Etat des lieux de la musique africaine, congolaise, et de sa propre carrière, Ray Lema jette son regard critique du musicien sur une société africaine où les dirigeants n’ont toujours pas compris que la musique est un art et un facteur de développement pour le continent. Interview.
C’est un « chercheur » en musiques, académicien de sons nouveaux, ancien directeur musical du Ballet National du Zaïre qui nous a ouvert ses portes. Autour de « Mizila », son premier disque en solo (entièrement instrumental), de sa carrière, des espoirs. Et de ses coups de gueule aussi. Contre les aînés. De la part d’un artiste qui se veut désormais seul sur scène et sur disque, aussi vrai qu’il s’appelle…Ray Lema ! Détendu !
Afrik : D’où vous vient toute votre inspiration ?
Ray Lema : L’inspiration d’un musicien vient d’un coté de son parcours et de l’autre de son environnement. Il serait trop long d’expliquer ici tout mon parcours. Quant à mon environnement, j’ai cette chance de pouvoir évoluer dans beaucoup de milieux. Je collabore facilement avec des Africains de différents pays et je collabore avec des musiciens issus de différents univers. Les unes sortant du classique, les autres du monde du jazz ou des musiques traditionnelles. C’est ce qui me permet d’évoluer. Mon dernier album est très important : il représente l’idéal humain de l’artiste. Il existe mille idéaux différents pour devenir musiciens. Cela va du désir de séduire sa voisine jusqu’au désir de chercher son Dieu. Personnellement, je cherche mon Dieu. Je suis religieux mais je ne suis ni catholique ni protestant. Ma religiosité se trouve dans la musique.
Afrik : Vous avez des goûts musicaux très éclectiques…
Ray Lema : C’est là qu’intervient l’idéal justement. Pour moi, Dieu, c’est le tout. Je reste toujours ouvert à tout. Les gens croient que je suis un chercheur. Mais tout ce qui m’est arrivé dans la musique, je ne l’ai pas cherché : on est toujours venu me prendre. Et ce depuis le Ballet national du Zaire.
Afrik : Parlez-nous de cette épisode de votre carrière
Ray Lema : Le Ballet National a été le grand tournant de ma vie parce qu’avant ça, je venais d’un univers musical très occidentalisé. Le Ballet National m’a permis de faire le tour de ce grand pays qu’est le Congo (RDC, ndlr), ce qui n’est pas évident pour un musicien. J’ai eu la chance d’être payé pour aller de localité en localité. Ce que j’ai découvert est tellement énorme que ça a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Un de mes rêves est d’ailleurs d’y faire voyager des artistes et de faire comme dans un tour du Congo. C’est hallucinant ce que j’y ai trouvé comme richesse culturelle ! On dit souvent que nous sommes un scandale géologique mais nous sommes également un scandale culturel ! Malheureusement, les musiciens congolais ne le savent pas et on ne leur a pas donné les moyens de le savoir.
Afrik : Qui ne le leur donne pas ?
Ray Lema : Nous, les aînés ! En parlant d’aînés, c’est avant tout de nos gouvernants dont je parle.
Afrik : Vous les artistes, ne pouvez-vous pas conscientiser ces dirigeants ?
Ray Lema : Aucun dirigeant africain n’a de rêve pour son peuple ! Le seul rêve qui leur a été inculqué est celui du pouvoir économique. Ce qui est un faux rêve. Car l’économie dominante est celle de l’Occident. Nos dirigeants ne rendent pas encore compte de ce que nous, agents culturels, pouvons apporter !
Afrik : « Mizila », le nom de votre mère, est aussi le titre de votre dernier album. Pourquoi ?
Ray Lema : Je voulais remercier cette femme qui a tout fait pour moi. Musicalement, je suis trop sophistiqué, à cause de tout ce que j’ai joué. Or, comme il s’agit de ma première expérience de piano solo, j’ai voulu avoir dans ma tête une personne simple que j’aime, qui puisse me garder dans une inspiration simple.
Afrik : Pourquoi avoir fait le choix de faire un album entièrement instrumental ?
Ray Lema : Parce qu’il est important que nous, Africains, commencions à vibrer par la seule force de la musique, sans parole. De telle sorte que chacun y apporte ses propres rêves. Quand j’écoute les messages chantés par des artistes de chez nous, il n’y a que des histoires de jaloux, de rivaux amoureux ! Que fait-on alors de tous ces enfants qui grandissent en écoutant ces paroles matin et soir ? C’est donc aussi pour sortir de ce cercle que j’ai proposé cet album instrumental.
Afrik : Pourquoi un tel album seulement maintenant ?
Ray Lema : Cela n’est qu’un début. Vu toute la presse que «Mizila » a généré, cela me donne envie de continuer sur la même lancée. Ce premier projet a été simple, mais le second sera corsé !
Afrik : Que vous reste-t-il à faire dans ce métier ?
Ray Lema : (Un rien souriant) Un compositeur classique avait dit : « Plus on grimpe sur la montagne, mieux on voit jusqu’où l’on peut aller. Et c’est effroyable ce qui reste à faire ! ».
Afrik : Les artistes africains ont pris d’assaut les grandes salles parisiennes ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?
Ray Lema : Les musiciens africains se portent bien, il y en a de plus en plus qui peuvent s’approprier le monde. Ils ne sont plus coincés dans un langage. Certains d’entre eux ont atteint un tel niveau de maîtrise, qu’ils ont acquis une dimension internationale.
Afrik : Vous avez récemment été jouer au Burundi.
Ray Lema : Oui, sur invitation du Centre culturel français. J’y ai encadré des musiciens locaux qui y tournaient en rond. Et puis toutes ces guerres nous ramènent au même problème : nous n’avons pas de rêve ! Lorsque vous interrogez tous nos politiciens sur leurs rêves ou leurs revendications, ils vous répondront : « Avoir un poste ». Et après le poste, on fait quoi ? Rien du tout.
Afrik : Les mélomanes se plaignent de ne pas vous voir à Kinshasa.
Ray Lema : Mon manager ne regarde que les invitations. Mon pays je le sens fort, je le désire, mais je ne m’appartiens pas. Je ne travaille pour aucun pays en particulier, mais pour la musique.
Afrik : La musique congolaise est en baisse…
Ray Lema : La parole du sage dit : « Il faut que la balle touche le fond pour rebondir ». Il est question que les aînés entrent dans la logique d’enseigner aux cadets. Je ne m’inquiète nullement pour cette musique. Moi qui ai la chance d’avoir un studio où des jeunes m’apportent leurs projets musicaux, je puis affirmer que le talent des Congolais est toujours intact. La relève est là, et on s’en occupe. Ce n’est pas la musique congolaise qui est en baisse, il y a juste une génération qui est en train de s’essouffler. La relève est au portail et quand celui-ci va s’ouvrir, elle sera fantastique. Mais il faut qu’elle se mette au travail car, comme l’avait si bien dit Edison, « Le génie, c’est 1% d’inspiration, et 99 % de travail ». C’est à nous maintenant de préparer cette relève. J’ai, par exemple, pris soin d’écrire mon disque en solfège. Comme ça, que ce soit au Burundi, au Cameroun ou ailleurs, si on me demande les partitions, je les donnerai aux enfants pour qu’ils n’aient pas à tâtonner dans leur apprentissage.