Les missions civilisatrices sont de retour et les armées de « libération nationale » sont désormais en Afrique des armées étrangères, celles précisément contre lesquelles on se battait par le passé. Faut-il en conclure que nous sommes devenus pour nous-mêmes notre plus grand ennemi ?
François Hollande a annoncé que la France est en train de gagner « la » bataille au Mali. On sait tous que c’est dans une guerre que la France s’est engagée. Alors quelle bataille au juste est-elle en train de gagner ?
Faut pas vendre la peau des djihadistes avant de les avoir tués
Chasser les djihadistes c’est faire à l’envers ce que les djihadistes faisaient il y a quelques mois. C’est que la reconquête territoriale marque simplement un reflux des islamistes dans les montagnes, mais ne signe pas leur capitulation. Comme dans le fameux tour cycliste, comme du temps de Lance Armstrong, l’armée française fait le tour du Mali en chars, elle réinvestit les villes anciennement conquises, étape après étape… Cela lui confère-t-il au bout du circuit la victoire qu’elle revendique déjà ?
Admettre que les djihadistes (que les médias français ont progressivement arrêté d’appeler terroristes) se fondent dans la population, c’est reconnaitre qu’ils sont une partie de cette population. La victoire ne sera pas seulement militaire, pour se pérenniser elle doit selon moi être politique, idéologique et matérielle. De ce point de vue, les appuis financiers qui sont annoncés ici et là seront précieux.
Grâce à la France, les Maliens sont à nouveau autorisés à boire et à fumer, les hommes ne sont plus humiliés devant leurs femmes à coups de fouet, fort bien ! Les femmes peuvent laisser tomber leurs voiles devant le premier tombeur venu, à nouveau l’accès à l’eau et à l’électricité est généralisé. Et après ?
Le Mali est en butte à des problèmes politiques profonds. C’est un pays trop vaste et comme la plupart des Etats africains trop peu décentralisé. Les gouverneurs des régions ne sont pas élus. Tous les pouvoirs sont concentrés en les mains d’un pouvoir central fragilisé par les immixtions régulières de l’armée dans l’exercice du pouvoir.
Par suite, on ne peut être que sceptique face à la stratégie française, qui mise tout sur la logistique et la puissance de feu. Peut-être en réalité faut-il travailler à fédéraliser le Mali, il est temps d’envisager la possibilité de référendums dans l’Azawad, Bamako doit consentir aux islamistes des pouvoirs politiques plus étendus.
Le modèle unitaire et l’absence d’une représentativité de toutes les régions (il n’y a pas de sénat) au parlement, notamment celles du Nord, sont des causes structurelles des frustrations des Touarègues et de la montée de l’Islamisme dans ce pays presque exclusivement musulman (à plus de 90%).
La guerre sera gagnée sitôt que le vaincu aura reconnu sa défaite, qu’il sera désarmé ou lié par son impuissance à réagir, ce qui n’est pas… gagné. Tant que l’ennemi se bat ou peut frapper à nouveau, mais alors rien n’est réglé ! La guerre n’est pas finie et la victoire est en suspens (en fait de coordination de deux idées, il y a répétition des mêmes faits) tant que l’ennemi se planque.
L’illusion française d’une victoire au Mali
Combien de temps durera la débandade islamiste ? L’emporter sur ses ennemis, c’est aussi les pacifier, installer un dialogue entre les belligérants. Qu’est-ce qui concrètement est fait pour que structurellement le Mali ne soit plus déstabilisé par sa propre armée, par exemple ?
On a tremblé au Sénégal, à la fin du mandat d’Abdoulaye Wade, la Côte d’Ivoire a crashé, le Ghana nous a récemment donné des sueurs froides… Finalement, l’expérience démocratique en Afrique n’est jamais que provisoire. Régulièrement cité en exemple par la Communauté Internationale, après la chute de Moussa Traoré, le Mali est surtout dénoncé aujourd’hui pour les exactions de son armée, et ne fait plus envie aux plus envieux des pires dictatures d’Afrique centrale.
Les « Africains » (dans la bouche du président français on ne sait si ce sont les forces de la CEDEAO ou de l’Union Africaine qui sont ainsi désignées) iront soutenir la France, comme le Mali soutient déjà la France dans cette guerre qui est devenue sa guerre. Si dès la chute d’Amani Toumani Touré, la France avait a priori daigné coordonner son action avec celle des « Africains », on n’en serait pas là.
Plusieurs mois après la destruction des mausolées de Tombouctou, la reconquête de cette ville est tardive. La France s’est trop fait prier et, aujourd’hui, ne peut au mieux que réussir à stabiliser les forces politiques en présence. A moins de compter pour rien les adolescents que CNN nous présentait dans la nuit du 28 février comme des victimes collatérales des missiles français.
A part gagner les droits de se raser la barbe et de porter les minijupes, les Maliens et les Maliennes n’auront rien gagné dans cette guerre, ils se battent surtout pour limiter les dégâts de l’implosion de leur démocratie.