C’est par le site Gabon Media Time ce lundi 28 octobre 2019 que j’ai appris la nouvelle. Je cite : le législateur « condamne à 6 mois d’emprisonnement et 5 millions de FCFA », tout acte matérialisant un rapport sexuel entre personnes de même sexe.
Ce qui devait arriver arriva. J’étais déçu mais non surpris. A mes compatriotes d’abord, mais l’opinion générale aussi, laissez-moi vous expliquer :
Quand j’avais 8 ans, à Libreville, de nombreuses routes étaient cabossées, il y a avait des centaines de bidonvilles (matitis), à la moindre pluie les caniveaux débordaient et les inégalités sociales étaient du même niveau que celles du Venezuela, voire du Brésil.
Quand je suis revenu en 2002 à Libreville : de nombreuses routes étaient cabossées, il y a avait des centaines de bidonvilles, à la moindre pluie les caniveaux débordaient et les inégalités sociales étaient toujours du même niveau que celles du Venezuela, voire du Brésil.
Nous sommes en 2019, comment ? J’apprends que de nombreuses routes sont toujours cabossées, qu’il y a des centaines de bidonvilles, à la moindre pluie les caniveaux débordent et les inégalités sociales sont du même niveau que celles du Venezuela, voire du Brésil.
Mais voilà, le gouvernement gabonais a choisi de divertir une partie de l’opinion, de détourner la société de ces sujets là pour vous parler… d’homosexualité et de sa condamnation.
Cela ressemble à une grosse comédie. C’est évidemment triste
En tant que chanteur, je n’ai jamais caché ma bisexualité même si au final j’en parle peu. Cela ne se voit sans doute pas forcément sur mon physique mais je l’ai toujours assumé dans l’espace public, avec parfois un prix à payer. Je ne cherche pas à convaincre. C’est comme ça. J’ai un entourage extraordinaire. J’ai une famille extraordinaire et je tiens à le dire : ce sont les parents qui acceptent leurs enfants tels qu’ils sont qui doivent être encouragés, félicités, et pas ceux qui chassent leur progéniture pour des raisons supposées religieuses.
Je ne suis pas que bisexuel Mais JE le suis. JE l’assume. JE n’ai pas l’intention de m’en excuser. JE le vis très bien, merci. Et quand des gens disent que personne n’a besoin de savoir : SI. La décision du gouvernement gabonais le prouve. Alors évidemment, les homophobes gabonais (qui en général ont des choses à cacher) se réjouissent, exultent sur les réseaux sociaux. Certains parlent même de l’identité gabonaise. A ces gens-là que je combats, je ne demande pas leur avis : strictement personne n’a le droit de décider qui est un bon gabonais et qui ne l’est pas, qui est assez gabonais, qui ne l’est pas assez. Je suis né au Gabon, d’un père gabonais, je suis gabonais, j’ai eu une relation difficile avec ce pays natal (et la décision du gouvernement n’arrange pas les choses), mais mon pays est dans mes veines, il est dans mon cœur, il est dans mon âme, et ce sera ainsi jusqu’à ma mort. Tous les homophobes du Gabon ne pourront rien y changer.
Être homophobe ne fera jamais de vous, chers compatriotes réjouis par cette loi, de vrais africains. Vous pouvez croire à vos propres mensonges, je proclame que ce raisonnement relève de l’escroquerie. Je suis aussi africain que vous.
Faire croire que les pays africains seraient forcément plus homophobes que les pays occidentaux est dangereux : l’Angola, le Botswana, le Mozambique, le Cap-Vert ont légalisé l’homosexualité. Ce sont des pays africains. Bien avant l’arrivée des occidentaux, de nombreuses cultures africaines incluaient la question homosexuelle dans leur composante même si le mot homosexuel n’était pas employé.
Méfiez-vous de ceux et celles qui vous parlent sans arrêt de moralité : à eux, à elles, avant tout, qui êtes-vous pour nous juger ? Savez-vous que NOUS pouvons vous juger aussi ? Parler de valeurs africaines pour justifier la condamnation de l’homosexualité est une blague : quand il s’agit d’avoir la BMW, le sac Vuitton et le voyage à Paris, c’est curieux mais l’Occident ne dérange pas. Quant à la religion évangélique pour ne citer que celle-là, elle n’a évidemment pas surgi de la Forêt des Abeilles, elle vient d’Occident. Utiliser la religion pour exclure, condamner son semblable, c’est vieux comme le monde. Cela n’en est pas moins obscène.
Une partie de la diaspora qui se proclame résistante gardera le silence sur cette affaire en public. Mais je le sais, de nombreux ‘résistants’ contre le pouvoir gabonais en place sont également contaminés par l’homophobie, la misogynie, le tribalisme, voire la condescendance sociale. Se proclamer ‘résistant’ est juste une affaire de circonstances parfois. Je ne regrette absolument pas mon engagement contre la dictature gabonaise car je suis attaché aux droits de l’homme dans leur intégralité : je ne vais évidemment pas soutenir l’idée qu’un gouvernement n’a pas le droit d’emprisonner un être humain pour ses idées mais par contre peut emprisonner un homosexuel, une lesbienne, un bisexuel. Nous sommes de la même humanité.
Camarades hétéros qui gardez le silence, méfiez-vous : quand des gens du pouvoir décident qui est un bon hétéro ou ne l’est pas, l’absurdité peut aller très loin. Si jamais vous riez trop fort, si vous esquissez un pas de danse à votre travail, si vous dîtes que vous êtes allé voir tel film au lieu de tel film ou malheur, que vous aimez cette chemise rose, il y aura toujours un crétin pour aller parler derrière votre dos et dire que vous êtes homo, bi, même si vous ne l’êtes pas. Face à l’homophobie institutionnalisée, on n’est jamais assez hétéro. D’ailleurs, ce sera sûrement l’argument évoqué pour l’arrêt des opposants, soyez attentifs, c’est ce qui s’est passé en Tchétchénie, en Ouganda. Au final, aucun citoyen lambda ne sort gagnant de cette histoire.
Les LGBT font parti aussi de la Concorde, ils font partie de cette unité et de cette fraternité évoquée dans l’hymne gabonaise. Que se passera t-il donc ? Un ingénieur avec des compétences utiles à la société peut passer six mois en prison car tout ce qu’on retient de lui c’est qu’il aura eu une aventure avec un homme ? Je ne sais pas quand je retournerai au Gabon et pourtant je souhaite mettre en place des projets là-bas. Les circonstances bien avant cette loi n’étaient pas favorables. Je sais qu’il faudra bien que je retourne un jour là-bas. Je ne renie pas mes convictions, je ne renie pas ce que je suis, si je dois faire six mois de prison, je les ferai. Je préfère évidemment vivre et mourir tel que je suis plutôt que de ressembler à un mort-vivant. L’hypocrisie sur les questions LGBT ne peut être encouragée. Beaucoup de gens ne souhaitent plus vivre dans le mensonge.
Il y a de l’espérance malgré tout. Parce que depuis des années, j’ai croisé des gabonais extraordinaires, des hommes, des femmes, croyants, non-croyants, de toutes les générations, de tous les classes sociales, dans la diaspora, mais pas que, des personnes pragmatiques, d’une grande ouverture d’esprit, d’un respect immense. Quand je pense à tous ces gens-là, je me dis que tout n’est pas perdu, que tout n’est pas vain.
Au gouvernement actuel : retirez cette loi. Elle n’apporte rien, fait perdre du temps à la société gabonaise en général, et met des vies en danger. Il y en a assez comme ça. J’espère en attendant que comme vous êtes débordés et que vous manquez de compétences, de personnel, vous n’aurez pas les moyens d’appliquer votre politique. Enfin je reste impressionné par le manque de culture des législateurs actuels qui ont oublié que le Gabon a signé la charte de dépénalisation mondiale de l’homosexualité en 2008, aux côtés de 56 nations. Bref, on ne demande même pas le mariage, le pacs, tout ça, non. On demande simplement au pouvoir (et à ceux, celles qui le soutiennent), de nous foutre la paix…
Entendons-nous bien : je me bats depuis des années à mon humble niveau contre la haine qui touche les personnes qui n’ont pas ‘l’incroyable chance d’être hétérosexuel’ (ironie). Je continuerai de me battre ainsi jusqu’à ma mort. Car là aussi, je ne lâche rien.
Par Jann Halexander