A force, ça finit par faire bizarre, très bizarre…
Voilà bientôt 200 jours que Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, fille et fils de Harkis, vivent sur le trottoir de l’Assemblée nationale. Chaque matin depuis le 5 mai, place Edouard Herriot, ils déploient d’immenses banderoles accusatrices sous le nez des députés. Afin que Nicolas Sarkozy reconnaisse, comme il s’y était engagé pendant la campagne présidentielle, les éminentes responsabilités de l’Etat français dans la tragédie de leurs pères. Depuis le massacre des Harkis et des Algériens francophiles (entre 45.000 et 150.000 morts, voire davantage) jusqu’à la calomnie, en passant par les camps.
Seuls les médias pourraient sans doute acculer le pouvoir à sortir de son scandaleux autisme, tant est grande en France la sympathie qu’inspire la cause harkie.
Or depuis plus six mois, la couverture médiatique de l’événement est quasi nulle.
Pourquoi ?
« Les médias bafouent la Charte du journaliste »
Hamid Gouraï a son idée sur la question :
« Les médias français s’autocensurent eux-mêmes. Ils calquent leur attitude sur celle des hommes politiques. Quitte à bafouer la Charte du journaliste, qui proclame le droit à l’information. C’est un signe de l’extrême dépérissement des principes démocratiques et républicains dans la France d’en haut contemporaine. Si un homme politique important parle de nous, alors on verra 150.000 journalistes de tout bord s’intéresser soudainement à nous… »
En attendant, la presse française, à l’instar de la classe politique, de droite comme de gauche, ferme bien sagement ses petits yeux et ses petites bouches.
Et pour cause : le martyre des Harkis fut la conclusion logique et implacable du largage anti-« bougnoulisation » de l’Afrique, dont l’Algérie fut l’atroce point d’orgue. Un gigantesque scandale que la très affaiblie Ve République blanciste et sa superstructure politico-médiatique, sacrifiant à une stratégie délétère vieille de cinquante ans, tentent de continuer de dissimuler au peuple français. Mentir encore et toujours au peuple, le pays dût-il s’en disloquer. Mais l’essentiel n’est-il pas, pour toute sorte d’intérêts croisés, de préserver l’image de marque d’un système aux abois ?
« Sales Harkis, retournez chez vous en Algérie ! »
Zohra Benguerrah constate :
« Depuis six mois, alors que nous ne demandons qu’à dialoguer, seuls deux députés sont venus nous voir, en septembre. Ils nous ont dit qu’ils poseraient une question à notre sujet au gouvernement dans l’hémicycle, et nous attendons toujours… En revanche, aucun député de l’UMP n’est venu nous voir. Bien au contraire, le député-maire UMP d’Elancourt, M. Jean-Michel Fourgous, est venu à deux reprises nous injurier et nous menacer. »
Abdallah Krouk explique :
« Le 27 octobre au matin, M. Fourgous est arrivé et a hurlé, sur le trottoir d’en face : « Sales Harkis, retournez chez vous en Algérie avec vos banderoles, vous êtes la honte de la France ! Vous avez un problème psychologique, vous nous faites chier ! Je vais vous casser la figure ! » Mais nous ne sommes pas tombés dans le piège. Au gendarme qui s’approchait pour le calmer, M. Fourgous a brandi sa carte de député. Et le gendarme n’a plus bougé. »
Hamid Gouraï commente :
« Nous avons déposé plainte contre M. Fourgous auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris. Ce comportement raciste est indigne et intolérable de la part d’un député de la République, sa place n’est plus à l’Assemblée nationale. Nous avons également écrit au président de la République afin que des mesures soient prises à l’encontre de M. Fourgous ».
« De Gaulle était un traître à la République »
Hamid poursuit :
« N’en déplaise à M. Fourgous et à ses amis, nous sommes Français, même si nous sommes traités en sous-Français depuis des décennies. Comme le rappellent nos banderoles qui exaspèrent M. Fourgous, le général de Gaulle a fait délibérément massacrer les Harkis sous prétexte que les Harkis et les Algériens auraient « bougnoulisé » la France et transformé son village en « Colombey-les-Deux-Mosquées ». C’est aussi pour cela que de Gaulle a livré l’Algérie au FLN, pour qu’il fasse le ménage et impose un lavage de cerveau aux Algériens qui majoritairement préféraient rester Français ».
Zohra ajoute :
« De Gaulle était un raciste et un traître à la République. Il a trahi la France et les Français, Algériens et Noirs africains y compris. »
Abdallah prévient :
« Les députés peuvent nous mépriser, nous injurier, nous menacer. Nous avons l’Histoire avec nous. En mémoire de nos pères qui sont restés fidèles jusqu’à la mort au drapeau tricolore, nous n’abandonnerons jamais le combat. C’est l’honneur de la France que nous défendons, en même temps que celui de nos pères. Nous resterons ici, des années s’il le faut, jusqu’à ce que M. Sarkozy tiennent ses engagements. Nous sommes galvanisés. Le froid, la pluie, les conditions de vie que nous subissons ici ne sont rien comparés aux souffrances de nos pères. Notre combat est la preuve suprême que nous sommes Français, même si cette dignité nous a été refusée, comme le prouvent le mépris et les injures que nous avons subies, entre autres, de M. Fourgous ».
L’identité nationale commence par les Harkis
Zohra, emmitouflée pour déjouer le froid, conclut :
« Les députés passent sans nous voir, la presse nous ignore, l’Elysée se tait. Dans leur luxe, quand ils mangent le dimanche avec leurs enfants, est-ce qu’ils pensent à nous qui mangeons dans la voiture en novembre ? Ont-ils conscience du mal qu’ils nous ont fait ? Car le mépris que nous vivons ici depuis six mois est le même mépris qui a provoqué la tragédie de nos pères… »
Hamid complète :
« Et après ça, ils nous parlent d’identité nationale ! Définir l’identité nationale, cela implique d’abord de cesser de traiter les Harkis comme des non-Français. »
Voilà qui s’appelle enfoncer une porte ouverte verrouillée à triple tour…