Le généticien américain James Watson, à qui le prix Nobel a été décerné en 1962, ne fait pas dans la demi-mesure. A la une d’un journal britannique, il défend la thèse de l’inégalité des races. Il n’en est hélas pas à son coup d’essai. Actuellement en tournée en Grande-Bretagne pour présenter son dernier ouvrage, il s’apprête à diffuser ses théories frelatées.
Gobineau et ses adorateurs fascistes ne l’auraient pas renié, Mr Watson. Codécouvreur de l’ADN, Nobel de médecine en 1962, le professeur américain a déclaré le 14 octobre dernier dans les colonnes du journal britannique Sunday Times que « les Africains sont moins intelligents que les Occidentaux ». Particulièrement en forme, la sommité ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Sans doute mis en confiance par son intervieweuse, la journaliste Charlotte Hunt-Grubbe, une ex-scientifique qu’il avait hébergée il y a dix ans, il a ajouté qu’il était « fondamentalement pessimiste quant à l’avenir de l’Afrique » car « toutes nos politiques [occidentales] d’aide sont fondées sur le fait que leur intelligence est la même que la nôtre, alors que tous les tests disent que ce n’est pas vraiment le cas ». Bien décidé à montrer qu’il ne croit pas en l’égalité des hommes, il affirme que « les gens qui ont des employés noirs découvrent que ce n’est pas vrai ». Forcé de reconnaître que les exemples de non-blancs brillants sont pléthore, il se fait conseiller et lâche que « beaucoup de gens de couleur sont très talentueux, mais ne leur donnez pas de promotion quand ils n’ont pas fait leur preuve à un niveau inférieur. »
A l’heure où la France inscrit le test ADN dans la loi, alors que rien ne l’obligeait à légiférer sur le sujet, et où les discours xénophobes font florès en Occident, entendre un scientifique de renom défendre de telles positions ne fait pas que nous révolter. Il y a en effet matière à s’inquiéter lorsqu’un chercheur couronné par ses pairs, récipiendaire du prix le plus prestigieux de sa discipline, s’inscrit dans la droite ligne du racisme scientifique qui s’est développé en Europe et aux Etats-Unis dès le courant du XIXe siècle. Watson déclare que ses conclusions s’appuient sur « des tests ». Cependant, aucun de ces prétendus tests – en particulier ceux du QI –, nombreux au cours de ces deux derniers siècles, n’a tenu la route face à la recherche scientifique qui a, chaque fois, prouvé combien les méthodes employées pour les réaliser étaient biaisées. Combien de fois faudra-t-il encore le dire ? Il n’y a pas de races humaines ! Des morphotypes et des cultures différentes n’impliquent pas d’inégalités intellectuelles entre les êtres humains.
Il défend l’idée d’une supériorité de l’homme blanc et hétérosexuel
L’on pourrait mettre les errements de James Watson sur le compte de l’âge. A 79 ans, il pourrait ne plus avoir toute sa tête. Cependant, il paraît être encore assez lucide pour garder la confiance du conseil d’administration d’un grand institut de recherche aux Etats-Unis. Il est l’actuel directeur du Cold Spring Harbor Laboratory (CSHL) de New York. D’autre part, le généticien émérite, père d’un enfant atteint d’un retard mental, n’en est pas à son premier esclandre. Critiqué pour ses positions misogynes et homophobes – en 1997, il évoque la possibilité de trouver un gène de l’homosexualité, prétextant que «les femmes doivent pouvoir avorter si leur enfant est testé homosexuel » -, il a, il y a une dizaine d’années, tenu des propos douteux sur la libido des noirs.
Le professeur Watson est actuellement en tournée en Grande Bretagne pour présenter son dernier ouvrage, Avoid Boring People : Lessons from a life in science (Eviter les gens ennuyeux : leçons d’une vie passée dans les sciences ), dans lequel il développerait l’idée selon laquelle rien ne prouve que l’intelligence de peuples géographiquement éloignés ait évolué de la même façon. Ses récentes déclarations ont créé quelques remous dans la presse et le milieu scientifique. Pour la direction du Muséum des Sciences de Londres, le chercheur américain est allé « au-delà d’un niveau de débat acceptable ». Elle a annulé la conférence qu’il devait donner dans ses locaux. Des associations de défense des droits de l’homme lui ont demandé de s’excuser publiquement. Cependant, les autres institutions où le généticien doit s’exprimer ont préféré maintenir ses interventions en donnant au public la possibilité de l’interroger sur ses propos. Par conséquent, l’apôtre de l’inégalité des races, auréolé d’un prix Nobel en partie usurpé à la scientifique juive Rosalind Franklin, pourra distiller son prêche nauséabond en toute tranquillité. Une mobilisation plus active des médias et des politiques paraît plus que jamais nécessaire pour couper court aux élucubrations du Dr. Watson. S’il n’était qu’un citoyen lambda, ses propos n’auraient pas mérité que nous nous y arrêtions. Mais sa position pourrait redonner du crédit à des théories qu’il est urgent de jeter aux oubliettes de l’humanité.
Conseil de lecture :
Stephen Jay Gould, la Mal-mesure de l’homme : l’intelligence sous la toise des savants, 1981 et La structure de la théorie de l’évolution, 2006.