Pygmées du Cameroun en lutte contre l’industrie intensive du palmier à l’huile


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Abords d'un village pygmée
Abords d'un village pygmée (illustration)

Cette ethnie de la région Sud conduit plusieurs actions contre les entreprises Cameroun Vert et Biopalm afin de stopper les déforestations.

Campo (région Sud du Cameroun), il ne reste rien ou presque de l’ancienne forêt. Plus de 1 000 hectares ont déjà été terrassés par la société camerounaise qui vise 60 000 hectares en tout. Un projet qui suscite une grande inquiétude chez les riverains, plus particulièrement les Bagyeli, une population autochtone de la forêt qui vit de la chasse, de la pêche et de la cueillette.

« Dans cette partie détruite par Camvert, on campait pour faire la chasse. On y allait aussi pour récolter le miel. Aujourd’hui, il n’y a plus rien », se désole Henry Nlema, surnommé « Cent Ans », assis sur un tabouret dans la cuisine qui sert également de salle de séjour à sa famille, dans le campement Zambe Alo. Voilà des semaines que ce cinquantenaire « ne dort plus bien ». Chaque nuit, il veille sur sa maison et les champs alentour, guettant « l’avancée » des éléphants.

« Ils ont détruit nos bananiers plantains. Avant, il n’y avait pas autant d’attaques, mais depuis que Camvert a détruit ce bout de forêt, les bêtes fuient vers nos champs », explique « Cent Ans ». Le parc national de Campo-Ma’an, où vivent de nombreux pachydermes, jouxte le village. « Nos forêts disparaissent et les bêtes envahissent le peu qui reste. J’ai peur », confie Biloa, l’épouse de Henry Nlema.

« On n’aura plus rien »

Comme ce couple, de nombreux Bagyeli rencontrés dans trois campements vivent dans l’angoisse. A Nkongo, bourgade située dans la commune de Niété, Mathieu Massamela embrasse d’un geste la forêt située à quelques mètres du campement : « C’est ici que je trouve le gibier, les remèdes pour me soigner. Si Camvert détruit, on n’aura plus rien. Je mourrai. » Les limites établies par la société pour ses projets d’exploitation arrivent à la lisière de son champ.

Le jour où les émissaires de la société camerounaise sont arrivés, Mathieu Massamela n’a pourtant opposé aucune résistance. Les autres non plus. « Ils sont venus avec du riz, du poisson en disant que les palmiers à huile allaient nous apporter le développement. C’est un mensonge. Un Bagyeli, c’est sa forêt.

Comment peut-on vouloir détruire la forêt et nous dire que tout ira bien ? », s’interroge Pauline Akamba, une Bantou mariée à un Bagyeli dans le campement. Depuis l’annonce de ce projet agro-industriel, des associations nationales et internationales dénoncent régulièrement les conséquences néfastes à court, moyen et long terme de l’implantation des palmiers à huile, leur impact sur la vie des populations riveraines ou encore le non-respect des lois.

Dans une note parue en août 2020, l’ONG camerounaise Green Development Advocates (GDA) pointe du doigt le décret déclassant 60 000 hectares signé le 11 novembre 2019 par Joseph Dion Ngute, le premier ministre. Selon la loi, pour déclasser une forêt, plusieurs conditions doivent être respectées.

Or « aucun arrêté n’a été pris par le ministre chargé des domaines déclarant d’utilité publique les travaux du projet de la société Camvert », déplore l’ONG. Quant au rapport d’impact environnemental, il « date de janvier 2020 » alors que le décret du premier ministre a été signé deux mois plus tôt. En conséquence, « le non-respect de ces deux conditions de fond est susceptible de remettre en cause la légalité du décret », assure GDA.

« La forêt est en train de s’envoler »

À la direction de Camvert à Yaoundé, capitale du Cameroun, les responsables accusent les ONG d’être « à la recherche de financements et de sensations » en utilisant « maladroitement ces communautés ».

D’après Mohamadou Dialo, responsable développement durable de l’entreprise, Camvert a eu « le consentement » de la population, y compris des Bagyeli, et des « cahiers des charges ont été signés ».

« À terme, les communautés locales auront 5 000 hectares de plantations qui seront mis en œuvre, entretenus et financés par Camvert… qui est une société légale », poursuit M. Dialo, sans fournir aucun document – étude d’impact environnemental, déclaration d’utilité publique ou concession provisoire ou définitive –, nous renvoyant aux autorités compétente

Au ministère des forêts et de la faune, on assure qu’il « n’y a rien d’illégal ». Dans une lettre datée du 9 avril 2020 dont Le Monde Afrique a eu copie, Henri Eyebe Ayissi, le ministre des domaines, du cadastre et affaires foncières, a bien donné son « accord pour l’exploitation de 2 500 hectares sollicités » par Camvert « sous réserve d’un engagement de délimiter l’ensemble des 60 000 hectares (…) concédés par l’Etat ». Seulement, pour que cet accord soit légal, le ministre doit disposer d’une dérogation spéciale accordée par le président de la République. Et « le décret présidentiel devant attribué la concession provisoire à ladite société n’est pas encore pris », souligne l’organisation GDA.

Contacté par Le Monde Afrique, le ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières n’a pas donné suite.

Pendant ce temps, sur le terrain, « la forêt est en train de s’envoler », s’inquiète Victorien Mba, directeur d’Appui pour la protection et le développement de l’environnement (Aped), l’une des ONG alertant sur les actions de Camvert : « C’est la pharmacopée traditionnelle des Bagyeli, leur garde-manger, certains lieux où ils pratiquaient des initiations, des rites et entraient en contact avec leurs ancêtres qui sont en train de disparaître. Rien ne peut compenser cette perte. »

Au campement Mvini, le patriarche, Luc Mbio Bilende, né en 1940, en est convaincu : « Sans forêt, c’est la fin de mon peuple. On devient des morts-vivants. J’espère mourir avant de voir ça. »

« La vie plus gaie »

Il y a quelques mois, une délégation de Bagyeli et Bantous a visité, avec l’appui d’ONG, des localités camerounaises où sont implantées des agro-industries de palmiers à huile. Depuis, Henry Nlema en est convaincu : « Il faut mettre fin à Camvert. Là-bas, même du bois pour cuisiner, les habitants n’en ont pas. »

Un chef traditionnel bantou ayant fait partie de l’expédition et qui a souhaité garder l’anonymat, explique « en avoir perdu le sommeil », apeuré par « l’avenir ». Mais, impossible pour lui comme pour « au moins deux autres chefs » de faire « marche arrière ». Il confie avoir été menacé. Depuis 2013, les chefs traditionnels perçoivent une allocation mensuelle au Cameroun. « Cet argent me permet de vivre. Je ne peux rien contre eux, souffle-t-il, impuissant. Même notre maire, qui était le plus grand opposant de Camvert, soutient cette société aujourd’hui. »

Robert Olivier Ipoua, l’édile de Campo, jure ne pas avoir été menacé et va jusqu’à affirmer que c’est « le bon Dieu qui a envoyé Camvert pour rendre la vie plus gaie ». Même s’il reconnaît qu’il « y a de plus en plus de regrets » de la population, il vante les réalisations de Camvert : aménagement d’une route secondaire, emplois, construction future d’une école de formation agropastorale… La seule « revendication légitime » à ses yeux concerne l’avenir des tortues marines d’Ebodjé qui risquent d’être affectées par l’utilisation des produits chimiques. Récemment, Robert Olivier Ipoua a participé
à une réunion à la présidence de la République avec des responsables de Camvert. « Ils ont l’accord de tout le gouvernement », confie-t-il au Monde Afrique, tout en précisant que « les Bagyeli n’ont jamais été contre Camvert. Ce sont les ONG qui leur font dire n’importe quoi ».

Face à cette situation, en 2020, les communautés Bagyeli impactées de « manière disproportionnée » par Camvert ont saisi le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale (OHCHR). Elles ont également introduit en juillet une requête auprès du président du tribunal administratif du Centre, à Yaoundé, ainsi qu’une requête auprès du ministre des domaines pour qu’ils annulent l’acte de déclassement de la forêt. Marcher jusqu’à la présidence.

La bataille s’annonce rude. D’autres membres de la communauté habitant également dans la région Sud se battent depuis 2018 contre un décret présidentiel octroyant une concession de 18 000 hectares à Biopalm, une autre société agro-industrielle de palmiers à huile. Ces chasseurs-cueilleurs sont aujourd’hui au tribunal pour faire annuler la décision.

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