Procès travaux des 100 jours : « L’UDPS a également exploité les faiblesses morales de Vital Kamerhe afin de l’écarter de la Présidentielle de 2023 »


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Martin Milolo Nsenda
Martin Milolo Nsenda

L’affaire du procès des travaux des 100 jours continue de défrayer la chronique en RDC. Le procès en appel de Vital Kamerhe, condamné en première instance à la peine maximale, 20 ans de travaux forcés, est toujours attendu. Afrik.com a recueilli, sur cette affaire encore brûlante de l’actualité congolaise, l’avis d’un Congolais vivant au Congo. Activiste des mouvements citoyens, Martin Milolo Nsenda est le coordonnateur du mouvement Forum Citoyen (FC) qui, depuis 2016, œuvre pour la promotion de la démocratie et l’Etat de droit au Congo à travers des dénonciations, propositions et manifestations pacifiques. C’est donc en qualité d’observateur averti de la vie politique congolaise que Martin Milolo Nsenda s’est confié à nous, sans langue de bois.

Afrik.com : Au nom de la lutte contre la corruption, Vital Kamerhe, directeur de Cabinet du Président Félix Tshisekedi, a été traduit devant les tribunaux pour l’affaire des travaux des 100 jours et condamné à la peine maximale : 20 ans de travaux forcés. Croyez-vous en l’impartialité de cette lutte ?

Martin Milolo Nsenda : Il y a du vrai et du faux dans la condamnation de Vital Kamerhe. D’abord le vrai est que la culpabilité de Monsieur Kamerhe, allié principal du Président Félix Tshisekedi, et son directeur de Cabinet, a été établie en fait comme en droit par le tribunal. A titre d’exemple, nous pouvons citer les pressions par appels téléphoniques exercées par Vital Kamerhe sur l’ancien ministre des Finances, Henri Yav Mulang, pour l’obliger à payer Samih Jammal pour les maisons préfabriquées y compris par les réserves des devises à la Banque centrale du Congo. Ces révélations ont été faites par le ministre en personne devant le tribunal, lors de sa comparution comme témoin. De même, on peut évoquer l’accumulation par l’épouse de Vital Kamerhe, Hamida Shatur, de plusieurs centaines des milliers des dollars en l’espace de trois mois sans en justifier la source.

Ensuite, il paraît évident que Vital Kamerhe a aussi fait l’objet d’un double règlement de comptes politiques, d’une part par le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila qui le considère comme étant très dangereux pour la coalition FCC-CACH, car Kamerhe connaît les astuces des kabilistes, lui-même étant un ancien kabiliste ; d’autre part, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti présidentiel, a également exploité les faiblesses morales de Vital Kamerhe afin de l’écarter de l’élection présidentielle de 2023, car il était visiblement devenu gênant pour le Président Félix Tshisekedi qui devait le soutenir comme candidat du Cap pour le Changement (CACH), selon les accords de Nairobi. Donc la condamnation donne le signal timide de l’avènement d’un état de droit, car pour la première fois, une grande figure politique congolaise a été condamnée pour malversations financières, mais Vital Kamerhe a été trahi et abandonné par ses partenaires politiques.

Vous avez parlé des faiblesses morales de Vital Kamerhe. Que voulez-vous dire exactement par là ?

Vital Kamerhe est connu dans notre classe politique comme un politicien intelligent, mais qui aime beaucoup l’argent et l’ambiance. Il ne rate aucune opportunité pouvant lui procurer des avantages lucratifs. En 2016, sa participation au dialogue facilité par feu Edem Kodjo, mais qui était rejetée par ses collègues, grandes figures de l’opposition, a été considérée comme motivée par le fait qu’il aurait empoché une belle somme. Ce que l’intéressé n’a jamais démenti publiquement.

Vital Kamerhe aurait-il agi tout seul ?

Non, Kamerhe n’a pas agi seul; plusieurs personnes ont été citées lors du procès, notamment le Gouverneur de la Banque Centrale du Congo (Deogratias Mutombo), l’ancien ministre du Développement rural (Justin Bitakwira) et l’ancien ministre des Travaux publics (Thomas Luhaka). Ces derniers ont comparu devant le tribunal comme témoins faisant bloc pour charger Vital Kamerhe, mais aucune poursuite n’a été ouverte contre eux malgré les accusations de Monsieur Kamerhe faisant état de leur implication active dans le financement des travaux de 100 jours. Nous entendons aussi des proches de Vital Kamerhe et des membres de son parti, l’UNC (Union pour la nation congolaise), dire que la Première dame, Denise Nyakeru Tshisekedi, et Christian Tshisekedi, le jeune frère du chef de l’Etat, seraient aussi impliqués dans cette vague de détournements.

De lourds soupçons de malversations pèsent sur des barons de l’ancien régime qui n’ont pourtant jamais été inquiétés…

Martin Milolo Nsenda
Martin Milolo Nsenda

C’est ce qui nous inquiète et nous pousse à avoir des doutes sur l’instauration de l’Etat de droit avec le régime Tshisekedi. Les dignitaires du régime Kabila qui sont impliqués dans des détournements massifs ne sont pas inquiétés. A titre d’exemple, Albert Yuma, patron de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), est soupçonné du détournement de 200 millions de dollars, mais depuis sa convocation, une fois, par le procureur près la Cour de Cassation, le dossier n’avance pas. Les détournements auraient été opérés dans le projet dit des 5 chantiers, Bukanga Lonzo, projet des passerelles, des 1 000 écoles, etc.. L’ancien Président, Joseph Kabila lui-même, est cité dans plusieurs rapports qui l’accusent d’enrichissement illicite après avoir siphonné les caisses de l’Etat, mais aucun début de poursuites n’est engagé dans ces dossiers. Le Président Félix Tshisekedi avait déclaré qu’il ne fouinera pas dans le passé, mais la population réclame avec insistance des enquêtes et des poursuites dans les dossiers de détournements présumés de l’ancien régime. D’aucuns pensent que Kabila a acheté l’impunité pour ses collaborateurs et lui dans le deal qu’ils ont signé avec Félix Tshisekedi pour gouverner ensemble dans le cadre de la coalition FCC-CACH.

En signant un accord qui fait de lui le dauphin de Félix Tshisekedi en 2023, Vital Kamerhe n’a-t-il pas fait preuve de naïveté politique ?

Je ne le pense pas. Vital Kamerhe est l’un des politiciens les plus rusés de la RDC ; il savait que les promesses en politique ne valent que pour ceux qui y croient. Je pense plutôt qu’il voulait juste avoir les moyens financiers pour se battre seul aux élections de 2023, c’est ce qui l’aurait certainement motivé à chercher à s’enrichir rapidement dès que la coalition constituée avec Félix Tshisekedi est arrivée au pouvoir. Par ailleurs, il n’avait pas le choix, car en 2018, il était accusé d’être un agent de Kabila dans l’opposition, à cause de ses prises de positions controversées.

Quelles sont les chances de Vital Kamerhe de renverser la tendance au cours du procès en appel ?

Ses militants mettent la pression sur le président de la République qui aurait trahi leur leader, et des tentatives d’indépendance du Kivu, la base sociologique de Kamerhe, se multiplient. Cela pourrait amener à ce qu’au nom de la cohésion nationale, et pour éviter la balkanisation du pays, sa condamnation soit réduite à une peine plus légère. Mais cette possibilité a des chances très réduites d’aboutir.

En tant que citoyen congolais et surtout activiste des mouvements citoyens, quelles leçons tirez-vous de l’affaire Kamerhe ?

La condamnation de Vital Kamerhe est symboliquement pédagogique pour montrer aux dirigeants congolais que l’argent de l’Etat ne peut plus être volé impunément. Mais pour ce qui est de l’instauration de l’Etat de droit, il n’est pas encore effectivement en marche dans notre pays, le cas de Kamerhe n’étant pas suffisant.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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