À 65 ans, Ray Lema sort ce 9 mai un tout nouvel opus : 99. Pianiste, guitariste, chanteur, compositeur, il nous offre ici un album qui délivre un message de paix et de fraternité. Composé de 13 titres, 99 est le reflet du multiculturalisme de son auteur, et s’y croisent harmonieusement rythmes du Congo, reggae, rock, jazz, rumba…
Raymond Lema A’nsi Nzinga, alias Ray Lema, est un musicien français d’origine congolaise, né le 30 mars 1946 à Lufu-Toto dans le Bas-Congo (RDC). À 11 ans, il entre au petit séminaire de Mikondo, à Kinshasa, avec la ferme intention de devenir prêtre. Au fil du temps, il finit par découvrir la musique à travers Mozart, Bach et le chant grégorien. Toujours en quête de nouveautés et d’inspiration, sa vocation religieuse s’est transformée en une réelle vocation pour la musique. Depuis, Ray Lema a su tisser sa toile musicale et n’a cessé de sillonner la planète et d’enrichir son travail. Un mélange de sonorités africaines et du monde. Entretien.
Afrik.com : Vous avez titré votre nouvel album : 99. Qu’est-ce que cela signifie ?
Ray Lema : 99, c’est le matricule de tout Français né en dehors du territoire. Cet album, c’est un tas d’influences. Les Etats-Unis ont une diversité qui est totalement assumée alors que la France tente de la camoufler. Les Français sont sortis de chez eux pour nous coloniser, maintenant ils doivent assumer tout ce réassemblage et inventer une France à la grandeur de son peuple. Nous avons affaire à une pâle copie de l’Amérique. Ils ne pourront jamais rivaliser avec les Américains, il n’y a pas la même forme d’énergie. La chanson numéro 5 s’appelle aussi «99», c’est une dédicace à cette France. Et malgré ce que peut dire Marine le Pen, c’est ça la vrai France. A travers ce titre je salue tous mes frères français «99». Nous parlons diverses langues mais nous sommes tous Français.
Afrik.com : Vous semblez être un chanteur très engagé !
Ray Lema : Et je le suis ! Je pense qu’aujourd’hui il y a tellement de problèmes, que l’on devrait simplement faire attention à son prochain. Mais depuis trente ans que je suis ici, le plus gros changement a été que les gens se sont repliés sur eux-mêmes au lieu de s’ouvrir aux autres. Les écarts entre les riches et les pauvres deviennent plus profond. A force de tirer un élastique, il finit par lâcher et ça fait mal.
Afrik.com : Expliquez-nous ce que veut dire «Losako», le titre du premier morceau de votre album.
Ray Lema : «Losako» veut dire bonjour en Lingala. C’est une langue bantoue parlée en République démocratique du Congo. A travers ce morceau, je passe un bonjour au monde entier et surtout à l’Afrique car j’ai parfois l’impression que l’on ne salue l’Afrique que lorsqu’il y a une énorme catastrophe, sinon les médias s’en foutent. D’ailleurs, le morceau numéro 6, « Les oubliés », fait allusion à cet oubli. Il y a eu 3 millions de morts au Congo, sans compter le nombre considérable de viols, mais personne ne réagit. Nous faisons face à une incompréhension face à la communauté internationale qui préfère s’occuper de deux égos démesurés comme Gbagbo et Ouattara qui font tuer leur peuple.
Afrik.com : Que pensez-vous de la situation en Côte d’Ivoire ? Et en Libye ?
Ray Lema : Je suis un croyant sans religion, et quand on est croyant on croit à la compassion, au partage et à l’amour. L’attitude de nos dictateurs qui essaient de garder un pouvoir ne rend service ni à eux, ni à leur peuple. Ils freinent un tas de talents et se freinent eux-mêmes. On ne nait pas dictateur, on le devient. Aucun des deux n’aime vraiment son pays. Si c’était le cas, il aurait fallu que Gbagbo ou Ouattara abandonne son combat pour l’amour d’un peuple. En Libye, je peux encore comprendre l’affolement d’un Kadhafi, mais quand je vois que son fils prend la parole à sa place une fois encore on voit jusqu’où va la dictature. Et honnêtement l’Afrique ne mérite pas ça.
Afrik.com : Dans votre album, vous dites « I do know now ». Alors, que savez-vous maintenant ?
Ray Lema : Je ne comprends pas la mentalité tribale. Je ne parviens plus à comprendre le but de certains albums comme le reggae. C’est toujours le même rythme du début à la fin de l’album, le rock pareil, etc. Pourtant, j’aime le reggae, le rock et toutes ces musiques devant lesquelles je suis en admiration. Mais c’est la même chose à chaque chanson, alors que d’une chanson à une autre j’aime aller dans mes amours, changer de chapitre. Donc au final, je ne sais pas … (il sourit).
Afrik.com : Vous racontez l’histoire de Leïla. Qui est-elle ?
Ray Lema : Je raconte l’histoire d’une femme que j’ai aimée. Mais je me suis laissé distraire par une autre femme et c’est seulement après avoir perdu Leïla que je me suis rendu compte à quel point c’était la personne qu’il me fallait. Le mâle est plus facilement distrait que la femelle. Il ne suffit de rien pour faire déraper l’homme et ce n’est qu’après s’être laissé tenter qu’il s’apitoie sur son sort. L’amour est plus haut que le sexe.
Afrik.com : Revenons un peu sur votre enfance. A 11 ans, vous souhaitiez devenir prêtre. Comment est-ce possible à un si jeune âge ?
Ray Lema : Je ne sais pas, c’est venu comme ça. Pourtant, mes parents ont essayé de m’en dissuader. Je vous avoue qu’aujourd’hui je suis encore plus croyant qu’à ce moment-là, mais avec la particularité d’être sans religion. Dès la première semaine, on testait les enfants sur beaucoup de domaines dont la musique. On m’a alors évalué en musique et ils n’arrivaient pas à croire que je n’en avais jamais fait auparavant. J’ai eu une facilité à jouer à des instruments. Dès la première semaine au séminaire, j’ai appris le grégorien, le chant liturgique officiel de l’Église catholique romaine.
Afrik.com : Etait-ce pour vous une révélation ?
Ray Lema : Ca faisait partie de ma vocation de prêtre. Mais au fond, ai-je vraiment voulu devenir musicien ? A cette époque, je suivais ce que l’on m’ordonnait de faire et tous les jours je devais jouer au piano et à l’orgue. On m’interdisait de jouer au foot et à d’autres jeux. J’imaginais la vie des vedettes, mais je n’arrivais pas à m’imaginer à leur place. J’ai toujours ce côté séminariste en moi. J’ai trouvé ce métier exaltant sur le plan spirituel.
Afrik.com : Vous vous êtes finalement dirigé vers la musique…
Ray Lema : Oui, et Gérard Kazembe a été le premier à m’avoir engagé en tant que guitariste. Il m’a beaucoup appris mais je ne suis pas resté très longtemps, car je me produisais en boîte de nuit et le monde de la nuit c’est l’heure où les humains sont un peu débridés.
Afrik.com : 1968 signe vos débuts kinois avec le « Baby national ». Parlez-nous de cette époque.
Ray Lema : C’est la présidence qui m’avait remarqué en boîte de nuit. Ils m’ont demandé de former un orchestre capable de relever le niveau de la musique congolaise. Ils m’ont donné les moyens pour réussir à former ce groupe et relever le défi. Mais je n’étais pas encore assez mûr pour prétendre être un bon chef d’orchestre de musique populaire. Ce n’était pas dans la philosophie de la musique populaire d’alors. Ça n’a pas été une grande réussite. Mais en 1974, le gouvernement m’a demandé de monter et de diriger le ballet national du Zaïre. Le but était de faire passer des castings dans tout le Congo. L’enjeu était de taille, à cette époque, dans un pays qui fait quatre fois et demi la France. C’était une chance d’avoir les moyens de réaliser ce pari, surtout pour le jeune musicien que j’étais. C’est le moment qui a changé le cours de ma vie. En 1979, j’ai quitté l’Afrique pour les Etats-Unis où j’ai enregistré mon tout premier disque : Koteja . C’est un album qui s’est fait très rapidement. Un jour, un monsieur est venu m’écouter en concert et a fini par tombé amoureux de ma voix. Il avait un studio et il tenait absolument à ce que j’enregistre ce qu’il a entendu sur scène. C’est comme ça que l’on a enregistré Koteja.
Afrik.com : C’était alors le début d’une carrière internationale. Mais pourquoi êtes-vous venu en Europe ?
Ray Lema : Une chose m’a fortement déplu aux Etats-Unis, les gens vivent dans un monde fermé. C’est pour cela que j’ai voulu aller en Europe. Mais comme je suis issue du Congo-Belge, j’ai d’abord dû passer par la Belgique avant d’atterrir en France.
Afrik.com : Vous êtes en froid avec votre pays, la République démocratique du Congo. Vous y avez même été interdit. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ray Lema : A un certain moment, je n’arrivais plus à la fermer et je disais les choses qui dérangeaient. C’était du temps du président Mobutu, et entre lui et moi il n’y avait pas photo ! C’était moi qui devais dégager. C’est le seul malaise qu’il y a eu, les gens pensent que j’ai été poursuivi, mais non. Des amis me disaient que j’avais un franc-parler qui commençait à gêner. Depuis, je parle comme je veux car je suis en France. Mais bientôt j’y retournerai, j’ai bien envie de rentrer.
Afrik.com : D’après vous, que manque-t-il à l’Afrique pour exporter sa musique ?
Ray Lema : Vu d’ici, on ne se rend pas forcément compte du potentiel de l’Afrique, c’est un énorme continent. Je préfère parler du Congo. J’ai eu l’occasion de faire le tour de ce pays. Il y a plus de 250 différentes ethnies et une question se pose : comment créer une musique dans un pays comprenant plus de 250 dialectes ? La barrière de la langue et les divisions culturelles en Afrique sont un problème. Il faut que l’on s’asseye et que l’on pense à comment créer des nations culturelles. L’exemple est de même pour l’Angola, le Zimbabwe et pour tous les pays d’Afrique. Si on ne résout pas ce problème, on restera dans la m… dans laquelle nous sommes. Aujourd’hui, l’Afrique c’est des pays mais aucune véritable nation.
• Commander l’album 99 (One Drop, 2011)