Qui arrêtera le soldat Biya ?


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Un jour de novembre 1982 – il y a si longtemps… – monsieur Paul Biya devenait Président de la République du Cameroun. Il avait été, auparavant, Chargé de mission, Ministre, Secrétaire Général à la Présidence de la République, Premier Ministre, etc.

A cette époque là – il y a si longtemps… – même les Camerounais les plus réservés applaudissaient et acclamaient cet homme qui promettait de changer les mentalités, de lutter contre la Corruption, de restaurer la Rigueur et la Moralisation dans notre pays. Il avait même donné un nom à cette politique nouvelle : le Renouveau. Même s’il n’était pas un homme nouveau – il était aux affaires depuis déjà si longtemps… – il promettait des choses qui apparaissaient, alors, comme nouvelles. Et tout le monde y a cru. Il est vrai que la propagande gouvernementale ne se faisait pas prier pour étaler au grand jour les faits et méfaits de son « illustre prédécesseur », un certain… Ahmadou Ahidjo.

Tout le monde espérait beaucoup de choses de cet homme que l’on disait beau, calme, souriant, et… intellectuel. Oui, intellectuel, car l’homme avait fait des études de droit. Un juriste, c’est toujours mieux qu’un télégraphiste, pour diriger un pays. Comme si cela ne suffisait pas, notre homme « nouveau » avait réussi l’exploit de se débarrasser de la tutelle encombrante de son « illustre prédécesseur ». Il l’a même – autre exploit – fait condamner à mort. Par contumace, comme on dit en langage juridique. Ça aide, le droit…

Tout était beau, très beau. La lune de miel, entre Paul Biya et les Camerounais, n’en finissait pas. Ecrivains, journalistes, intellos ou pseudo-intellos, chanteurs, comédiens, tout le monde chantait les louanges de cet oiseau rare venu de Mvomeka’a.

Le désenchantement

Et puis, patatras ! Le rêve s’est brisé. Les Camerounais ont déchanté. L’homme est devenu froid, arrogant, méprisant. Il n’écoutait plus que sa clique, ses amis, ses parents. Depuis « son » immense palais – construit par son prédécesseur… – il n’entendait plus les lamentations des Camerounais. D’ailleurs, il était de moins en moins là, étant toujours en « bref séjour privé en Europe », comme l’annonçaient, à chaque fois, les communiqués de la télévision nationale.

Les cris et les lamentations de la population sont devenus plus forts, plus assourdissants. Et l’homme a perdu son sang froid. Il s’est souvenu qu’il était chef suprême des forces armées. Une armée qu’il n’a cessé d’envoyer partout où les Camerounais essayaient de s’exprimer. Ou de penser, tout simplement.

Depuis, l’homme a fait feu de tout bois pour asseoir son Pouvoir, pour consolider son Régime. Il a malmené les leaders politiques, leur a administré des fessées, les a envoyés en prison. Quelques uns, plus malins, sont passés de son côté, laissant de côté les Camerounais. Il a institutionnalisé la Corruption, faisant de son pays le Champion du monde de la discipline…

Et les Camerounais, dans toute l’histoire ? Ils ont protesté, ils ont manifesté leur mécontentement. Ils ont dénoncé l’omniprésence de l’armée, cette armée qui ne jure fidélité qu’au président Biya. Ils se sont exprimés dans les urnes. Leur volonté a été mise de côté, les élections truquées.

Ils ont encore manifesté, résisté aux charges des forces de l’ordre, aux gaz lacrymogènes. Ils ont défié les jets d’eau, toujours disponibles pour disperser des manifestants, et jamais quand il faut dompter un incendie. Ils ont écrit des articles virulents, qui les conduisaient tout droit en prison – ou en exil. Ils ont publié des pamphlets, tout de suite interdits. Ils ont créé des partis politiques et des associations, défiant matraques et coups de crosse.

Comment Biya gère la pression

Quand la pression populaire se faisait forte, Paul Biya, alias le Prince, alias le Sphinx – au choix – jetait un peu de lest. Il faisait un énième remaniement ministériel. Il envoyait quelques corrupteurs en prison – ou en « exil », dans une ambassade à l’étranger – le temps de se faire oublier, pour mieux revenir aux affaires

Quand la pression montait encore, il imposait la sélection de Roger Milla pour le Mondiale italien. Au pays de Thomas Nkono, le football est une religion, un véritable opium capable de doper la population, et de la mobiliser pour en avoir les faveurs sur le plan électoral…

Et quand la pression montait encore – le mondiale n’étant pas éternel –, le Prince se montrait compréhensif, en limitant la fraude électorale, sans risquer de perdre le pouvoir…

Et quand elle montait encore, il modifiait la Constitution, instaurait le Septennat, limitait à deux le nombre de mandats successifs.

Et le peuple continuait de protester. On lui donnait Patrick Mboma et la Coupe d’Afrique des Nations, mais rien n’y fit. Il continua de rouspéter. En se disant qu’au pire, le Sphinx partirait quand même, en 2012. Il commença donc à préparer l’« après Paul Biya »…

Accroché au fauteuil de président

Et voilà que, comme par hasard, des motions de soutien, venant des « quatre coins du pays » – selon la version officielle – implorent le Prince de modifier la Constitution, en vue de pouvoir briguer un nouveau mandat. Evidemment, l’homme – qui n’a que 75 ans – n’est pas insensible à cette marque d’affection de « son » peuple. Si, du même coup, il peut décourager ceux de son camp qui seraient pressés de prendre sa place…

C’est la provocation de trop, et ce n’est pas la deuxième place des Lions Indomptables en Coupe d’Afrique des Nations qui y changera quelque chose. Le peuple camerounais – dont des pseudo-analystes avaient dit qu’il « ne s’occupait plus de politique » – s’est levé comme un seul homme. L’idée de devoir subir un autre septennat de Paul Biya lui est apparue comme insoutenable. Les Camerounais, du Cameroun et de la diaspora, ont donné de la voix. Le Prince, comme a son habitude, s’est énervé. Ses hommes, toujours pressés de lui faire plaisir, ont fait le reste. Des leaders politiques ont été traqués, la presse a été intimidée, des chaines de radio et de télévision ont été fermées, les manifestations publiques interdites.

Le peuple, lui, n’a rien voulu entendre. Il est descendu dans la rue, pour manifester sa Colère et son Indignation. Il a crié d’autant plus fort que son pouvoir d’achat, déjà bien maigre, ne cessait de baisser, pendant que les prix des denrées de première nécessité continuaient de grimper. La grogne a gagné toutes les grandes villes du pays. Le Prince a, une fois de plus, envoyé ses forces de l’ordre. Une véritable chasse à l’homme s’est ouverte. Elle ne s’est refermée qu’une semaine – et une centaine de morts – plus tard.

Pseudo instrumentalisation

La Propagande gouvernementale s’est alors déchaînée. Et on a pu lire, dans les colonnes de Cameroon Tribune, ces phrases incroyables : « Comme par hasard, une centaine de barrières de feu sont donc tombées du ciel pour atterrir net sur le tronçon […] Ceux qui prétendent organiser des manifestations à ces endroits font donc plus dans la manipulation de ces couches sociales ouvertes à tous les vents […] Ces manifestations à la périphérie apparaissent comme des prétextes au déclenchement d’actes de violence préparés… ». Et le quotidien national de conclure : « Une centaine de barrières de feu sur une route, ça marque les esprits, ça laisse des traces visibles et, surtout, ça peut susciter des vocations. Un mauvais climat que certains veulent brandir comme un trophée politique. Ca sent la manipulation ».

Et qu’a fait le Président ? Il a repris l’analyse de ses scribes, parlant de « l’exploitation, pour ne pas dire l’instrumentalisation, qui a été faite de la grève des transporteurs, à des fins politiques » Il s’en est pris à ces « apprentis sorciers » qui auraient « manipulé ces jeunes », dans le seul but « d’obtenir par la violence ce qu’ils n’ont pu obtenir par la voie des urnes, c’est-à-dire par le fonctionnement normal de la démocratie ». Ces grands enfants camerounais, incapables de penser par eux-mêmes, et qu’on peut manipuler si facilement…

Ses acolytes, pour se faire encore plus beaux aux yeux du Prince, ont fait des déclarations incendiaires, tenu des réunions en grande pompe. Ils ont même pondu une déclaration belliqueuse qui invitait « les prédateurs venus d’ailleurs » à « quitter rapidement et définitivement » leur sol, car « ils n’y seront plus jamais en sécurité ». Et, chose à peine croyable, les médias du gouvernement ont donné un large écho à cette véritable déclaration de guerre – le quotidien Cameroon Tribune l’a même publiée intégralement. Ceux qui ont un peu de mémoire frémissent : une Radio-Television des Mille Collines, à Yaoundé, la ville aux sept collines ?

Et qu’a fait la Communauté Internationale, si prompte à voler au secours du Kenya ? Où est-elle, l’Union Africaine, si prompte à pondre des communiqués virulents lors des récents troubles au Tchad ? Et les Américains, grands promoteurs et exportateurs de la démocratie ? Où sont-ils, tous ceux qui disent aimer la liberté d’expression ? Où sont-ils, ces défenseurs de l’Afrique qui doit se prendre en main ? Et où est Nicolas Sarkozy, lui qui, dans son célèbre Discours de Dakar, rappelait aux Africains combien il leur appartenait de construire leurs pays ?

Qui arrêtera cette dérive du Sphinx ? Qui arrêtera le soldat Biya, avant qu’il ne fasse exploser le pays Cameroun ?

Marcel-Duclos Efoudebe est l’auteur de L’Afrique survivra aux afro-pessimistes, L’Harmattan, 2007.

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