Elle chante la femme, elle chante les femmes. Aujourd’hui comme hier, demain comme aujourd’hui, Djura est le symbole de l’artiste engagée. Ses messages, universels, ont valeur d’enseignement et de témoignage. Histoire d’une vie, histoire d’une lutte : portrait.
« Djura s’est élevée très tôt contre la condition de la femme kabyle et de la femme algérienne en général. Quand d’autres chanteuses chantaient la beauté de la femme arabe et des chansons à l’eau de rose, elle, elle disait à ses soeurs qu’il fallait briser le joug du machisme et des traditions, mieux que ça elle a apporté aussi un sang nouveau sur le plan musical : le son Djura », analyse Yacine Berkani, critique musical algérien.
Mère du féminisme algérien, Djura a forgé son discours avec les vicissitudes d’une jeunesse tiraillée entre modernité et tradition, malmenée dans la recherche de son identité. Elle n’a que cinq ans quand elle débarque avec sa mère et ses deux frères et soeurs à Marseille pour rejoindre son père, parti quelques années plus tôt pour la métropole. L’Algérie était alors encore un département français. Un pays dont la petite Djura ignore tout ou presque. Elle ne parle ni le français, ni même l’arabe. Uniquement le kabyle.
L’Ecole du spectacle
De sa petite chambre du quartier de Belleville, la famille sera relogée dans ce qu’on appelait alors « une cité d’urgence » en plein coeur de Paris avant d’atterrir à la Courneuve en proche banlieue. Ils sont maintenant 9 enfants. Plongés dans un univers culturel qui n’est pas le leur, les parents, pour ne pas perdre plus encore leurs racines, se reposent sur la tradition pour garder leur identité. « Des traditions rétrogrades », commente Djura. « Le modèle de la société occidentale était plus séduisant que celui qu’on nous offrait à la maison ».
Elle a à peine dix ans que déjà son besoin d’expression se manifeste. Attirée par l’Ecole du spectacle – enseignement général le matin et enseignement artistique l’après-midi – elle ruse avec ses parents en leur disant simplement qu’elle veut « faire la même école que sa copine Fany ». Sans y regarder plus avant, ses parents acceptent sans se douter une seconde que leur fille se prépare déjà pour une carrière artistique. Repérée par les producteurs qui voulaient faire d’elle l’héroïne d’une série télévisée, elle est finalement obligée de révéler le pot aux roses à son père qui se montre on ne peut plus catégorique : « Tant que je vivrai ma fille ne mettra pas les pieds sur les planches ». Sans appel.
L’épisode algérien
« Le vent de l’Occident souffle dans ta tête ma fille ». Longtemps après, ces paroles paternelles restent toujours gravées dans la mémoire de Djura. Un père qui se mettra en devoir de lui serrer encore un peu plus la vis. Il voudrait la marier, la voir en épouse modèle c’est-à-dire mère au foyer. Mais Djura, elle, revendique le droit de choisir son destin. Alors forcément les relations familiales se dégradent.
Après son bac de philo, lasse d’être prise entre le marteau et l’enclume, elle tranche et décide de partir seule à la recherche de son identité. Direction l’Algérie. Elle opère un retour aux sources pour « réaborder la tradition ». En retrouvant sa terre natale, accompagnée de son frère et de sa femme, elle entendait « reconstruire le pays ». Un pays qu’elle dut finalement quitter sous la pression exercée par son propre frère pour qu’elle se conforme au modèle traditionnel de la femme arabe. Soumise. Elle avait fui la peste pour le choléra. De retour en France, elle est purement et simplement séquestrée par son père. Qui espère, en cela, mettre fin aux turpitudes de sa fille et lui mettre enfin un peu de plomb dans la tête. Peine perdue car la rupture familiale est consommée. Djura fugue.
Parcours artistique
Travaillant pour subvenir à ses besoins et pour financer ses études, elle décroche une licence puis une maîtrise en Arts Plastiques. Elle veut devenir réalisatrice. À 20 ans, elle a déjà à son actif trois courts métrages et un long « Ali au pays des merveilles ». C’est en cherchant des musiques pour ce dernier qu’elle rencontre son futur producteur, Hervé Lacroix. Il lui propose de se mettre, elle-même, à la chanson. Elle hésite. Puis se lance finalement. « J’ai réalisé qu’avec la musique je pouvais plus facilement porter les messages que j’avais à transmettre qu’avec l’écrit ou l’image. D’autant que je m’adresse à un peuple à tradition orale ». Le pied à l’étrier, elle devait prendre les rênes d’une carrière dont elle ne soupçonnait pas la puissance.
C’est au départ avec ses soeurs qu’elle crée en 1976 son premier groupe Djur Djura. Premières scènes, premiers succès, sa renommée est immédiate. Elle sera la première artiste maghrébine à faire l’Olympia à Paris. La force de ses chansons est avant tout dans ses textes. Textes où elle se fait le porte-drapeau de la femme kabyle. « Je chante tout haut ce que nos mères chantaient tout bas ». Elle tire son inspiration de son vécu et confie « partir d’une démarche personnelle pour aller vers un problème collectif ». Ce n’est plus pour les Kabyles qu’elle chante mais pour toutes les femmes.
Nouveau souffle
Les plus grandes scènes, les plus grandes émissions télé en France, elle est portée par sa musique. Et puis le drame. Une sombre histoire « d’expédition punitive » organisée par des membres de sa famille. Traumatisée, elle quitte la chanson pour une retraite littéraire. Une thérapie. Plus personnelle, plus introspective que la scène. Il en sortira un livre « Le voile du silence ». Best seller.
Après plus de cinq ans d’absence et quatre albums, elle revient aujourd’hui avec un nouvel opus, Uni-vers-elles. L’album du renouveau. L’album des retrouvailles. Sa ferveur intacte, elle a mûri une oeuvre musicalement très aboutie. Une oeuvre qui lui ressemble et pour laquelle elle n’a pas lésiné sur les moyens pour arriver à ses fins. On n’en attendait pas moins d’elle.
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