Jean-Marie Le Pen ne fait-il plus peur aux Français d’origine maghrébine? A 78 ans, le chef de l’extrême droite française semble être le candidat préféré de certains immigrés originaires du Maghreb.
A deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle française prévue le 22 avril, un phénomène minoritaire prend de l’ampleur : des Français issus de l’immigration, pères de famille ou jeunes de banlieue, se disent prêts à voter à la présidentielle pour le chef du Front National, Jean-Marie Le Pen, champion de la « préférence nationale ».
« Je vais voter pour Le Pen », affirme à l’AFP sans hésiter Mourad, 25 ans, étudiant en histoire de l’art à Dijon. Pour lui, Le Pen, arrivé contre toute attente au second tour de la présidentielle de 2002 et crédité cette année de 13% à 16% des voix dans les sondages, est le seul candidat qui « incarne l’amour de la France ». Arrivé du Maroc à l’âge d’un an, ce musulman approuve la priorité donnée à la lutte contre l’immigration car, « les capacités d’accueil de la France sont saturées ». Et il estime que Le Pen partage avec lui certaines « valeurs morales », comme l’opposition au mariage homosexuel.
En France, Mourad n’est pas isolé : l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné a fait état d’un sondage réalisé pour le ministère de l’Intérieur selon lequel 8% des Français originaires du Maghreb seraient prêts à voter Le Pen. Soit plus de 100.000 électeurs potentiels. Le candidat d’extrême droite, qui a réussi un coup médiatique en se rendant cette semaine dans une banlieue réputée « difficile » du nord-ouest de Paris, a choisi une jeune fille d’origine nord-africaine pour illustrer une des premières affiches de sa campagne 2007.
« Plutôt de gauche », Habiba, une juriste âgée de 35 ans, dit que le Parti socialiste ne lui « convient plus ». Et puisqu’elle ne voit « aucune différence » entre le Front national de Jean-Marie Le Pen et l’UMP de Nicolas Sarkozy, elle choisit « l’original plutôt que la photocopie ». C’est donc Le Pen qui aura son suffrage. Cette fille d’immigrés algériens, qui vit dans la cité du Mirail à Toulouse, souhaite une « régulation de l’immigration ».
« Le pauvre chasse plus pauvre que lui », constate avec une certaine amertume Sophia Chikirou, 27 ans, membre des instances dirigeantes du PS et auteur de « Ma France laïque ». Egalement fille d’immigrés algériens, cette militante socialiste qui vit dans le 20ème arrondissement de Paris a constaté que nombre de commerçants immigrés de son quartier s’étaient engagés pour Jean-Marie Le Pen. Propriétaires par exemple de petits hôtels réquisitionnés par les services sociaux pour l’hébergement de familles de sans-papiers, ils se retrouvent confrontés à des dégradations. « Ils en veulent aux autorités et disent « avec le Pen on sera débarrassé des sans-papiers et de la polygamie ».
De l’épiphénomène à l’adhésion partielle…
« Y en a marre de voir des Maliens sans papiers logés dans des hôtels », confirme Farid Smahi, membre du Bureau politique du FN, qui se présente comme un « Français patriote et musulman » et n’hésite pas à aller vanter la « préférence nationale » dans des banlieues pauvres où il était autrefois « insulté ». Grâce à son association créée pour aider les enfants irakiens pendant l’embargo international, M. Smahi a réussi à se « faire accepter », puis à se « faire entendre ». Il assure avoir apporté 3.500 adhésions d’immigrés en moins d’un an au FN.
Perçu d’abord comme un « épiphénomène », le vote d’origine immigrée en faveur de Le Pen comporte désormais une « part d’adhésion », note le politologue Jean-Yves Camus. C’est le cas d’A.M., un avocat algérien de 50 ans reconverti dans le commerce à Paris, père de deux enfants scolarisés dans un lycée privé, qui ne supporte plus de voir ses impôts « distribués à des Blacks et des Arabes » pour lesquels la France ne serait « qu’une vache à traire ». Il votera donc Le Pen, même s’il estime que « le bâton peut se retourner » un jour contre lui.
Toutefois, le nombre de Français d’origine maghrébine qui voteraient pour Le Pen reste très marginal et concerne certains beurs et immigrés en perte de repères. En France, des Maghrébins ont toujours essayé de se montrer en bons élèves des différentes politiques d’intégration.
Diabolisé en France pour ses idées contre les juifs, Jean-Marie Le Pen est loin d’être un ami des Maghrébins, en particulier des Algériens. Le chef de l’extrême droite est toujours partisan de l’Algérie française et veut chasser tous les immigrés basés en France, avec ou sans papiers. Il considère que tous les problèmes de France sont causés par l’immigration, notamment maghrébine. Depuis 2002, sous l’influence de sa fille, le Front National tente de changer son image de parti raciste, antisémite et xénophobe auprès des Français. De retour en Algérie, les immigrés, en général vieux et malades, ne cachent pas leur inquiétude d’une éventuelle victoire de Nicolas Sarkozy, considéré comme un extrémiste… Pour Jean-Marie Le Pen, l’évoquer, c’est souvent parler des difficultés des immigrés et de leurs enfants en France.
Par par Hamid Guemache, pour Le Quotidien d’Oran