Le Congo-Brazzaville compte pas moins de 37 ministres pour une population de 3,5 millions d’habitants. Un gouvernement pléthorique, donc. Mais la plupart des ministres brillent par leur inutilité. Et, surtout, par leur capacité à faire du « Chemin d’avenir », le projet de société du président de la République, une littérature soporifique pour les uns et toxique pour les autres. Des ministres qui, le plus souvent, parlent plus du travail que de l’emploi…
« Il y a quoi à visiter à Brazzaville ou à Boundji ? », demande un Italien féru d’exotisme à un Congolais de Venise. « Rien ! Ou si vous voulez, l’incongru et l’insolite », répond ce dernier, cruel. Cet échange témoigne du gouffre qui existe entre la belle capitale lacustre de l’Italie et, par exemple, Mossaka, la Venise du Congo. Pourtant, il existe bel et bien un ministre de l’Industrie touristique et des Loisirs au Congo. Lequel participe, tout le temps, aux sommets et salons sur le tourisme : des missions qui ne rapportent rien au Congo. Tandis qu’au Cameroun la première édition de Cameroon Holiday’s – « Promouvoir le Cameroun comme destination africaine » – battait son plein, au Congo, c’est Henri Djombo, le ministre du Développement durable, de l’Economie forestière et de l’Environnement qui volait au secours de son collègue inutile Martial Kani : « Aujourd’hui, nous aimerions que ce site d’Odzala-Kokoua, par l’abondance de sa biodiversité, puisse faire du Congo une grande destination internationale sur le plan touristique » (Les Dépêches de Brazzaville) Les loisirs? Une notion inconnue au Congo. Martial Kani est à l’image de la ministre des PME et de l’Artisanat : aucune politique efficace du tourisme et des PME, mis à part les hôtels et les auberges qui pullulent tels des champignons. Qui plus est d’une cherté inadmissible. Ces ministres favorisent-ils les PME qui sont l’affluent majeur de toute économie?
Martial Kani et Adélaïde Mougany rejoignent Alain Akouala dans la liste des ministres inutiles. Aucun doute, ce dernier est le ministre le plus simple (pour ne pas dire le plus simpliste), le plus accessible. Très affable. Hélas ! Cela ne suffit pas à faire de lui un ministre utile. Son portefeuille n’existe que pour les « Sapelogues » qui l’encensent, à défaut de lui tailler un… costume. Ses « zones économiques spéciales » – modèle importé d’Ile Maurice -, personne au Congo ne les connaît, sinon comme un mythique cargo à l’horizon des illusions perdues. « Alain Akouala ne sait pas non plus ce que signifie « les zones économiques spéciales », ironise autre un ministre, avant de poursuivre : « Quand bien même elles existeraient, elles manquent d’efficacité. »
Henri Ossébi, lui, stupéfie le monde entier. Et pour cause : le ministre de la Recherche scientifique est un homme politique doublé d’un intellectuel ; son intelligence et sa hauteur de vue sont époustouflantes. Son parti, Agir pour le Congo, serait activement financé par son neveu Edgar Nguesso, peut-être le futur président du Congo. Mais, sur le plan du bilan politique, c’est la page blanche. Ou plutôt le Sahara. Et, « le plus difficile dans le désert, c’est de trouver la sortie ». Quelle utilité a le ministère de la Recherche scientifique sans chercheurs ? L’université, portefeuille ministérielle d’Ange Abena, demeure sinon une fiction, du moins une antiquité. L’Enseignement supérieur est basé uniquement sur la théorie, faute de matériels et de salles de travaux pratiques. Fidèle Mialoundama, le seul chercheur visible, vient tout droit de l’université d’Orléans. Et il ne dépend pas du ministère de la Recherche scientifique mais de celui de l’Agriculture. Une anecdote : en juin 2010, des journalistes français désirent interviewer Théophile Obenga dans les locaux de l’université Marien Ngouabi. Refus catégorique du professeur. Il ne veut pas cautionner la primitivité de la seule université congolaise. Néanmoins, pour ne pas froisser les journalistes, il leur suggère d’interroger les ministres chargés de l’Enseignement.
Les fossoyeurs de l’Education nationale
Outre l’inutile Ange Abena, il y a madame Rosalie Kama Niamayoua, la ministre de l’Enseignement primaire et secondaire. C’est une litote malsaine que d’asséner « l’école congolaise ne se porte pas mal ». Non, cette école-là ne vit pas. Madame la ministre est invisible sur le terrain. A-t-elle déjà fait le tour du Congo pour s’imprégner de la réalité de la carte scolaire? A fortiori, son splendide 4×4 n’est pas un tout-terrain. Seule compte sa circonscription, où elle fait des dons devant les caméras, toujours dans la perspective des échéances électorales à venir. Dans son esprit, les Congolais constituent un peuple d’assistés, alors il faut les « cadeauter ». Ses actions phares : deux ou trois descentes filmées, dans les écoles, à la rentrée ou lors des examens. Le niveau scolaire est hautement bas, et tant pis pour les Congolais de demain. « Madame Kama, c’est l’exemple même de l’inertie. Depuis des années, elle ne résout aucun mal de tous les maux décriés. En visitant une école dont le bâtiment date du Moyen – Age, il a fallu que je sorte 10000 FCFA de ma poche pour les craies, » s’emporte un député du PCT (Parti congolais du travail), sous couvert d’anonymat. Et de citer Abraham Lincoln : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance. » Oui, Son Excellence, Rosalie Kama Niamayoua, a deux siècles de retard : au moment où Abraham Lincoln prononça ces mots, l’école congolaise n’existait pas. Comme aujourd’hui. Car, comment comprendre qu’au Congo, où le calcaire abonde, notamment à Loutété, les écoles puissent manquer de craies? Comment comprendre que le Congo, pays forestier à souhait, puisse manquer de table bancs ? Pour qu’une école reçoive des tables bancs, c’est soit un don de l’Union européenne, soit d’un particulier. Plus grave encore, le personnel enseignant, mal formé, se réfugie dans l’école privée, cette mode nauséabonde. A bas l’école publique, celle qui a fait l’élite dirigeante actuelle!
Un élève de troisième ignore ce qu’est un ordinateur. A quoi sert Thierry Moungalla, le ministre des Technologies ?
Il y a André Okombi Salissa, le ministre de l’Enseignement technique et professionnel. Un cumulard hors pair. L’ubiquité seule est son obsession. Hormis son portefeuille ministériel, il est à la fois président d’un parti politique, le CADD-MJ, et secrétaire exécutif du PCT. Mais là où le bât blesse, c’est que ce ministre constitue un danger pour l’Enseignement technique et professionnel. La majorité des directeurs départementaux et centraux de l’Enseignement technique et professionnel sont membres de son parti ! Quitte à ne disposer d’aucune compétence en la matière ! « Pour avoir mon poste, j’ai seulement adhéré au CADD-MJ », avoue un cadre de l’Enseignement technique. Lequel n’a jamais exercé dans l’Enseignement avant sa nomination. Okombi Salissa met un taximan à la place d’un maçon, juste pour des raisons de présence simultanée en tout lieu. « Durant les fêtes de fin d’année 2010, nous étions tous invités à Lékana (village natal du ministre), la fête entre membres du parti et collègues était sublime. Plus de 500 convives ! Une belle démonstration de force », s’exclame un arriviste du CADD-MJ, lui aussi cadre de l’Enseignement technique et professionnel. Et quand on lui demande ses constats, analyses et propositions des maux qui minent son secteur d’activités, c’est silence radio. Mais, bientôt, il esquisse un large sourire en invoquant le programme « Sankoré » dont Alain Madelin, ancien ministre français, s’occupe en Afrique – il s’agit d’une mission pour l’Education en Afrique, dont le but est de scolariser tous les enfants avant 2015, dans le cadre des Objectifs du millénaire de l’ONU. A croire que pour vivre, le Congo doit attendre les projets et les moyens d’ailleurs.
L’on peut comprendre que Denis Sassou Nguesso ne soit plus enclin à créer d’autres opposants radicaux, des Mathias Dzon, pour employer une antonomase. Mais un homme politique de son rang se doit d’ignorer les frustrations des uns et des autres. Le Congo n’a besoin que de 15 à 18 ministres, et encore les utiles. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Et si « Le chemin d’avenir » n’était qu’un chemin pour le chaos total à venir ? Denis Sassou Nguesso a pris ses distances avec son gouvernement. Mais il ne le révoque pas (Il est plus préoccupé par son image : il a déboursé des millions pour un documentaire sur sa vie, bientôt sur les chaînes de télé, réalisé par des journalistes sénégalais). Un membre important de son entourage reconnaît qu’au Congo on vit à tous les niveaux de racket. Et de recommander la (re)découverte de Mao : « Là où le balai ne va pas, la poussière ne s’en va d’elle-même. »