Au moment où la précampagne à la présidentielle bat son plein en France, François Hollande, premier Secrétaire du parti socialiste (PS) français effectue à partir de ce mercredi une visite officielle au Maroc de 48 heures. A quelques heures de l’audience royale prévue à Tanger, le «candidat à la candidature» à l’Elysée s’exprime sur les raisons de sa venue au royaume, sur l’ambition européenne du Maroc, sur le PJD, le conflit israélo-palestinnien, la participation des MRE aux élections législatives, sur l’éligibilité des «beurs» dans l’Hexagone…
L’Economiste : Dans quel cadre s’inscrit cette visite officielle ?
François Hollande : Il s’agit pour le Parti socialiste de confirmer, à la veille d’échéances décisives, notre attachement à la qualité des relations entre la France et le Maroc, Il s’agit aussi, et en lien avec ma visite en Algérie, de définir les bases d’une politique de coopération avec le Maghreb dans le cadre du projet euro-méditerranéen qui doit lui-même se renouveler. Enfin, je n’oublie pas le lien qui nous unit à l’USFP, parti avec lequel nous partageons tant de valeurs et de combats communs.
Durant le règne de Hassan II, aviez-vous des relations privilégiées avec le monarque? Qu’en est-il avec le roi Mohammed VI ?
François Hollande : François Mitterrand, puis Lionel Jospin, ont eu avec Hassan II des rapports fondés sur le respect et la franchise. Ils ont apprécié les efforts qui furent les siens dans le sens de l’ouverture et de la démocratie. L’avènement de Mohammed VI a amplifié encore ce mouvement. Je veux ici le saluer. C’est le sens de ma visite. J’aurai donc grand plaisir à évoquer avec les autorités marocaines l’ensemble des grands sujets qui nous préoccupent : la crise au Proche-Orient, les relations euro méditerranéennes et la question du Sahara…
Le Maroc revendique plus qu’un statut «d’association avec l’UE», quelle est votre position ?
François Hollande : Le Roi Hassan II avait même parlé d’adhésion pure et simple du Maroc à l’Union européenne. Sans aller jusque-là, l’association des pays du Maghreb à l’Europe est une condition de la stabilité de l’ensemble de la zone euroméditerranéenne. C’est pourquoi, nous proposons que s’engage une négociation visant à mettre en place ce que nous appelons le partenariat privilégié à l’échelle européenne avec les pays qui le souhaiteront, et notamment le Maroc. Ces coopérations doivent porter sur les questions commerciales, mais aussi sur celles de l’investissement et du développement économique. Cette relation entre la France et le Maroc doit être un élément moteur de cette nouvelle politique.
Après avoir fait escale à Alger, vous effectuez une halte à Rabat. L’état des relations politiques entre les deux capitales vous exaspère-t-il ?
François Hollande : Le Maghreb doit faire son unité. On peine à comprendre que le grand espoir né en 1989 avec la création de l’Union du Maghreb arabe soit si vite retombé ! Nous n’avons pas à nous ingérer, bien sûr, dans les relations entre Etats du Maghreb, mais, personnellement, je considère qu’au-delà des contentieux qui subsistent, et notamment celui du Sahara, il est impérieux que le Maroc et l’Algérie travaillent ensemble. Il y a là une communauté d’intérêts, une capacité de développement économique et un potentiel humain considérable. Enfin, sur le plan politique, la France doit avoir de bonnes relations avec le Maroc comme avec l’Algérie, d’autant que vivent sur notre sol de nombreuses familles qui ont des racines profondes avec le Maghreb.
Les 10 et 11 juillet dernier, une conférence sur la migration et le développement s’est tenue à Rabat. Partagez-vous la philosophie du plan d’action qui en découle ?
François Hollande : Cette première conférence euro-africaine sur la migration et le développement est une bonne initiative. Le seul regret que je peux formuler est que la question de l’aide au développement n’ait pas été au cœur des discussions. Il reste que cette Conférence marque une étape utile dans l’objectif de maîtriser d’une manière humaine et digne les flux migratoires. Elle rejoint nos préoccupations : définir une politique d’immigration partagée avec les pays d’émigration (Afrique), les pays de transit (comme le Maroc) et les pays d’accueil (comme la France). Il ne peut y avoir en cette matière de politique unilatérale. Cette leçon a été oubliée par le gouvernement français qui affronte aujourd’hui des difficultés dans l’application de ses propres directives, notamment au travers de l’affaire des enfants scolarisés menacés d’expulsion.
Nicolas Sarkozy s’est exprimé en déclarant que trois objectifs guident son action: l’immigration choisie, le codéveloppement et la lutte contre l’immigration clandestine. Que cela vous inspire-t-il ?
François Hollande : Il ne me revient pas, dans le cadre de ce déplacement au Maroc, de commenter les choix politiques du Ministre de l’intérieur français, par ailleurs candidat à l’élection présidentielle. Je relève que depuis 2002, la majorité de droite n’a tenu aucun de ses engagements en matière d’aide au développement, a multiplié sans résultat les lois répressives en matière d’immigration et a choqué les pays africains, en laissant penser que la France était surtout désireuse de drainer la matière grise des pays émergents, au risque d’accentuer encore les déséquilibres entre le Nord et le Sud.
Le gouvernement Villepin vient de débloquer une enveloppe de 90 millions d’euros pour soutenir le développement socioéconomique au Maroc? Qu’en pensez-vous ?
François Hollande : Tout ce qui peut concourir à l’augmentation de l’aide publique au développement, en appui à des politiques menées localement, va dans le bon sens. En ce qui concerne cette nouvelle enveloppe, je crains qu’elle n’intègre des mesures d’ores et déjà engagées. Je pense qu’il nous faut aller plus loin à la fois au niveau français et au niveau européen.
Le conflit qui persiste au Proche-Orient, le Liban en état de siège, contribuent au déséquilibre de l’ensemble de la région. Quel rôle pourrait jouer le Maroc pour être un acteur dans un processus de paix durable ?
François Hollande : Nous sommes aujourd’hui face à une crise majeure au Proche-Orient avec un risque de guerre généralisée. Si Israël a un droit légitime à se défendre, il doit l’exercer dans de justes proportions. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ni à Gaza ni au Liban. Il faut dans l’immédiat un cessez-le-feu et l’installation d’une force d’interposition de l’ONU à la frontière israélo-libanaise. Enfin, il faut démilitariser cette zone et désarmer les milices au Liban. Dans ce cadre, le Maroc doit jouer pleinement son rôle dans le retour à un processus de paix qui garantisse la sécurité d’Israël et un Etat viable pour les Palestiniens.
Le Maroc est en effet un pays qui peut parler à l’ensemble des protagonistes de la région.
Le parti islamiste «Justice et Développement» (PJD) semble être bien placé pour accéder au gouvernement en 2007. Est-ce que son arrivée au pouvoir constitue un «risque» pour le pays, pour son image à l’international ?
François Hollande : Je n’ai pas à me prononcer sur une question relevant de la politique intérieure marocaine. Le pluralisme autorise tous les mouvements d’idées, dès lors qu’ils respectent la voix du suffrage universel et la démocratie. Il faut toujours se défier des démagogues d’où qu’ils viennent. Il y en a des deux côtés de la Méditerranée. Je fais confiance au peuple marocain pour que, lors des élections en 2007, son choix porte sur la meilleure manière de poursuivre le développement économique et social du Maroc et sur la place de cet éminent pays sur la scène internationale, place indispensable à la stabilité et à la paix dans toute la région. Nous respecterons, quoi qu’il arrive, sa décision.
Le Maroc s’apprête à faire participer les Marocains résidents à l’étranger (MRE) à s’exprimer lors des élections législatives 2007. Etes-vous favorable à cette initiative ?
François Hollande : Je suis bien entendu favorable à ce que les Marocains vivant en France puissent participer au scrutin qui aura lieu dans leur pays en 2007. Quant aux citoyens français d’origine marocaine, qu’ils résident dans l’Hexagone ou au Maroc, je n’aurai qu’un seul message à leur adresser : une double culture est une véritable richesse pour eux-mêmes et pour la France. Mais, à la condition que ce soit une double chance. Ce qui suppose une lutte contre toutes les formes de discriminations et un accès aux responsabilités, notamment des responsabilités politiques.
Le PS vient de «réserver» 23 circonscriptions aux Français d’origine maghrébine. Pourquoi un réveil aussi tardif…
François Hollande : J’ai bien conscience du temps perdu. Et je me suis donc attaché à ce que la diversité de la société française puisse figurer au sein des instances de notre Parti socialiste comme à l’occasion des différentes élections (européennes, régionales et bientôt législatives). L’effort que nous avons fait est significatif même s’il reste encore insuffisant ; il faudra poursuivre dans cette voie. Ainsi, aujourd’hui, dans les Conseils régionaux, il y a 32 représentants de cette diversité dont Naïma Charraï, d’origine marocaine qui m’accompagne dans ce déplacement. Et, demain, en cas de victoire de la gauche, il y aura au moins 10 députés d’origine maghrébine qui siègeront à l’Assemblée nationale au nom du peuple français.
Est-ce une réponse au 21 avril 2002, aux émeutes de novembre 2005 ? Qu’avez-vous prévu dans votre programme 2007 en direction de ces communautés qui avouent avoir perdu confiance en la gauche républicaine ?
François Hollande : La représentation des Français issus de l’immigration était une obligation démocratique. Mais ce progrès, s’il se confirme, ne règle pas les questions de fond qui portent sur l’égalité réelle. Elle doit concerner tous les niveaux de la vie en société : l’école, l’accès au service public, l’accès à l’emploi et au logement. Cela passe aussi par une grande politique de solidarité envers les banlieues qui, aujourd’hui, concentrent les difficultés et les discriminations. C’est pourquoi, nous engagerons, si nous revenons aux responsabilités, une politique fondée sur la promotion de tous les talents par une solidarité à l’égard des quartiers les plus fragiles et des populations les plus précaires. Enfin, la gauche qui n’a jamais été confrontée au pouvoir, à des émeutes urbaines comme celles de novembre 2005, a le devoir de réussir la pleine intégration des citoyens dont la vie quotidienne est en France, mais dont les racines sont profondes de l’autre côté de la Méditerranée. Ils seront les meilleurs traits d’union entre nos deux pays.
En qualité de responsable politique français, comment expliquez-vous que des institutions politiques comme l’Assemblée Nationale ou le Sénat ne comptent aucun Français d’origine maghrébine ?
François Hollande : Ce que vous dites n’est déjà plus vrai car, depuis 2002, le parti socialiste a permis de changer cette réalité : Bariza Khiari est sénatrice et Kader Arif est député européen. Notre objectif pour 2007 est de faire entrer à l’Assemblée nationale une dizaine de députés d’origine maghrébine. Rendez-vous dans un an!
Par notre partenaire L’Economiste, propos recueillis par Rachid HALLAOUY