« Les élections présidentielle et législatives de 2016 seront décisives pour la République démocratique du Congo », souligne l’International Crisis Group dans un rapport qui vient d’être rendu public cette semaine. Pourquoi ? Parce qu’ « elles pourraient être les premières élections organisées sans la participation du président actuel. »
D’emblée, le décor est planté et les recommandations sont claires : « le président Joseph Kabila doit impérativement respecter la limite de deux mandats imposée par la Constitution et se préparer à quitter le pouvoir. »
Une perspective d’autant plus nécessaire que « la majorité au pouvoir est fragmentée et à cours d’options pour faire reculer la date butoir de 2016. Les tentatives du gouvernement de réviser la Constitution et les lois électorales afin de permettre à Joseph Kabila de briguer un troisième mandat ont suscité une forte opposition, y compris au sein de la majorité présidentielle, comme l’a montré la mini-crise politique de janvier 2015 », susceptible de n’être qu’ « un premier aperçu de ce qui pourrait se dérouler en 2016. »
Le pouvoir cherche à finaliser en six mois ce qui n’a pas été accompli en neuf ans
L’ICG fustige, au passage, un calendrier électoral global fourni, voire fouilli, avec pas moins de sept élections prévues d’ici à novembre 2016, ainsi que la loi sur le découpage des provinces.
« Compte tenu des insuffisances techniques et de l’absence de consensus autour de la liste électorale, les élections locales et provinciales prévues pour 2015 pourraient saper la crédibilité des élections nationales de 2016. » L’ICG appelle, par conséquent, au report des élections locales jusqu’à la fin processus de décentralisation et au couplage des élections provinciales et présidentielle.
Des mesures d’autant plus impératives qu’ « en plus d’un calendrier électoral trop ambitieux et trop coûteux, le gouvernement précipite une décentralisation qui manque de ressources et n’est pas correctement préparée, notamment quant à la division des onze provinces actuelles en 26 comme le prévoit la Constitution de 2006. Le pouvoir cherche à finaliser en six mois ce qui n’a pas été accompli en neuf ans. »
En effet, selon ICG, « accélérer la décentralisation, au moment où le calendrier électoral est mis en œuvre, pourrait aggraver les tensions locales, causer des troubles sécuritaires lors des scrutins de l’an prochain et aggraver l’instabilité. » Dans quel but ? « Il semble que gagner du temps en capitalisant sur de potentiels retards soit pour le gouvernement le principal objectif sur lequel il puisse se mettre d’accord. »
Un paysage politique « fragmenté »
Tout aussi intéressante est la peinture faite du paysage politique actuel en RDC, particulièrement « fragmenté ». Le rapport rappelle qu’en mars 2015, pas moins de 477 partis étaient enregistrés au ministère de l’Intérieur.
Du côté de la Majorité, de profondes divisions se font jour entre le PPRD dirigé par Evariste Boshab d’une part et le MSR de Pierre Lumbi, le PALU d’Antoine Gizenga ou encore l’UNAFEC de Gabriel Kyungu Wa Kumwanza d’autre part.
Idem au sein de l’Opposition. L’UDPS, estime l’ICG, est en perte de vitesse. « L’hyper personnalisation autour d’Etienne Tshisekedi empêche l’institutionnalisation du parti et les conflits qui en résultent affectent sérieusement son efficacité et sa légitimité ».
L’UNC de Vital Kamerhe, à l’inverse, a vu son poids politique renforcé en raison d’une ligne politique à la fois « plus claire et constructive ». Il a récemment effectué un passage à Paris où il a participé à de fructueuses réflexions sur l’avenir de la relation euro-africaine (cf l’article que nous publions sur la réunion de l’IPEMED et l’interview qu’il a accordée à notre confrère Olivier Zegna Rata, (cofondateur d’AFRIK.COM, ndlr).
Quant au MLC, il n’est plus que l’ombre de lui-même, en attendant qu’un jour, hypothétiquement, son leader Jean-Pierre Bemba ne fasse son retour sur la scène politique.
Martin Fayulu et Moïse Katumbi
Le rapport de l’ICG évoque également deux autres personnalités de la vie politique congolaise, qui pourraient monter en puissance prochainement. Le premier est Martin Fayulu, très « actif dans l’organisation des manifestations de janvier » dernier. Récemment, il s’est à nouveau illustré à l’occasion de la mobilisation consécutive à la découverte de la fosse commune de Maluku, ainsi que de la suspension de la participation des partis d’opposition aux élections provinciales.
La seconde personnalité est le très populaire Gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe. Ce dernier, rappelle l’ICG, « a déclaré son opposition à un troisième mandat pour le Président », ainsi qu’à la loi sur le découpage provincial dont beaucoup pensent qu’elle est davantage motivée par l’idée d’écarter l’actuel Gouverneur du Katanga de la direction de la Province la plus riche du pays. « Les positions de Moïse Katumbi, à l’intérieur et peut être ultérieurement à l’extérieur de la majorité » seront déterminantes. Pour l’ICG, celui qui est par ailleurs également Président du Tout Puissant Mazembé pourrait être le « game changer » de la prochaine élection présidentielle, autrement dit celui qui fera l’élection, « tant pour le président que pour les leaders de l’opposition ». Moïse Katumbi, rappelle l’ICG, « est l’une des quelques figures politiques à jouir d’une notoriété » à l’échelle de l’ensemble du pays. Un atout sans aucun doute précieux pour celui qui n’a, jusqu’à présent, pas encore fait connaître ses intentions pour l’avenir…
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Adrien Seyes @adrienseyes