« L’Apprentissage » : R comme Religion. Un livre délicieux sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. « Lettres persanes » d’aujourd’hui qui seraient écrites par une enfant de migrants, petit manifeste sur la double identité culturelle des Français d’origine étrangère, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre…
De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature… |
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RELIGION
La question de la religion est souvent incomprise en Occident, et nombre de Français pensent par exemple que les musulmans sont « trop » religieux. En miroir, il est vrai, nombre de musulmans pensent que les Français, ou les Occidentaux ne sont pas « assez » religieux. Certains voient dans cette différence de perception, carrément un « clash des civilisations », qui a inspiré des kilomètres d’écrits ces dernières années.
Les Français ont la mémoire courte. Lorsque je lis des textes littéraires français des XVIII° et XIX° siècles, j’y vois le même poids de la religion sur la société, les mêmes interdits, les mêmes opprobres jetés sur ceux qui les transgressent, les mêmes hypocrisies par rapport aux obligations morales aussi, dans l’Occident chrétien d’hier et dans l’Orient musulman d’aujourd’hui*.
Plus près de nous, en lisant, adolescente, Le cheval d’Orgueil, de Pierre-Jakez Hélias** , j’y découvrais, dans la Bretagne d’il y a quelques dizaines d’années, le même rapport à la religion, à son autorité, à ses normes imposées, que dans mon Liban natal, la même guerre entre croyants et laïques, à propos de la bataille entre école publique et école catholique en France, qu’aujourd’hui dans le monde arabe entre religieux et tenants de la modernité.
A tous ceux qui pensent: il y a trop de religion chez les Musulmans, je dis : lisez Le tour de la France par deux enfants*** , manuel scolaire qui fut le premier et souvent l’unique livre possédé par des générations de familles françaises au début de ce siècle, voyez les leçons de morale – le mot est devenu terriblement démodé, presque suspect aujourd’hui – que l’on voulait insuffler aux jeunes esprits jadis, voyez les références à Dieu et à la charité chrétienne qui émaillent le texte, et rappelez-vous que, le texte ayant été jugé trop religieux, une nouvelle édition parue qui remplaça systématiquement – comme avec la fonction « remplacer » de nos ordinateurs d’aujourd’hui – le mot « Dieu » par « Providence », parce que quand même, les écoles de France où se lisait ce manuel étaient devenues laïques, depuis Jules Ferry.
A tous ceux qui pensent: ces Musulmans, quand même, ils ne sont pas assez laïques, même lorsqu’ils vivent en Occident, je dirais: interrogez donc les grands-mères de France. Elles vous conteront des histoires de messes obligées du dimanche, des histoires de curés de pressions d’obligations de respecter l’ordre établi de ne pas faire exception de ne pas se distinguer, exactement comme dans l’islam aujourd’hui où tout le monde doit entrer dans le rang, elles vous parleront d’un temps où les écoles de France avaient des crucifix sur les murs et les lits conjugaux un crucifix au-dessus de la couche, d’un temps où le mot laïcité n’existait même pas dans le vocabulaire les journaux les débats.
Pour l’islam, sa modernité, sa réforme, l’évolution des mœurs, il faut faire comme avec le christianisme: il faut être patient. Attendre un siècle, ou quelques décennies, car avec le progrès technologique la diffusion des idées internet et tout ça, tout va plus vite qu’autrefois. Et ce ne sont pas les femmes nouvellement voilées et les hommes nouvellement barbus qui me feront changer d’avis, car eux, les musulmans le savent bien, ne sont pas la majorité, même si en Iran ou ailleurs les élections les donnent parfois gagnants.
* Voir à ce sujet la préface documentée et éclairante, par Raymon Trousson, de l’Anthologie des Romans français libertins du XVIII° siècle, Robert Laffont, 1993.
** Pierre-Jakez Hélias, Le cheval d’orgueil. Mémoires d’un Breton du pays bigouden. Terre Humaine, Plon, 1975.
*** G. Bruno, Le Tour de la France par deux enfants. Devoir et patrie. Librairie classique d’Eugène Belin, 1877.