Quand le cinéma angolais renaît


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Le Festival du film de Paris a décerné, mardi dernier, le Prix du Jury au film de Maria João Ganga. Na Cidade Vazia (Attends, la ville sera vide). Quelques heures avant cette distinction, nous avions rencontré, dans les coulisses du festival, la réalisatrice angolaise dont le travail est un signe de la renaissance du cinéma angolais après vingt ans de guerre.

Prix du jury Graine de Cinéphage au festival des films de femmes (Créteil, France), Prix du Public et 3è Prix du Jury au Festival du film du cinéma africain, d’Asie et d’Amérique Latine (Milan, Italie) et, depuis mardi dernier, Prix du Jury du Festival du film de Paris. Maria João Ganga ne cesse de récolter des récompenses pour son premier long métrage Na Cidade Vazia (Attends, la ville sera vide). la réalisatrice angolaise est tombée amoureuse du cinéma à Paris et c’est Paris qui récompense son travail. Sa sélection en compétition officielle relevait déjà pour elle du rêve. « Je suis très contente, j’ai du mal à l’imaginer. Mais je me dis que s’il a été sélectionné, c’est qu’il a quelque chose..», disait-elle tantôt. Pourtant, c’est une femme dont les pieds sont solidement ancrés dans la réalité. Surtout quand elle parle de son pays, de la violence qui est faite aux enfants notamment du fait de la guerre. Son film, en effet, parle des tribulations d’un orphelin pendant le conflit angolais. Maria João Ganga est née en 1964 à Huambo (centre de l’Angola). Elle est mariée et mère d’une magnifique petite fille de six ans.

Afrik : Pourquoi avoir choisi de faire du cinéma ?

Maria João Ganga : Au début, j’étais venue en France pour faire des études de médecine. Mais quand on connaît Paris, est-ce qu’on a envie de faire des études de médecine ? Paris se prête, à mon avis, à tout sauf à étudier la médecine. Alors, j’ai décidé de faire du cinéma.

Afrik : Comment vous est venue l’idée de ce scénario ?

Maria João Ganga : Ce scénario m’a été inspiré par la souffrance des enfants en période de guerre. J’ai écrit ce long métrage dans les années 90 et je ne l’ai terminé qu’en janvier 2004, près de quinze ans plus tard. A cette époque dans mon pays, on avait l’impression que les choses allaient changer, que la paix allait revenir. Il aura fallu la mort de Jonas Savimbi pour que s’achève cette connerie… dix ans plus tard. J’ai donc attendu une quinzaine d’années pour avoir les moyens et la possibilité de tourner ce film en Angola.

Afrik : Comment décririez-vous l’Angola d’après guerre ?

Maria João Ganga : C’est un pays qui porte bien évidemment les séquelles de la guerre dont les conséquences sont toujours terrifiantes. Surtout sur le plan humain où les gens sont dévastés. Cependant, je sens comme un sourire qui plane dans le pays depuis que le monstre de la guerre s’en est allé. L’Angola est à reconstruire, tout est à faire mais le fait d’avoir de l’espoir nous fait revivre.

Afrik : Quelle est la place de l’art, du cinéma en particulier, dans cette démarche ?

Maria João Ganga: Quand la guerre devient une priorité, on oublie l’art surtout le cinéma compte tenu des moyens qu’il nécessite . Néanmoins dés que la guerre s’est achevée, le gouvernement a apporté son appui à trois cinéastes. En vingt ans, on avait rien eu et tout d’un coup, on s’est retrouvé avec trois longs métrages. Même si ce soutien n’est pas systématique, on sent que les choses sont en train de changer.

Afrik : Comment avez-vous réuni le casting de ce film, surtout en ce qui concerne les enfants ?

Maria João Ganga: En fait, comme je ne pouvais pas faire de cinéma, je me suis rabattue sur le théâtre. La majeure partie des acteurs est donc issue du théâtre. Quant, aux enfants, j’ai réalisé un grand casting qui a attiré beaucoup d’enfants. Le cinéma les fascine de fait beaucoup.

Afrik : Ce ne sont donc pas des enfants de la rue ?

Maria João Ganga : Non ! Je ne me voyais pas les y retirer, comme je l’ai fait pour mes personnages principaux, les côtoyer pendant une aussi longue période -entre la préparation du film et le tournage, huit mois environ – et les abandonner plus tard comme si de rien n’était.

Afrik : Comment avez-vous dirigé le personnage principal ?

Maria João Ganga : Vous savez que les enfants ont une grande capacité à créer, à imaginer…Roldan João, celui qui incarne N’Dala (le personnage principal, ndlr), m’a ému par sa sensibilité, son intelligence. Des qualités d’acteur en définitive… Pour les enfants, je suis comme une grande amie notamment pour les personnages principaux avec lesquels, je suis restée en contact.

Afrik : N’Dala a-t-il une signification particulière ?

Maria João Ganga : Il m’est très difficile de vous l’expliquer correctement… N’Dala, en umbundi, pourrait être traduit par « celui qui est marqué ». C’est un prénom assez commun, très fréquent dans la région de Bié (centre du pays, province dont est originaire N’Dala dans le film, ndlr).

Afrik : L’histoire se déroule-t-elle dans les bidonvilles de Luanda ?

Maria João Ganga : L’histoire se passe en plein centre ville mais j’ai voulu insister sur ce côté « urbain décadent ».

Afrik : Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ce film ?

Maria João Ganga : Je veux dire aux gens d’arrêter de faire du mal aux enfants, de leur faire subir la violence en général. Ce sont toujours les premières victimes de la guerre, en Angola ou ailleurs.

Afrik : Manu Dibango participe à la musique du film…

Maria João Ganga : Je connaissais la musique de Manu Dibango et quand j’ai commencé à écrire le scénario de ce film, je n’arrêtais pas d’écouter la musique que l’on entend dans le film en boucle (Wild Man in the City, ndlr). Et puis j’ai demandé à le rencontrer en 1991, on s’est fixés rendez-vous. A notre rencontre, Manu Dibango, très sympathique, a rejoué pour moi quelques accords de cet air. Et je lui ai dit que je voulais cette musique pour mon film. Je l’ai revu plus tard et puis j’ai fait toutes les démarches nécessaires, au moment de la réalisation du film, pour utiliser sa musique près de dix ans après. C’est vraiment une grande joie pour moi.

 Na Cidade Vazia : Sortie angolaise prévue pour mai 2004

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