Quatre ans après Indigènes, Rachid Bouchareb revient avec un autre film coup de poing, Hors-la-loi, fresque familiale autour de trois frères qui se trouvent directement impliqués dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie orchestrée par le Front de libération nationale (FLN). Le film suscite l’ire des pieds noirs. Entretien avec Rachid Bouchareb.
Ils ne sont plus des Indigènes, des anciens combattants africains qui se battent aux côtés de la France, puissance colonisatrice, pour la défendre pendant la Seconde guerre mondiale. Abdelkader (Sami Bouajila), Messaoud (Roshdy Zem) et Saïd (Jamel Debbouze) sont trois frères algériens, Hors-la-loi parce qu’ils ont choisi de lutter pour l’avènement d’une Algérie indépendante. Abdelkader, emprisonné en France après les massacres de Sétif en 1945, rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN). Il en devient l’un des responsables en constituant une section à Paris. Il entraînera Messaoud, vétéran d’Indochine, et s’opposera à la passion de son frère Saïd pour la boxe. Elle ne sert pas la cause, à contrario des activités illicites dans Pigalle qui contribuent indirectement au financement du mouvement. Rien ne résiste à l’engagement de Messaoud, si ce n’est peut-être un peu de cette famille meurtrie par l’exil et qui se raccroche à l’espoir de retrouver sa véritable mère patrie, l’Algérie indépendante. Indigènes restera dans la mémoire collective française comme le film qui a conduit à la décristallisation, totale depuis le 13 juillet dernier, des pensions militaires des anciens combattants français. Hors-la-loi, est quant à lui, une évocation, douloureuse pour certains comme la polémique qui entoure le film dont l’avant-première marseillaise ce lundi a été mouvementée, mais nécessaire pour beaucoup, d’un passé colonial et d’une histoire franco-algérienne qui a besoin d’être exhumée. Le cinéma de Rachid Bouchareb y participe vaillamment.
Afrik.com : La polémique qui entoure Hors-la-loi est née du fait que certains reprochent au film de s’ouvrir sur les massacres de Sétif, ce qui n’est pas le cas…
Rachid Bouchareb : Le film ne commence pas effectivement pas par les massacres de Sétif. C’est tout simplement de la désinformation.
Afrik.com : Vous aviez l’air un peu chagriné à Cannes par la manifestation de pieds noirs qui s’est déroulée le jour de sa présentation. Vous vous attendiez à tant de remous ?
Rachid Bouchareb : Ça m’a un peu gâché la fête. Cannes, c’est la fête du cinéma, ce n’est pas une foire d’empoigne. Mais bon, on est dans le Sud de la France. Je ne m’y attendais pas sinon, je m’y serais préparé. Néanmoins, je ne comprends pas qu’ils puissent être révoltés par un film qu’ils n’ont pas vu. Ils voulaient l’interdire avant sa sortie comme La Bataille d’Alger (le film de Gillo Pontecorvo, ndlr). Cela se passait il y a 50 ans et ce n’est plus possible aujourd’hui. C’est une époque révolue.
Afrik.com : La polémique, les récentes accusations de plagiat ont-ils rendu la sortie de ce film plus stressante que les autres ?
Rachid Bouchareb : Le stress, c’est pendant le tournage. Jamais après. Maintenant, qu’il suscite de l’intérêt, une mobilisation… On se rend compte qu’il y a quelques résistances, somme toutes mineures, puisque cela n’empêche pas la bonne distribution du film sur l’ensemble du territoire français. Hors-la-loi est programmé dans 450 salles.
Afrik.com : Vous n’attendez finalement que le verdict du public ?
Rachid Bouchareb : J’attends le mercredi 22 septembre, le verdict du public. C’est lui qui décide. Le film appartient maintenant au spectateur, il en fera ce qu’il voudra. Il y a eu trop de coups pour nuire au film. J’en ai assez. Personne ne lui interdira son existence quels que soient les moyens employés.
Afrik.com : Qu’aviez-vous envie de dire avec ce long métrage ?
Rachid Bouchareb : C’est un film sur l’injustice. Trop, c’est trop ! Après 120 ans de colonisation, il y a un moment où le désir de conquérir sa liberté est irrépressible. L’histoire de cette famille commence en 1925 où elle dépossédée de sa terre. La question que je pose est simple : jusqu’où les hommes peuvent accepter cette forme d’Apartheid ?
Afrik.com : En quoi vos héros, qui défendent avant tout des principes de liberté, sont-ils des Hors-la-loi ? Pourquoi vous aviez envie de faire un film sur eux ?
Rachid Bouchareb : C’est ainsi que la presse française de l’époque les désignait dans les actualités : « Ces hors-la-loi… ». C’est encore une fois un vécu. Je suis né en France avec de la famille là-bas. J’ai en tête quelques images de la guerre d’Algérie. Cela fait partie de mon enfance. Je savais que j’y consacrerai forcément un film.
Afrik.com : Sur Hors-la-loi, vous retrouvez Sami Bouajila, Roshdy Zem, Jamel Debbouze et Bernard Blancan, des acteurs qui ont participé à l’aventure d’Indigènes…
Rachid Bouchareb : Pendant Indigènes, on savait qu’on allait faire la suite. Des versions du scénario d’Indigènes finissaient sur les massacres de Sétif. Ces soldats voulaient déjà que ça change, la décolonisation était une étape logique pour ces jeunes combattants qui avaient alors 20-25 ans. Hors-la-loi, c’est la deuxième partie de l’histoire que racontaient déjà ces hommes.
Afrik.com : Depuis Bâton Rouge, votre premier film, en passant par Little Senegal, et ce projet que vous préparez, Belleville’s Cop, sur la rencontre d’un flic arabe et d’un flic afro-américain, votre intérêt pour l’Amérique est une constante dans votre filmographie. Pourquoi ?
Rachid Bouchareb : Cela m’étonne et m’interpelle à la fois : l’Amérique est jusqu’à aujourd’hui une terre d’immigration. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de racisme. Mais en même temps, vous prenez un taxi, le chauffeur parle anglais avec un accent incroyable, cependant il n’a pas peur de dire qu’il est américain au bout de 5 ans. Ça ne pose pas de problème. Cette dimension bien réelle aux Etats-Unis m’a toujours intéressé. Je ne suis pas sûr que dans la société française, si cela avait été le cas, le statut des Afro-Américains, par exemple, qui sont arrivés il y a plusieurs siècles aux Etats-Unis, n’aurait pas été remis en cause.
Afrik.com : Pensez-vous que la France parviendra à ce stade ?
Rachid Bouchareb : Je pense qu’on y arrivera. Si on se met devant le miroir, on verra bien ce qu’est la France aujourd’hui et ce qu’elle sera demain.