L’agression mortelle de Léon Kanhem, étudiant Camerounais, le 24 décembre dernier, témoigne de la xénophobie dont sont quotidiennement victimes, depuis des années, les étrangers vivant en Russie. Parmi eux, les Noirs, cibles particulièrement évidentes, essuient la violence d’actes dont les autorités persistent à nier le caractère raciste.
Par Anna-Alix Koffi
Léon Kanhem, 28 ans, mort poignardé sans mobile. Le soir du 24 décembre, l’étudiant camerounais est tombé dans une rue de Saint-Pétersbourg (nord-ouest de la Russie), non loin du foyer de l’Université des communications maritimes. Agressé par une bande, identifiée par la police, de jeunes Russes âgés de 16 à 20 ans, Léon Kanhem, poignardé à deux reprises dans le cou, est décédé sur place. Laissé pour mort après la fuite des agresseurs, le jeune Kenyan qui l’accompagnait a, pour sa part, survécu aux graves blessures reçues à l’abdomen. « L’un a été tué sur place, l’autre a été blessé et hospitalisé », a déclaré l’officier Alexeï Grebtsov, sur la chaîne de télévision russe NTV. Le jeune Camerounais habitait depuis trois mois en Russie. La police a ouvert une enquête au titre d’un article du Code pénal sur les meurtres à connotation raciste. Le procureur de la région a déclaré que toutes les pistes, « hooliganisme », « acte raciste » ou « vol avec violence », étaient étudiées.
L’Unité africaine dénonce l’indifférence des forces de l’ordre et du pouvoir
Le lundi suivant, le ministère russe des Affaires étrangères a fait part de ses condoléances aux proches de l’étudiant camerounais tué samedi. « Le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie exprime ses profondes condoléances aux proches de la victime et suit de près le déroulement de l’enquête judiciaire en cours », déclarait un communiqué ministériel. Le responsable du syndicat des étudiants russes, Nikita Chaplin, a lancé un appel au Président Vladimir Poutine et à son gouvernement pour qu’ils prennent personnellement la responsabilité de l’enquête, doutant de l’efficacité des autorités locales.
Mardi, une manifestation contre le racisme et le « fascisme » a réuni, à Saint-Pétersbourg, 150 à 200 personnes, comptant des étudiants étrangers et des jeunes libéraux. Les manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment de Smolny, siège du gouvernement local, en brandissant des pancartes « Stop au racisme! » et « Mort au fascisme ». « Le silence des autorités municipales et des institutions de justice encourage les skinheads », a affirmé Aliu Tunkara, le président de l’organisation Unité africaine, regroupant des ressortissants des pays d’Afrique vivant en Russie. « Les autorités disent que ce sont des voyous qui sont à l’origine de ces attaques, mais ce n’est pas vrai. C’est du racisme, c’est un génocide », a-t-il déclaré lors de la manifestation de mardi. « Nous appelons le gouvernement et les autorités de Saint-Pétersbourg à assurer la sécurité des étudiants étrangers », a scandé pour sa part Désiré Defot, un des responsables de l’organisation. Selon lui, les attaques racistes se multiplient en Russie en raison « de l’indifférence des forces de l’ordre et du pouvoir ».
Mardi, c’est à Yaoundé qu’a eu lieu une autre manifestation : parents, amis et connaissances de Léon Kanhem se sont réunis pour crier leur rage aux portes de l’ambassade de Russie. Dès le lendemain, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Yaoundé, Abdoulayev Poulate, a présenté ses regrets au Cameroun. S’exprimant devant la presse mercredi, à l’issue d’une audience avec le ministre camerounais des Relations extérieures, Laurent Esso, le diplomate russe a condamné l’assassinat, le qualifiant de « crime raciste ». « Une enquête a été ouverte à la suite de cet assassinat, et ses auteurs seront retrouvés et immédiatement châtiés », a-t-il assuré, avant d’inviter les parents de la victime à se rapprocher de ses services pour les formalités de rapatriement du corps au Cameroun.
Etrangers en ligne de mire
En Russie, les agressions racistes visent souvent des étudiants africains ou asiatiques, ainsi que des Caucasiens (les Caucasiens ne sont pas considérés comme des Blancs en Russie) et des ressortissants des ex-républiques soviétiques d’Asie centrale. Le plus souvent, les forces de l’ordre russes préfèrent utiliser le terme de « hooliganisme » pour parler des attaques qu’elles hésitent à qualifier de « racistes ». D’après Amnesty International, plusieurs dizaines d’Africains et d’Asiatiques vivant en Russie ont été la cible de groupes néo-nazis, de plus en plus populaires auprès de la jeunesse russe, ébranlée par l’instabilité économique et politique qui s’est installée après la désintégration de l’Union soviétique. Dans la seule ville de Saint-Pétersbourg, une dizaine d’entre eux ont succombé à de telles agressions au cours des deux dernières années. A la mi-septembre, un étudiant congolais attaqué par quatre jeunes avait succombé à ses blessures. Fin octobre, un étudiant chinois avait était agressé par trois jeunes Russes.
Un rapport d’Amnesty International explique que « la discrimination raciale était très répandue. Certains groupes étaient tout particulièrement visés par la police lors de contrôles d’identité qui se soldaient souvent par des arrestations arbitraires ou des mauvais traitements. Les demandeurs d’asile et les réfugiés se heurtaient de surcroît au refus fréquent de la police de considérer leurs papiers comme valables ». En juillet 2002, un groupe d’étudiants, de réfugiés et de demandeurs d’asile africains a été attaqué par une dizaine de Russes de sexe masculin au crâne rasé, criant des injures racistes, dans le parc Troparevski, à Moscou. Des policiers qui se trouvaient non loin de là auraient refusé de venir en aide aux victimes. Un étudiant camerounais, Germain Soumele Kembou, a été grièvement blessé. Alors que ses blessures nécessitaient des soins hospitaliers, il a été conduit au commissariat de Teply Stan pour y être interrogé, en compagnie de deux de ses agresseurs présumés. Fait inhabituel, une enquête judiciaire a été ouverte sur cette affaire.
Des organisations de défense des droits de l’homme ont attiré l’attention sur les dérives racistes constatées dans le discours des principaux partis politiques. Ce mois-ci, le parti Rodina s’est vu interdire de participer aux élections municipales à Moscou en raison d’un clip électoral exhortant les Moscovites à « débarrasser la ville de ses déchets » sur fond d’images montrant des Caucasiens, reconnaissables à leur teint plus foncé.