Querelles de clocher dans l’islam afro-américain


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Mosquee de la Koutoubia

Promue religion émancipatrice par les noirs américains des années 60, l’Islam made in USA se scinde aujourd’hui en deux courants. L’un prône la coexistence pacifique avec les composantes ethniques et religieuses de la société américaines. L’autre s’affirme sur fond de racisme et d’intransigeance religieuse.

« La nation noire de l’Islam, égarée à l’ouest et qui s’est retrouvée », telle était la formule du fondateur de l’islam afro-américain Elijah Mohamed. L’Islam américain est donc dès ses origines une arme idéologique au service de la communauté noire, mais aussi une incongruité face à l’islam oriental ou arabe. En effet, Elijah Mohamed est appelé prophète, les maisons de Dieu sont appelés temples, les fidèles se réfèrent au début plus à la Bible qu’au Coran. Le but des musulmans noirs était au départ d’arracher un territoire au gouvernement américain en compensation des siècles d’esclavage. Ils rejetaient donc les musulmans orientaux – arabes, pakistanais, iraniens – intégrés dans la société blanche autant que les chrétiens blancs, alors qu’ils auraient du se sentir liés à eux dans la communauté des croyants, la umma islamique.

Le contexte de l’Islam noir américain est donc une entreprise de réhabilitation sociale : lutte contre l’alcoolisme, contre la drogue, comme le montre l’exemple de Malcolm X, lui-même petit « dealer » à ses débuts, contre la décomposition de la famille, contre la criminalité, contre la marchandisation des noirs dans l’industrie du spectacle blanche. « Un nouveau noir », coiffé court, habillé de manière bourgeoise, au comportement retenu, silencieux et réfléchi : le contraire de Mohamed Ali, qui a cristallisé l’Islam noir autour de son image provocatrice, mais ne plaisait que très peu au fondateur, Elijah Mohamed.

Orthodoxes ou « tolérants »

Cette scission se retrouve dans la succession : l’Islam US est partagé actuellement entre le courant de W.D. Muhammad, le fils d’Elijah Mohamed, et celui de Farrakhan. W.D. Muhammad a été élevé dans l’Islam orthodoxe, et a donc effacé les particularités religieuses des origines, représente la classe moyenne qui a bénéficié du « capitalisme noir » des années 80, et veut faire d’un Islam classique un moyen de développement de l’entreprise économique semblable au calvinisme du XVIème siècle. Il met l’accent sur la famille, l’éducation, les affaires. Il prône une foi privée comme moyen de réalisation d’un état islamique, critique de manière constructive la société blanche, se refuse à tout contre-racisme et à tout racisme en nouant des liens étroits avec les communautés orientales-asiatiques. Il est soutenu par les saoudiens.

Farrakhan est un tribun, capable de mobiliser des masses importantes, et qui a utilisé la provocation pour croître sur le terreau du racisme de la société américaine. C’est d’ailleurs la croissance ou la décroissance du racisme qui décide des mouvements de balancier entre les deux héritiers d’Elijah. Farrakhan s’est rendu célèbre en deux occasions : tout d’abord en 1988, en lançant une campagne contre la disproportion entre le pouvoir des juifs aux USA et celui des noirs, et ensuite en obtenant un don de l’état libyen de 50 millions de dollars, qu’il n’a pas utilisé, comme le voulait Khadafi, à l’achat de 400.000 armes pour des soldats noirs, mais à la création d’une banque « islamique ».

Le rêve des fondateurs était, par l’Islam, de renforcer la communauté noire américaine pour ensuite venir en aide à leurs frères africains. Ce rêve n’est pas si loin parfois du discours humanitaire de la Maison Blanche, sauf que les musulmans afro-américains récusent ce dernier comme stratégique et insincère. D’autres forces se sont aussi introduites dans l’Islam noir américain qui compliquent la donne : les saoudiens, les libyens et les iraniens y voient un moyen d’étendre leur influence.

Par Yahya Dimashqi

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