Le patrimoine culturel africain est en danger. Le vol et le recel d’objets d’art africain sont des phénomènes endémiques sur tout le continent. L’Afrique risque de passer à côté de son Histoire à cause de l’ignorance des douanes, de la complicité des nationaux et surtout de l’avidité des collectionneurs occidentaux. Enquête au Mali.
« C’est une véritable hémorragie », se désole Sidi Haïdara, commissaire divisionnaire et chef du bureau d’Interpol/Mali. « Certains objets d’art se vendent 100 000 F CFA (150 €) sur le territoire, et une fois en Europe, leur prix explose pour atteindre la valeur de 500 millions de F CFA (750 000 €) ! C’est arrivé récemment à mon collègue gabonais au sujet d’un masque ancien. Hélas, il est difficile de lutter contre la cupidité des gens avec si peu de moyens. » En général, la plus value représente au moins 50 fois son prix de vente sur le territoire malien.
Comment les objets d’art se font la malle
Pourtant, les premiers maillons de ce marché parallèle n’ont pas conscience de la réelle valeur financière et symbolique de l’objet qu’ils subtilisent. Ce sont des nationaux qui pillent des sites archéologiques ou volent l’objet protecteur d’un village sans savoir que c’est un bien culturel parfois millénaire. Revendus à des antiquaires peu scrupuleux, ces pièces ne restent jamais longtemps dans les arrière-boutiques. Les acheteurs internationaux les achètent à un vil prix avant de leur faire passer la douane. Là, un certificat d’exportation délivré par un musée agréé est nécessaire. La technique des trafiquants est simple : ils remplacent la marchandise volée par une pâle copie achetée au marché local, la présentent aux autorités du musée qui mentionnent de bonne foi « artisanat local ». Le tour est joué. Les douaniers n’y verront que du feu, n’étant pas formés à la détection des biens culturels volés. Il n’y a plus qu’à embarquer la précieuse cargaison afin qu’elle orne les salons des amateurs d’art africain fortunés.
Pillage en règle
« Avant la décolonisation, les objets les plus prisés étaient ceux en bois, non pas parce qu’ils étaient anciens, mais parce que c’était des objets rituels et symboliques. Ils ont été par la suite tellement copiés que leur valeur a beaucoup baissé à cause de la méfiance des acheteurs au sujet de leur authenticité, affirme M. Sidibe, Directeur du Musée National du Mali. A ce jour, les plus cotés sont ceux en terre cuite, car ils sont anciens.» A l’instar de 16 statuettes en terre cuite récemment découvertes par les douanes françaises et restituées, il y a quatre mois, au Mali. Néanmoins, les pièces en bois qui sont en Europe depuis assez longtemps pour que leur « pedigree » soit reconnu se revendent sur les marchés de l’art occidentaux à prix d’or.
Les objets d’art maliens mis au jour après 1985 et acquis par des collectionneurs privés à partir de cette date sont tous des objets volés. « Les deux seules raisons pour qu’une oeuvre d’art excavée du sol malien après les années 80 puisse obtenir une autorisation d’exportation, sont soit pour des analyses soit pour des échanges culturels », continue M. Sidibe.
La région qui borde le fleuve Niger est le berceau de nombreuses civilisations et est, de facto, très riche en objets anciens. Le site de Jenné-Jeno, près de l’actuelle Djenné, a été mis au jour dans les années 70 et a connu nombre de razzias. Ces objets-là, une fois sortis de leur contexte, n’ont généralement plus aucune chance d’être datés ou inventoriés et c’est pourquoi on connaît très peu de choses sur les cultures qui ont produit ces pièces. Aujourd’hui, un gardien surveille constamment le site. Mais est-ce suffisant ?
Les moyens répressifs et la prévention
« Nous devons établir une carte d’identité pour chaque oeuvre d’art qui se trouve sur le territoire malien, reprend M. Haïdara, afin de pouvoir l’authentifier si elle est un jour volée. Seulement certains objets de culte ou de rite n’ont pas le droit d’être vu par les non-initiés. Il est donc difficile de les manipuler ou même de les photographier sans altérer leur caractère hautement secret et magique ». D’où la formation de missions culturelles sensées sensibiliser les populations sur la nécessité de faire expertiser leur patrimoine pour ne pas le voir tragiquement disparaître un jour sans aucune chance de retour.
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La Belgique, la France, l’Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis sont très friands des trésors maliens. Bamako doit donc se doter d’un arsenal juridique beaucoup plus dissuasif. En effet, une fois que les biens culturels se trouvent dans les salles de musées étrangers aux fonds privés ou chez les collectionneurs, il est souvent trop tard. Néanmoins, suivant la bonne volonté des nations concernées, un espoir subsiste. En témoigne l’anecdote dont a été victime le Président français Chirac. Il s’est vu offrir une superbe statuette malienne représentant un bélier pour son 64e anniversaire. Elle est reconnue par des spécialistes comme issue d’un pillage ayant eu lieu en 1991. Chirac a finalement rendu le bélier… mais sous forme de « don » au Mali.