En Mauritanie, plusieurs centaines de femmes rassemblées dans l’UMAFEC, l’Union mauritanienne des femmes entrepreneurs et commerçantes, ont construit un immense centre commercial à Nouakchott, la capitale. Elles s’apprêtent aujourd’hui à effectuer de nouveaux investissements d’envergure. A leur tête, Faitemat Mint Maugeya, une chef d’entreprise qui estime qu’en affaires, dans un pays islamique, les femmes peuvent faire jeu égal avec les hommes.
Notre envoyé spécial à Niamey
« Vous nous voyez ici, envoilées dans un drap, mais on travaille ! » S’élever contre les préjugés, combattre les idées reçues en Afrique et en Occident, abattre les barrières qui empêchent les femmes africaines musulmanes de se réaliser, fédérer les commerçantes mauritaniennes, ce sont quelques unes des grandes batailles que mène Faitemat Mint Maugeya. Pour cette femme d’affaire mauritanienne de cinquante ans, présidente de l’UMAFEC (Union mauritanienne des femmes entrepreneurs et commerçantes), naître dans un pays islamique ne doit pas être considéré comme un frein à l’initiative féminine. « Il ne faut pas attendre que vos maris, vos frères ou le gouvernement vous donnent quelque chose. Il faut travailler ! Et la solidarité aussi, c’est très important », lance-t-elle au parterre de femmes africaines venues ce lundi 4 décembre au Palais des Congrès de Niamey, au Niger, sur l’invitation du SAFEM, pour découvrir sa singulière expérience.
Faitemat Mint Maugeya, patronne d’une grande société d’ameublement, fédère 504 commerçantes et chefs d’entreprise dans l’UMAFEC. Une organisation qui défend les intérêts matériels et moraux de ces femmes versées dans le business, facilite la création de partenariats nationaux, internationaux, leurs relations avec l’Etat et l’obtention de crédits. Parmi les nombreuses réalisations de l’UMAFEC, le centre commercial Chinguitti (dit « Marché des femmes »), ouvert en 1997, est celui qui, le premier, fait la fierté de sa présidente. D’une surface de 8 400 m2 répartis sur deux étages, il comprend 240 magasins qui aujourd’hui appartiennent en pleine propriété aux membres de l’Union.
Unies contre l’injustice
C’est en 1993 qu’a débuté l’aventure. Cette année-là, Faitemat Mint Maugeya a réussi à rassembler autour d’elle 200 femmes, des petites commerçantes appartenant pour la majorité d’entre elles au secteur informel et quatre patronnes de grandes entreprises. A l’origine de la démarche, sa révolte face à l’injustice faite aux commerçantes. Ces dernières, pour la plupart illettrées, pensaient avoir signé un contrat qui leur permettrait de devenir propriétaires de l’espace qu’elles occupaient sur le marché, à Nouakchott. Mais, en réalité, il faisait d’elles d’éternelles locatrices. « Je me suis dit que ce n’était pas possible ! Plus de la moitié des personnes qui occupaient le marché étaient des femmes et elles étaient toutes locatrices ! », s’insurge encore Faitemat, quinze ans plus tard.
Les femmes de l’UMAFEC décident alors de devenir propriétaires, à l’égal des hommes. Une initiative qui se heurte à nombre d’embûches. « Pendant une année, j’ai démarché les ministères, la mairie de Nouakchott, tous les bailleurs de fond internationaux. Ca n’a rien donné. Finalement, j’ai obtenu un rendez-vous avec le Président », se rappelle Faitemat Mint Maugeya. Après avoir convaincu le chef de l’Etat du bien fondé de la démarche, ce dernier a accepté de leur vendre un terrain. « Il y avait des ministres, hommes et femmes, qui étaient contre nous. Ils disaient : un projet de femmes, ça ne marchera jamais, elles vont se chamailler. Mais nous avons tenu bon. » En fin de compte, le terrain cédé par le président n’a pas été exonéré comme on le leur avait promis, ce qui manqua de leur faire perdre le seul banquier qui avait accepté de leur accorder un crédit. En effet, explique Faitemat, obtenir un crédit en Mauritanie lorsqu’on est une femme n’est pas une mince affaire. Non seulement ils sont élevés en général (taux de remboursement de 25% en moyenne), mais en plus « par respect pour la femme, les banquiers ne veulent pas lui faire crédit, précise-t-elle. Car ils n’ont aucun remord à saisir les biens d’un homme qui ne paye pas, tandis qu’une femme, oui. Donc, quand on allait les voir, on leur disait : »Ne nous respectez pas, et faites nous crédit ! » »
Née pour entreprendre
Plonger dans le passé de Faitemat Mint Maugeya permet de mieux comprendre sa détermination et son goût des affaires. Elle est la fille de l’une des premières femmes commerçantes de Mauritanie. Cependant, sa famille l’avait vouée à devenir une paisible mère au foyer. Enlevée tôt du système scolaire, mariée très jeune, elle est déjà mère de six enfants à l’âge de trente ans. C’est alors que meurt son époux. Plutôt que de se retourner vers sa famille ou sa belle famille, elle se lance dans le commerce de chaussures puis de prêt-à-porter. En quelques années, elle se trouve à la tête d’une société florissante. Une position qu’elle juge être en parfait accord avec la religion musulmane. « L’épouse du prophète tenait un commerce, déclare-t-elle. Aucune loi dans l’Islam n’interdit à la femme d’exercer quelque métier que ce soit. »
Aujourd’hui, Faitemat Mint Maugeya a de nombreux projets pour l’UMAFEC. Parmi eux, la construction d’un autre centre commercial dans la ville de Nouadhibou et la construction d’une cité d’habitation dans cette ville ainsi qu’à Nouakchott afin de faciliter l’accès à la propriété du logement aux membres de l’organisation. Désormais, les commerçantes et entrepreneurs de l’UMAFEC n’ont plus besoin de démarcher les bailleurs de fonds. Ces derniers, informés de leur succès, viennent d’eux-mêmes jusqu’à elles. D’autre part, ayant tiré les leçons de leur première expérience, elles ont créé trois mutuelles de crédit qu’elles entendent bientôt fusionner afin d’en faire un puissant outil financier.
Faitemat Mint Maugeya se défend d’être une impitoyable capitaliste. L’UMAFEC a également un volet social et les membres les plus riches remplissent des obligations plus importantes que les autres. Pour elle, son organisation permet avant tout de réduire l’inégalité entre les sexes en Mauritanie, à condition d’avoir l’envie de se battre : « A Nouakchott, hommes et femmes sont en concurrence pour gagner les marchés, estime-t-elle. Réussir, c’est possible pour tout le monde. Mais il faut avoir du courage et, quelquefois, le bras long… »