Konaré, est venu s’excuser dans les vestiaires du Cameroun ?
Oui, c’est un monsieur que j’ai beaucoup apprécié par son humilité. Il est venu dans les vestiaires après cet évènement malheureux. Il faut dire que ce qui s’est passé était malheureux. Thomas Nkono était avec l’entraîneur (Otto Pfister) et notre coordinateur général. Il était juste allé voir la pelouse pour savoir quels genres de godasses il fallait que les joueurs portent, parce qu’il y a les moulées et les visées. Sincèrement, il s’est passé quelque chose de bizarre. Nous les joueurs, quand nous allons sur un terrain pour jouer, il faut qu’on regarde le gazon, pour savoir s’il est bon ou pas. C’est ce que Thomas Nkono, était allé faire.
Il y avait une présomption qu’il mettait des gris-gris sur la pelouse ?
C’est n’importe quoi, et vous le savez. Moi, je ne peux même pas penser à des choses de ce genre. Je pense que ce qu’ils ont fait, s’appelle de la provocation. Une fois dans les vestiaires, on s’est dit, avec ce qui s’est passé : « il faut qu’on les corrige ». Rapidement vous aviez vu en 45 minutes, on avait déjà marqué deux buts. Donc, nous avons joué pour Thomas Nkono. On ne peut pas faire ça à une légende, et Nkono est une légende. Il a été humilié dans un stade où il y avait plein de monde et des télévisions. Pour nous, c’était inacceptable et il fallait qu’on joue pour lui.
Après les excuses du Président Alpha Oumar Konaré, Thomas Nkono a-t-il pardonné ?
C’est un grand monsieur. Quand le Président est arrivé dans les vestiaires, on a très vite oublié cet évènement malheureux. Vous savez qu’en football, il y a trop d’émotions, trop de passions. Comme je vous l’ai dit, l’humilité d’un Président qui vient présenter des excuses, ça veut tout dire. Pour nous, ça a été effacé. Comme si rien ne s’était passé, on a continué. Thomas Nkono est un grand monsieur et quelqu’un de respectueux, mais à l’instant il était choqué. Après, on s’est présenté à la finale.
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Comment avez-vous vécu la disparition tragique de Marc-Vivien Foé ?
Je n’étais pas sur la pelouse ce jour-là, mais dans les gradins,. Parce qu’après la Coupe du monde 2002, j’avais décidé de ne plus jouer avec la sélection nationale. Quand j’ai vu mon frère Foé s’écrouler sur la pelouse, j’ai eu un choc. J’ai joué aux Léopards et j’étais très jeune quand j’ai rejoint le Canon de Yaoundé. Ne connaissant personne là-bas, il m’a accueilli à l’époque. Je mangeais chez ses parents à midi, ensuite je rentrais dans mon appartement. Ses parents m’invitaient et Foé était devenu comme un frère pour moi, puisqu’il m’a ouvert ses portes. J’étais dans les tribunes et c’était comme si on avait pris un couteau pour me poignarder, vous comprenez. Ça m’a fait tellement mal. Un instant, je me suis dit que c’est un choc, qu’il allait s’en remettre. Après, j’ai appris avec amertume qu’il est décédé. Vous savez, ça m’a fait très mal, ainsi qu’à toute l’Afrique et au peuple camerounais. La mort de Foé a été une grande perte.
Comment jugez-vous le niveau de cette 33ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations ?
On voit aujourd’hui qu’il n’y plus de petites équipes. Vous avez vu le match des Comores contre le Cameroun. Ils ont joué presque sans gardien et vous avez vu ce qui s’est passé. Aujourd’hui, il n’y a plus de petites équipes en Afrique et c’est une grande fierté. Avant, il y avait des équipes qui pouvaient dire : « je vais gagner 3 ou 4 à 0 ». Aujourd’hui, il n’y a plus ça. Cela prouve que certains pays progressent. Je pense que le niveau de cette CAN a prouvé qu’il y a des équipes qui sont en train de progresser. Dans les années à venir, il y aura beaucoup de surprises.
Y a-t-il des défenseurs qui vous ont particulièrement impressionné dans cette compétition ?
Il y en a eu beaucoup. Moi, je ne me suis pas trop focalisé sur les défenseurs. Mais, je regardais des équipes qui m’ont beaucoup impressionné, comme la Guinée Equatoriale ou le Gabon. Les Gabonais m’ont séduit de par leur jeu. Malheureusement, je ne misais pas trop sur le Nigeria. Je savais que le Nigeria pouvait quitter à tout moment la compétition. Ils ont été éliminés, mais par contre leur jeu était impressionnant. C’était une équipe qui ne devait pas sortir en huitièmes. Je pense que cette équipe du Nigeria peut faire mal dans les années à venir. Ils ont une très bonne équipe. D’autres équipes comme le Sénégal, on l’attendait. Les équipes qui nous ont déçus, c’est par exemple l’Algérie.
Quelles ont été les révélations camerounaises de cette CAN ?
Je prends un gars comme Nouhou Tolo. C’est un jeune joueur qui m’a impressionné, parce que je suis Team manager de l’équipe nationale U23. On m’envoie la vidéo du joueur, je la regarde pendant 10 minutes. Je dis à Rigobert Song qui était sélectionneur : « coach, je t’envoie une vidéo essaie de la regarder. Je pense qu’il faut qu’on l’appelle. Ce que je suis en train de voir ici, ça veut dire qu’il a quelque chose ». Après Rigobert Song me dit : « mais Kalla qui t’a envoyé cette vidéo ». Je lui ai dit : « c’est quelqu’un, mais je ne sais plus qui c’est ». Il me dit qu’il faut qu’on l’appelle. C’est comme ça qu’on a appelé Nouhou Tolo, sans savoir qu’il avait déjà une sélection avec l’équipe A du Cameroun. C’est un joueur qui m’a beaucoup impressionné par son caractère, sa vivacité et par son envie.
Saviez-vous que Nouhou Tolo avait la possibilité de jouer pour le Mali ?
Ah bon ! (il s’étonne). Je pensais qu’il était originaire du Nord du Cameroun. Ça veut dire que nous sommes bénis (il éclate de rire). C’est alors bien qu’on l’ait dans notre groupe.
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