Quels liens entre les Touareg du Mali et Al-Qaïda?


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Corruption, trafic de drogue, banditisme, terrorisme… La région du Nord Mali est en proie à l’insécurité. Quelles y sont les responsabilités des Touareg ? Si les autorités maliennes les ont fréquemment pointés du doigt, ces derniers refusent d’endosser le rôle de boucs-émissaires. Pour Hama Ag Sid’Ahmed, le porte-parole et chargé des Relations extérieures du Mouvement touareg-Mali, Bamako a de lourdes responsabilités dans cette situation et l’expansion, en particulier, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) sur le territoire national.

Le ras-le-bol des anciens rebelles maliens est perceptible. Beaucoup se plaignent de plus en plus de l’inertie des autorités du pays face à l’Aqmi. Afin de pacifier la région du Sahel, les anciens combattants et les cadres politiques du Mouvement touareg du Nord du Mali ont décidé de mener une grande campagne de sensibilisation. Leur but : récupérer les jeunes touareg déviants et lutter contre la présence des terroristes et des trafiquants qui sévissent dans le Nord où les médias du monde entier ont focalisé leur attention après l’enlèvement de plusieurs occidentaux. Hama Ag Sid’Ahmed, le porte-parole et chargé des Relations extérieures du Mouvement touareg-Mali, dirigé par le leader de la rébellion Ibrahim Ag Bahanga, revient pour Afrik.com sur les enjeux politiques de l’implantation d’Aqmi dans la région.

Afrik.com : Pourquoi l’Aqmi a-t-il choisi le Sahel pour s’implanter?

Hama Ag Sid’Ahmed :
Il faut revenir en arrière pour mieux comprendre comment l’Aqmi s’est implanté dans la région du Sahel. En 2003, les barons de la drogue qui gravitaient autour des autorités de Bamako prennent contact avec ce groupe terroriste lors de la prise d’otage d’Européens dans le sud algérien, à Illizi. Ils les invitent à s’installer au Mali et à négocier la libération des otages contre de fortes sommes d’argent. Après la libération des Européens, un deal est passé entre les terroristes et les officiels maliens : l’Aqmi peut circuler discrètement en territoire malien ou le quitter à condition qu’il ne s’en prenne pas aux intérêts du Mali. Le groupe djihadiste conduit par Ben Moctar s’installe à Tombouctou et crée des liens familiaux. Les barons de la drogue les aident à blanchir les sommes versées contre la libération des otages, sous l’œil bienveillant des autorités maliennes. En 2005, la rébellion touarègue éclate dans l’Adrar des Iforas et, en 2006, un accord de paix est signé à Alger. Les rebelles demandent notamment la mise en place d’unités spéciales pour assurer la sécurité dans les zones nomades. Finalement, tout est rejeté en bloc et les terroristes prennent racine.

Afrik.com : Pourquoi l’accord de paix n’a-t-il pas normalisé la situation?

Hama Ag Sid’Ahmed :
Il s’agit juste d’un marché de dupes. Les Touareg qui souhaitent une paix définitive dans la région ont fini par se replier sur eux-mêmes. Désormais la stratégie de Bamako se précise : contrer les revendications touarègues par la présence des terroristes, et réussir ainsi à remettre en cause l’accord de paix. Pendant ce temps là, l’Aqmi a le champ libre et peut créer des antennes locales de recrutement, de renseignement et blanchiment d’argent, provenant des rançons. La cohabitation entre l’Aqmi avec les casernes maliennes est ordinaire. Certains officiels politiques et militaires maliens y trouvent leur compte. Des patrouilles militaires sortent pour des missions bidons afin de vendre uniquement des munitions à l’Aqmi. Les politiques se transforment en négociateur lors de la libération des otages pour acquérir la reconnaissance de l’Etat malien, celle des ravisseurs, mais surtout bénéficier de certaines largesses financières de l’Aqmi. Ce groupe terroriste est devenu en une année très important et puissamment armé. Cette « ascension » n’aurait pas été possible dans le sud algérien. L’armée n’aurait pas permis à l’Aqmi de faire de la promotion. Pour ce groupe terroriste, le Sahel est la terre promise, le territoire le plus fertile car les Etats sont fragiles, la corruption est extrême.

Afrik.com : Quelle est la position des Touareg face à ce groupe terroriste ?

Hama Ag Sid’Ahmed :
La position des Touareg est claire par rapport à l’Aqmi. Ils avaient demandé la mise en place d’unités spéciales dans l’esprit de l’accord, une insertion des Touareg dans la vie civile et politique. Bamako n’a pas réagi. En janvier 2010, l’ensemble des sensibilités du Mouvement touareg se sont réunies à Alger. Elles avaient demandé aux autorités maliennes de revenir sur les engagements. Bamako a tout simplement ignoré cet appel. Plus récemment encore, du 31 au 1er novembre 2010, les membres d’une douzaine d’associations touarègues dont les membres fondateurs sont tous des jeunes cadres touarègues ont tenu une grande rencontre dans la ville de Tombouctou. Ils avaient dénoncé le chaos créé par Bamako et la responsabilité historique et l’Etat malien dans les régions Nord du Mali. Malheureusement, cette rencontre s’est terminée par une conclusion alarmante : l’arrestation des deux jeunes cadres touarègues à Tombouctou, emprisonnés à la prison de Bamako. Pour le moment, les Touareg font le constat de la situation. Ils tentent de se faire entendre de la communauté internationale pour prendre en charge le devenir de ce territoire qui n’est plus vivable dans la situation présente.

Afrik.com : Existe-t-il des liens entre l’Aqmi et les Touareg ?

Hama Ag Sid’Ahmed :
Je ne dis pas qu’il n’y a pas un lien entre des Touareg et le groupe djihadiste. Certains sont tentés par les facilités offertes par l’Aqmi, la seule entreprise au nord qui fonctionne et gagne tous les marchés sans faire de l’investissement. Mais cela reste très infime. Nous savons que les  autorités maliennes ont fait en sorte que les jeunes soient tentés par toutes ces activités illicites. Les jeunes, abandonnés par l’Etat et aussi souvent par leurs responsables politiques et militaires touareg, ne savent plus vers qui se tourner. Alors, certains ne se posent plus la question. Ils constatent que certains responsables politiques et militaires, y compris les autorités centrales maliennes, rencontrent l’Aqmi et font des affaires avec ce groupe. Si des solutions ne sont pas trouvées, la situation pourrait s’aggraver. L’exemple doit d’abord venir des responsables politiques et militaires maliens. Récemment, le Mouvement Touareg sur le terrain a mené une grande sensibilisation auprès des jeunes pour les récupérer. Il a bien avancé. On pourrait encore aller plus loin si les Touareg avaient les moyens nécessaires Il suffit de s’y mettre, de leur en offrir l’opportunité et qu’ils profitent aussi de cette opportunité. On ne peut pas se passer des Touareg si on veut réellement mener une lutte efficace contre les groupes terroristes dans la région sahélo-saharienne.

Afrik.com : Pourquoi les autorités maliennes sont-elles réticentes à une aide des Touaregs pour lutter contre le terrorisme ?

Hama Ag Sid’Ahmed :
Les autorités maliennes ne donneront pas les moyens nécessaires aux Touareg pour lutter contre les groupes armés de l’Aqmi. Pour Bamako, les Touareg bien équipés pourraient retourner leurs armes contre l’armée malienne. Les autorités militaires et politiques maliennes ont trop peur de les équiper ou de leur donner des moyens militaires nécessaires pour chasser les terroristes de la région. N’oublions pas aussi que la présence de l’Aqmi profite aux barons de la drogue, à certains officiers et politiques. Par ailleurs, il y a cette culture de la méfiance que cultive Bamako depuis l’indépendance à l’égard des communautés du Nord malien. Une méfiance permanente. Un rejet de l’autre qui est d’ailleurs à l’origine de tous les conflits armés et politiques entre les Touareg et le pouvoir en place.

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