Pygmées et Bantous : un amour impossible ?


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A. Kombe

Des mariages entre Bantous et Pygmées ? Cela était impensable, il y a encore quelques années. Mais aujourd’hui, si les tabous demeurent prégnants, les mentalités évoluent. Reportage à Impfondo, au Congo-Brazzaville, où se déroulait du 16 au 19 mars le Forum international des peuples autochtones d’Afrique centrale (FIPAC).

B. Moubangwe« Ca ne changera jamais de mon vivant. Les Bantous ne nous accepteront jamais. C’est un rêve irréalisable », soutient Benjamin Moubangwé. Chasseur, agriculteur, producteur de graines de palme et de miel de forêt, mari de deux femmes et père de huit enfants, M. Moubangwé ne se plaint pas de la vie qu’il mène et est plutôt fier de ce qu’il est. Mais lorsqu’on lui demande si, au Congo-Brazzaville, un Pygmée comme lui peut fonder une famille avec une Bantoue, sa réponse est sans appel. « Les hommes bantous ne nous acceptent pas, ils nous traitent comme des idiots. Si une femme bantoue se rapprochait d’un pygmée, les hommes bantous lui demanderaient des comptes : comment peux-tu être avec un inférieur ? Ils lui mettraient une barrière qui empêcherait tout rapport sexuel », estime-t-il. Pour Nicole Mbeki, 31 ans, serveuse dans un hôtel-restaurant d’Impfondo, le chef lieu du département de la Likouala où vit également M. Moubangwé, l’union entre un autochtone et une Bantoue est aussi du domaine de l’impensable. « C’est impossible ! C’est l’homme qui drague la femme », s’exclame la jeune femme, lorsque nous lui demandons si elle pourrait se marier avec un autochtone. « Un Pygmée ne peut pas approcher une bantoue, il se sent inférieur donc il n’y arrive pas », explique-t-elle. Et si un Pygmée avait le courage de lui déclarer sa flamme, céderait-elle à ses avances ? « Oui, peut-être, mais ce serait très difficile », lâche-t-elle du bout des lèvres.

Toutou NgamiyePourtant, Benjamin Moubangwé a déjà été témoin d’un rapprochement entre un Pygmée et une Bantoue. « Le fils de l’un de mes amis couchait avec une Bantoue. Mais il s’est fait enfermer » à cause de la famille de la femme, raconte-t-il. Et libérer le jeune homme de prison n’a pas été une mince affaire. S’il reste très mal vu qu’un Pygmée noue des relations amoureuses avec une Bantoue, le tabou semble beaucoup plus lâche pour les hommes bantous sensibles aux charmes des autochtones. M. Moubangwé a lui-même une fille, Martine, qui a un enfant avec un Bantou. Et Nicole Mbeki confie connaître quelques couples mixtes dans le département de la Likouala. De même pour Jean-Denis Toutou Ngamiye, enseignant à la retraite vivant dans le village de Dwakami, dans le département de la Lékoumou, et président bantou de l’association pour la promotion socioculturelle des Pygmées du Congo (APSPC). Son oncle, affirme-t-il, est marié à une autochtone, et tous leurs fils ont épousé des Bantoues. M. Toutou Ngamiye se rappelle qu’autrefois la plupart des Bantous cachaient leurs relations avec des femmes pygmées, tandis qu’aujourd’hui ils en ont moins honte. Il estime donc que les mentalités peuvent aussi évoluer du côté des femmes bantoues. « Il y a déjà quelques cas, mais les femmes restent réticentes », constate-t-il.

Pour Hortense Bouanga Silas, présidente de l’association Action communautaire pour un développement durable (ACDD) basée à Indo Sibiti, dans le département de la Lékoumou, « c’est d’abord une question économique. La femme bantoue ne peut aller vers l’homme autochtone alors que l’inverse est vrai ». Le mode de vie nomade des Pygmées ne conviendrait pas aux femmes bantoues, qui n’y trouveraient pas le confort matériel et financier auquel elles aspirent. « Il y a aussi le problème de la propreté, estime-t-elle. Ils ne maîtrisent pas toutes les notions d’hygiène. Ils vivent dans un habitat vraiment dérisoire. Souvent, dans leurs campements, les hommes vivent ensemble de leur côté, les femmes de l’autre. Et quand ils se désirent, ils font leurs affaires en forêt. » Une manière d’être difficilement supportable pour un Bantou.

L’éducation et l’échange, les meilleures armes contre les préjugés

B. NgolaDe plus en plus de Pygmées se sédentarisent et intègrent l’économie marchande. Mais, travaillant en général pour des Bantous, ils sont exploités par ces derniers qui profitent de leur piètre connaissance de la valeur monétaire du travail. Une situation que dénonce Benjamin Ngola, Pygmée d’origine centrafricaine, enseignant depuis trois ans dans une école primaire du village d’Enyele, dans la Likouala. Pour lui, les deux ethnies ne pourront pas cohabiter harmonieusement et encore moins se métisser tant que l’une méprisera l’autre. « Se marier avec un Bantou ? Non, ça ne peut pas aller », déclare-t-il. « Souvent les filles autochtones approchent les Bantous, mais jusqu’à maintenant les Bantous prennent les Pygmées pour leurs esclaves. Aux champs, on les voit faire les Pygmées travailler dur, porter des fagots, pour juste un bâton de cigarette », dénonce le jeune homme.

Les rapports Maître/esclave, Adrien Kombe-Mabojawa en sait quelque chose. Cet administrateur de services financiers et de santé, président de la Fondation Kombe pour le développement rural, se définit lui-même comme un « descendant de maître d’autochtones ». Son père était autrefois chef du village d’Enyele et sa famille avait de nombreux Pygmées sous sa coupe. Depuis 2003, exorcisant ce passé, M. Kombe-Mabojawa œuvre à l’amélioration de la qualité de vie de la minorité pygmée et à son insertion dans la vie économique du Congo. « La main qui reçoit est toujours faible devant celle qui donne », analyse-t-il, estimant qu’il faut « amener [les autochtones] à créer des activités génératrices de revenus pour les rendre autonomes » et, ainsi, mieux considérés. Une démarche qui passe par une plus grande scolarisation des Pygmées. Pour lui, il faut ouvrir plus d’écoles sur les lieux où ils demeurent afin de les faire progresser sans les dénaturer ; une démarche différente des politiques gouvernementales des années 1960-1970 qui en avaient drainé un grand nombre « vers la ville, pour les scolariser, leur permettre de cohabiter avec les Bantous, mais sans mesure d’accompagnement ».

Y. SalembaPour Jean-Denis Toutou Ngamiye, les progrès amenés par la scolarisation sont déjà visibles. Même si le mode de vie nomade pénalise les enfants pygmées qui doivent suivre leurs parents en forêt plusieurs fois par an, ceux qui accèdent au système scolaire, et par conséquent fréquentent des Bantous dès l’enfance, sont de plus en plus nombreux. « Autrefois, ils craignaient l’influence des enfants bantous sur les leurs, la possibilité qu’ils soient discriminés. Mais ça a évolué, aujourd’hui ils jouent ensemble, ils vont à l’école ensemble », explique M. Toutou Ngamiye. Pour Yvonne Salemba, originaire du pays voisin, l’éducation est aussi l’une des clés de l’évolution des mentalités et de la condition des pygmées. « Ici, au Congo-Brazzaville, les autochtones sont plus discriminés qu’en RDC. Au Kivu, ils ont accès au lycée, à l’université », constate-t-elle. Pygmée titulaire d’un diplôme de second cycle, infirmière dans la ville de Bukavu, mariée depuis 15 ans à un Bantou et mère de trois enfants, Mme Salemba continue sa lutte pour l’émancipation et l’égalité des autochtones au sein du PIDP (Programme d’intégration et de développement du peuple pygmée au Kivu). Mais, partant de son expérience personnelle, elle est optimiste quant à l’avenir des relations entre les deux groupes humains. D’ailleurs, nous confie-t-elle, quelque soit l’origine des conjoints, le secret d’une union réussie reste le même : « La femme doit être soumise à son mari ! »

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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