Quand le peuple se rend justice


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arton24183

Justice populaire ? C’est très souvent une injustice ! Certaines élections démocratiques, par exemple, relèvent de la justice populaire : la loi démocratique est dure, mais c’est la loi.

Si vous vous trouvez nez à nez avec des défenseurs de la justice populaire, notez l’air outré qu’ils prennent invariablement. Ils soutiennent avec force images et un grand luxe de détails personnels les forfaits inadmissibles et visiblement irrémissibles de ces larrons invétérés. Ceux-ci sont tués à petit feu par une foule avide de sang, qui les incinère après une longue et méthodique torture où chaque bourreau y va de son petit supplice.

Choses vues et entendues

Lui a-t-on aplati les testicules ? Pas encore ? Quel oubli fâcheux ! Vous avez failli l’envoyer ad patres avec des testicules bien conservés. L’enfer même ne survivrait pas à ta prolifération. Tiens ça et ça et ça ! Chien vert ! Voleur ! Traitre de ta race ! Non, ne lui crevez pas l’œil gauche, il faut qu’il voie la mort arriver. La douleur sans effroi ne vaut rien ! »

Une femme témoigne, amère : « ces brigands sont irrécupérables, voilà tout ce qu’ils méritent. Emmenez-les à la police, on les déclarera fous, ou ils seront relaxés moyennant des pots-de-vin, ou encore ils purgeront une peine de trois ans, au terme desquels ils recommenceront et n’hésiteront pas à violer votre femme ou votre fille devant vous. Tu les défends monsieur parce que tu n’as encore jamais été victime. Une mort exemplaire, au moins pourra-t-on dire qu’ils ne l’ont pas volé. Ton humanité et ta compassion, tu te les carres où tu veux, je fais, moi comme c’est juste. Quant je passe en taxi et vois une telle mise à mort, je m’arrête par solidarité et me trouve un gourdin pour l’achever deux fois plutôt qu’une ».

Si ceci n’est pas un indice de barbarie, c’est au minimum le signe d’une évidente arriération de nos mentalités. Les victimes de vol doivent se mettre à l’écriture pour évacuer leurs traumatismes : porter plainte ou écrire, comme Brassens, des stances à leurs cambrioleurs. Parce que ces derniers mettent souvent de l’humour à détrousser leur victime.
Il est trois heures ou peut-être quatre, Voici à quoi ressemble actuellement leur modus operandi à Douala. Ceci, malheureusement, est une histoire vraie :

«- Toc toc toc !

Qui va là ? répond le jeune Brice qui « dort » devant la console de jeu que sa mère lui a envoyée depuis Bordeaux.

C’est nous les bandits. Inutile d’ouvrir, SVP envoyez les téléphones portables, laptops, consoles de jeux, et de l’argent, par la fenêtre. »

Sont-ils armés ? Que non ! Enfin, il y a bien un bidon d’essence et un briquet. Sont-ils une armée ? Ils sont souvent deux. Les victimes ont rarement le réflexe d’appeler les forces de l’ordre. Elles s’exécutent.
Quand par contre un faux contestataire, courageux, et souvent téméraire, comme Brice, qui n’avait aucunement l’intention de brader ses gadgets à la première menace proférée, quand un jeune inconscient ose dire : « Non, on ne donne rien ! Foutez le camp ! »
Les voleurs déversent leur liquide partout et mettent le feu sans façon. S’ils ont le malheur d’être rattrapés par un téméraire, la justice populaire qui, comme chacun sait procède très sommairement et ne connaît pas de procédure contradictoire, les exécute fissa. L’un des suspects a-t-il réussi à s’enfuir ?

Il se trouve toujours un quidam dans la foule qui connaît son domicile et y conduit la foule furibonde pour le brûler vif devant sa famille, au grand dam de celle-ci. Parce que, aussi étonnant que cela paraisse les canailles appartiennent aussi à leur famille, quand ils ne sont pas les enfants, ils en ont.

La révolution est une justice populaire

La violence est un sport intellectuellement étayé. Ceux des Camerounais qui souffrent le plus peuvent se découvrir l’âme de froids exécuteurs, lors de ces exécutions publiques, ces foires de la justice qui depuis des années se déroulent au cœur de nos marchés.

Pourtant si l’on établit la possibilité que cette violence se déporte sur le champ politique, l’idée sera balayée d’un revers de la main par nos fats futurologues qui, étalant leur connaissance illimitée du passé, vous apprendront, à vous l’inculte, que : « Les Camerounais ont déjà versé leur sang par le passé, ils sont plus mûrs que cela.» Ainsi est entretenue dans le corps social la conscience que le Cameroun est quelque chose que de mieux que le frère ivoirien, que les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets.

Il se peut faire que ce nouveau septennat se close en effet sur l’ « apathie» coutumière par laquelle on se plait désormais à caractériser les Camerounais. Mais le président Biya ne devrait pas selon nous trop tirer sur cette corde de la suffisance. Plus d’un mois après sa triomphante ré-ré-ré-ré-ré-ré-élection, le nouveau gouvernement n’est toujours pas dévoilé. Il n’y a donc aucun changement dans l’état d’esprit de ceux qui nous gouvernent, ils se savent vraiment en dehors du temps, attendu que celui-ci ne les atteint en aucune façon : année après année, les atours sont toujours plus éclatants, les cheveux plus noirs, la domination plus écrasante…

L’on ne peut impunément annoncer le recrutement de 25.000 jeunes, n’en retenir que 25.0000 dont on sait que dix mille recrues au moins détiennent de faux diplômes ou seront disqualifiées par suite d’irrégularités en tous genres. Pourquoi se moquer de ceux qui souffrent ? C’est stupide, méchant et absolument dangereux ! C’est proprement réunir les conditions d’apparition d’un mécontentement populaire. Il faut se méfier d’un peuple qui dort : 2011 (c’était le 11 février, fête de la jeunesse !) a emporté avec sa violence Moubarak ; il ne faudrait pas que 2012, qui aura aussi son lot de surprises politiques, emporte le président Biya que le peuple vient de choisir par acclamation, presque à l’unanimité plus une voix (celle de Dieu). Que monsieur Biya forme un gouvernement ou d’autres que lui pourraient fort bien être tentés de le faire ! L’agenda de la justice populaire ne coïncide pas toujours avec l’agenda électoral : ceci s’étant bien passé, cela peut toujours dégénérer.

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