Etre notaire en Afrique. Maître Abdoulaye Harissou, Président honoraire de la chambre nationale des notaires du Cameroun et Président de la Commission des Affaires Africaines de l’Union internationale du Notariat Latin (Caaf-Uinl) revient sur une profession qui compte près de 300 professionnels en Afrique noire francophone.
A quoi sert le notaire en Afrique ? Quelles sont ses attributions ? A quels problèmes est-il confronté ? Maître Abdoulaye Harissou, Président honoraire de la chambre nationale des notaires du Cameroun et Président de la Commission des Affaires Africaines de l’Union internationale du Notariat Latin (Caaf-Uinl) décortique une profession méconnue en Afrique. Et pourtant essentielle pour mettre le droit et la légalité de son côté. Un réflexe que les Africains (au Sud du Sahara) ont encore du mal à avoir, notamment en ce qui concerne les questions d’héritage.
Afrik : Comment devient-on notaire en Afrique ?
Abdoulaye Harissou : Il n’y a pas d’école de notaire en Afrique. Il faut obtenir un diplôme universitaire, licence ou maîtrise selon les pays, qu’on complète par un stage chez un notaire pendant au moins trois ans, lui-même sanctionné par un diplôme de premier clerc de notaire. Puis on refait un stage d’une année en qualité de premier clerc de notaire. Ensuite on postule à une charge de notaire remise au postulant, soit par décret présidentiel, soit par le Garde des sceaux. Faire ses études en France, à Nîmes ou à Paris constitue l’autre voie d’accès à la profession.
Afrik : La profession de notaire est-elle reconnue en Afrique ?
Abdoulaye Harissou : Le notariat a été introduit en Afrique avec la colonisation, d’abord au Sénégal, capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Après l’Indépendance, tous les pays ont reconnu le notariat, sauf ceux qui étaient communistes, comme le Burkina, le Congo ou la Guinée. Néanmoins, il y a une inégalité entre les villes côtières, les capitales et les villes industrielles, où les notaires se sont concentrés, et le reste. Dans ces régions, c’est la parole donnée qui remplace les actes notariés. Malheureusement, la parole donnée n’est plus respectée.
Afrik : Combien y a-t-il de notaires en Afrique ?
Abdoulaye Harissou : Il n’y a pas de notaire dans les pays qui relèvent du droit anglo-saxon. La Caaf -Uinl – donc l’Afrique noire francophone – compte, pour sa part, entre 250 et 300 notaires. En Algérie, où le notariat est très développé, il existe déjà 3 000 notaires. Ces chiffres s’expliquent du fait que l’Algérie a été une colonie française. Le Maroc a, quant à lui, près de 4 000 notaires. Un chiffre élevé parce qu’il comprend les Adouls, les juges traditionnels chérifiens.
Afrik : Quel est le rôle et le statut du notaire ?
Abdoulaye Harissou : Le notaire est un notable. C’est le garant de la sécurité juridique. Il a un rôle de service public car l’Etat lui délègue une parcelle de son pouvoir. Certaines procédures, comme les actes de vente immobilière, les hypothèques, les successions, les créations de société, doivent nécessairement passer devant un notaire. C’est aussi un collecteur d’impôts, dans le sens où lorsque vous passez un acte de vente, par exemple, le notaire l’enregistre et perçoit les frais de l’Etat et le reverse dans les caisses du Trésor public. Au Cameroun, les notaires font rentrer entre 70 et 100 milliards de Francs CFA par an.
Afrik : Le notaire a-t-il uniquement un rôle économique ?
Abdoulaye Harissou : Les notaires ont également un rôle social important, notamment dans le droit des affaires et même celui de la famille. Les grands groupes industriels africains sont relativement jeunes. Ils ont pris de l’importance dans les années 70 et 80. Il faut aider ces hommes d’affaires à préparer leur succession qui approche aujourd’hui. Car de ces grandes sociétés ne dépend pas seulement la famille du fondateur. C’est toute la nation qui est concernée. Des milliers d’employés travaillent grâce à ces entreprises. Un héritage mal préparé peu mener à la faillite du groupe entier, donc générer du chômage dans la population.
Afrik : A quel(s) type(s) de problème(s) les notaires sont-ils confrontés en Afrique ?
Abdoulaye Harissou : Le problème n°1 auquel nous sommes confrontés est lié aux affaires de succession. Notamment pour les hommes d’affaires polygames dont des familles entières dépendent. Lorsqu’il y a 40 enfants, avec 10 à 15 femmes différentes, des femmes répudiées, remariées, cela devient un casse-tête. Il y a des affaires qui datent de plus de 20 ans et qui ne sont pas encore résolues.
Afrik : Au sujet des successions, la parole donnée semble toujours prévaloir en Afrique, qu’en est-il ?
Abdoulaye Harissou : C’est une réalité. Aujourd’hui, les musulmans pensent que leur héritage va se partager selon les préceptes de l’Islam (1/8ème pour l’épouse, le(s) fils ayant deux fois plus que la (les) fille(s), ndlr). Mais si un seul des héritiers ne veut pas de ce mode de succession là, c’est le droit moderne qui s’applique. Il y a une résistance sérieuse en Afrique de la part des gens à organiser, de manière formelle, de leur vivant les affaires de succession.
Afrik : Quelle est la valeur d’un acte notarié en Afrique ?
Abdoulaye Harissou : L’acte notarié à la valeur d’un jugement. Dans le cas d’une reconnaissance de dette, lorsque l’emprunteur ne paie pas, il suffit de remettre l’acte à un huissier qui se chargera du recouvrement de la dette, sans passer par la justice. En Afrique les actes notariés ont force de loi probante contrairement aux pays anglo-saxons, où c’est le droit jurisprudentiel qui compte et où existe le sous-seing privé (document signé entre deux paries sans présence d’un représentant de l’Etat). L’acte notarié original est par ailleurs enregistré et conservé à vie auprès du notaire et de ses successeurs.
Afrik : Vous dites que l’acte notarié fait force de loi en Afrique. Est-il pour autant vraiment respecté en tant que tel ?
Abdoulaye Harissou : Non. L’Etat lui-même bafoue les lois. Parfois, les magistrats ne respectent pas les actes notariés. C’est le fait de la corruption ambiante qui règne en Afrique. Dans ce cas, nous nous défendons en intentant des actions en justice. Sans risque de me tromper, je peux dire que nous formons la profession la mieux organisée en Afrique. Notre réseau fonctionne sur les treize pays, membres de la Caaf -Uinl, dont le dernier membre en date est le Tchad. La Mauritanie, l’Algérie et le Maroc frappent à la porte.
Afrik : Vous semblez très critique à l’égard des magistrats…
Abdoulaye Harissou : En effet. Si en Afrique la justice était plus saine et rigoureuse, nous n’en serions pas là. A tort ou à raison, la magistrature a perdu sa crédibilité notamment à cause de la corruption. Ma critique se veut avant tout constructive. Il faut que les magistrats se reprennent car sinon c’est tout l’édifice national qui va s’écrouler.
Afrik : La marge de croissance de la fonction de notaire en Afrique noire est énorme. Or il n’y a pas d’école de notaire sur le continent. Avez-vous des projets pour structurer la formation ?
Abdoulaye Harissou : Nous sommes en train de créer un DESS (Diplôme d’études supérieures spécialisées, ndlr) de notariat et de droit international des affaires à l’université de Yaoundé (Cameroun, ndlr) avec le concours du Conseil supérieur du notariat français et l’Université de Tours (France, ndlr). Si cela fonctionne, nous espérons pouvoir développer ce projet à Dakar ou dans une autre grande ville d’Afrique de l’Ouest.