La Mauritanie possède un patrimoine oral très riche mais parfois en voie de disparition. Pour le protéger, le Projet de sauvegarde et de valorisation du patrimoine culturel mauritanien, financé par la Banque mondiale, a été mis en place. A sa tête : El Hacen ould Hacen. Interview.
Le Projet de sauvegarde et de valorisation du patrimoine culturel mauritanien est un projet expérimental financé par la Banque mondiale. Son responsable, El Hacen ould Hacen, est originaire du sud-ouest du pays. Sociologue et professeur de littérature française, il est passionné de musique maure. Après avoir passé seize ans dans la diplomatie (à Paris pendant 6 ans, puis à Rabat, Alger et Tunis), il est retourné dans son pays pour se consacrer à ses premières amours : le patrimoine culturel.
Afrik : De quel patrimoine vous occupez-vous ?
El Hacen ould Hacen : Dans le cadre du projet, nous sommes, spécialistes du patrimoine intangible, immatériel. Notre support, c’est la mémoire. Nous travaillons sur la poésie, la sagesse, les contes et légendes, les coutumes, la musique, les danses, l’art culinaire… On dit qu’en Mauritanie, 95% de la culture est orale. Je ne suis pas tout à fait d’accord car nous avons un grand nombre de manuscrits mais c’est vrai que, comme dans le reste de l’Afrique, notre culture est en grande partie basée sur l’oralité.
Afrik : Quel est le rôle du Projet sauvegarde et valorisation du patrimoine culturel ?
El Hacen ould Hacen : Notre projet a pour de protéger le patrimoine et de l’intégrer au développement du pays. Car cette partie de notre patrimoine, comme l’artisanat, peut être valorisée touristiquement. Notre rôle est aussi de protéger la Mauritanie d’un tourisme trop » brutal « , de protéger des sites fragiles comme le banc d’Arguin. En fait, que le touriste soit le mieux reçu possible et qu’il fasse le moins de dégâts possibles ! Notre objectif est de créer des bases juridiques pour la protection du patrimoine. Nous réalisons différents audits auprès des institutions culturelles du pays pour connaître leurs besoins, leurs dysfonctionnements, et améliorer leur efficacité.
Afrik : Avez-vous déjà mis en place des actions concrètes ?
El Hacen ould Hacen : Nous avons créé un certain nombre de festivals, auxquels participent à chaque fois toutes les composantes de la société, pour faire revivre une partie de notre patrimoine. Comme le Festival de Gospel à Tidgikja, dans le centre du pays. Le gospel est une musique populaire propre aux Haratine, les descendants d’esclaves. Les gospels américain et mauritanien ont la même origine musicale et les esclaves envoyés aux Etats-Unis venaient de la même région que les esclaves utilisés en Mauritanie. La différence c’est qu’en Amérique, le gospel est chrétien alors qu’en Mauritanie, il est basé sur des chants à la gloire du Prophète.
Afrik : Il y a aussi eu un Festival de musique instrumentale à Néma, dans l’extrême sud ?
El Hacen ould Hacen : Oui. Il nous a permis de montrer tous les instruments traditionnels, comme le tidinit, le luth à quatre cordes réservé aux hommes. Certains sont en train de tomber en désuétude, remplacés par les instruments modernes. Même si les chansons et le système musical traditionnels sont encore vivants, les instruments le sont moins, n’étant plus utilisés par les jeunes. Les festivals permettent de les remettre au goût du jour. Nous avons également organisé un Festival de poésie en mars dernier, les Journées de la culture Soninké et celles de la culture Imragen, le seul peuple mauritanien à vivre tourné vers l’océan et qui possède des coutumes, un art culinaire, un art de la pêche originaux et entretient avec les dauphins des relations particulières. Un Festival de danses, folklore et ballets est prévu à Kaedi, dans le sud-est, en juin prochain. A cause de la conjoncture internationale, nous avons dû annuler notre projet de Festival international des musiques nomades à Nouakchott qui devait se dérouler à la mi-avril mais nous espérons pouvoir l’organiser avant la fin de l’année.
Afrik : Vous êtes donc très axés sur la musique ?
El Hacen ould Hacen : Pas seulement ! Nous finançons des foires artisanales, nous avons soutenu un Festival de coiffures féminines traditionnelles, en partenariat avec le centre d’esthétique Exotif’s. Nous avons organisé une série de colloques sur les grandes figures de l’histoire du pays et des représentations théâtrales avec des associations à qui nous avons permis d’acheter des décors et des costumes. Notre but est d’animer la scène culturelle du pays, quelle qu’elle soit.
Afrik : Quels sont les prochains projets ?
El Hacen ould Hacen : La création d’une grande maison publique des manuscrits à Chinguetti pour les restaurer, les protéger des rigueurs du climat et pour que les visiteurs puissent les voir sans les abîmer. Nous comptons aussi former des gens pour les manipuler correctement. Pour le moment, les manuscrits se trouvent chez des particuliers, leurs conditions de conservation ne sont pas bonnes. Heureusement, les familles commencent à prendre conscience de la richesse qu’elles possèdent. Au mois de mai prochain, nous lançons une vaste opération de catalogage de tous les manuscrits du pays : où ils se trouvent, quels sont-ils, quels sont les plus importants, comment les protéger… Nous travaillons aussi sur un projet d’Eco-musée à Atar qui aura des départements ethnologique, archéologique et sur le patrimoine oral.
Pour en savoir plus :
La musique mauritanienne, explications de El Hacen ould Hacen :
» La musique mauritanienne peut être savante, folklorique, instrumentale ou seulement vocale. Elle est formée des musiques des quatre composantes ethniques du pays : les Maures, les Pulaars, les Soninkés et les Wolofs. On trouve dans chacune de ces musiques, avec des proportions différentes, les influences des musiques négro-africaines, arabes et berbères. Un cocktail qui donne une musique riche, variée, souvent savante et élitiste chez les griots mais aussi populaire, spontanée et folklorique chez les non-professionnels. Je suis spécialiste de la musique maure qui est une musique savante, née dans les campements des princes guerriers et détenue par les griots, professionnels qui vivent de leur art de père en fils. Certaines familles de griots existent depuis six siècles ! La musique maure est complexe et extrêmement structurée, on doit l’apprendre phrase musicale par phrase musicale. «