Procès Thomas Sankara : « Le Président a été informé le matin »


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Thomas Sankara, ancien Président du Faso
Thomas Sankara, ancien Président du Burkina Faso

Ce lundi 22 novembre, le passage des témoins à la barre s’est poursuivi dans le cadre du procès de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Successivement, Arsène Bognessan Yé, Boukary Douamba, Patrice Ouédraogo et Victor Zongo ont fait leur déposition.

Arsène Bognessan Yé : « Personne ne pouvait imaginer cela »

Le médecin militaire Arsène Bognessan Yé était à la barre pour achever son audition qui a débuté jeudi dernier. En ce deuxième jour de passage, il s’est surtout livré à l’exercice des questions-réponses. De cet exercice, on retient que la proximité de cet homme avec Thomas Sankara dont il a d’ailleurs été le médecin personnel ne l’a pas empêché d’être également très lié à Blaise Compaoré. Malgré ses relations avec celui qui deviendra le nouvel homme fort du Burkina Faso, et qui lui ont valu les importants postes de responsabilité qu’il a, par la suite, occupés, Arsène Bognessan Yé dit n’avoir jamais pensé que la crise au sein du CNR aurait l’issue tragique qui fut la sienne.

« Quand tu étais du CNR, tu savais qu’il y avait une crise, c’est le comment du dénouement que l’on n’a pas vu venir. Il fallait que la crise trouve une solution. Ça aurait pu être une entente, on aurait pu trouver une solution, pas forcément le coup d’État… Quand on disait Sankara, c’était Blaise Compaoré, personne ne pouvait rentrer entre eux. Et personne ne pouvait imaginer cela », a-t-il laissé entendre.

Le chef du service de la table d’écoute à la barre

À la barre, le médecin militaire a cédé la place à l’adjudant-chef major de gendarmerie à la retraite, Boukary Douamba, à l’époque, chef du service de la table d’écoute. Selon les propres mots du témoin, ses collègues et lui avaient la mission d’écouter les conversations des lignes mises sur écoute, de les transcrire afin d’élaborer des fiches d’information avant de supprimer les enregistrements. Ces propos viennent démontrer que le service d’écoute ne conservait pas d’archives, ce qui balaie la thèse selon laquelle ces précieuses informations auraient été détruites par Jean-Pierre Palm avec l’appui d’un certain Blanc. C’est du moins la conclusion tirée par le président du tribunal à la suite de la déclaration de Boukary Douamba, le chef du service en question.

En réalité, de sa position, Boukary Douamba a pu écouter beaucoup de conversations et ses déclarations auraient pu apporter de nouveaux éléments au procès, mais tel n’a finalement pas été le cas, puisque si l’homme reconnaît avoir entendu plusieurs conversations entre Jean-Pierre Palm et Blaise Compaoré avant la date fatidique du 15 octobre, il déclare ne pas se souvenir du fond de leurs échanges. Toujours est-il que quelques jours après le drame, Boukary Douamba a été mis aux arrêts, sous les ordres de Jean-Pierre Palm, à l’en croire.

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Il dit avoir été maintenu en détention pendant un mois sans que la raison de son arrestation ne lui fût expliquée. Mais, selon lui, sa mise aux arrêts était certainement en rapport avec la table d’écoute. Invité à la barre pour confrontation, Jean-Pierre Palm a déclaré n’avoir jamais ordonné l’arrestation de Boukary Douamba. À la suite de l’intervention de ce dernier, son collègue Patrice Ouédraogo, également du service de la table d’écoute est passé avant Victor Zongo.

« Thomas Sankara avait toutes les informations »

Adjudant-chef major à la retraite lui aussi, Victor Zongo était un agent de contre-espionnage au moment des faits. À la barre, ce témoin a soutenu fermement que Thomas Sankara a été bien informé de ce qui se tramait contre lui. Au matin, du 15 octobre, le Président du Faso aurait d’ailleurs reçu en mains propres de l’agent de contre-espionnage, Boubacar Tinga Cola, un pli fermé comportant des renseignements que le service avait interceptés et qui évoquaient son assassinat programmé. Des renseignements fournis avec une précision mathématique, puisque le document indiquait, selon le témoin, un « dénouement sanglant de la crise, ce soir (le 15 octobre 1987, ndlr) à 15 heures ».

« Le président a été informé le matin. Il a été renseigné suffisamment à temps. L’information lui a même été transmise en plus d’une cassette audio attestant de la véracité de l’information (jugée urgente) », insiste le témoin. Selon les propos rapportés à ce dernier et qu’il a reversés au tribunal, dans la conversation contenue sur la cassette, on entendait la voix de Jean-Pierre Palm. Continuant sa déposition, Victor Zongo affirme qu’après avoir reçu les documents des mains de l’agent Boubacar Tinga Cola, le Président Sankara aurait déclaré : « c’est irréparable ». Puis il aurait remis un chèque à l’agent en guise de récompense à toute l’équipe du contre-espionnage pour le travail bien fait. La suite est connue de tous.

Après la déposition de ce témoin, l’audience a été suspendue pour ne reprendre que mercredi, pour raisons de sécurité, a annoncé le président du tribunal.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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