Procès Thomas Sankara : l’étau se resserre autour de Gilbert Diendéré


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Gilbert Diendéré
Gilbert Diendéré

Comme dans la journée du mardi 7 décembre, l’audition des témoins au cours de la journée du mercredi 8 décembre dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara met une nouvelle fois en cause le rôle-clé qu’a pu jouer Gilbert Diendéré dans les événements du 15 octobre 1987.

Mercredi, Léonard Gambo, Lankoandé Arzouma et Abderrahmane Zétiyenga étaient à la barre en tant que témoins dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara. L’essentiel des dépositions a été à charge contre le général Gilbert Diendéré. Pour le témoin Abderrahmane Zétiyenga, l’ex-chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré a joué un rôle important dans l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Adjudant-chef major à la retraite, Abderrahmane Zétiyenga était commandant d’une unité au sein de la garde présidentielle et était sous les ordres de Gilbert Diendéré au moment des faits. En octobre 1987, il était en stage à Pô pour l’obtention de son brevet d’adjudant-chef.

Mais avant son départ pour Pô, le 5 septembre 1987, la situation était déjà tendue entre les deux premiers responsables du CNR. L’existence des tensions a été confirmée par le Président du Faso en personne, dans un courrier qu’il a envoyé au témoin, le 8 octobre 1987. Vu la gravité de la situation, Abderrahmane Zétiyenga a sollicité une permission à Pô et s’est rendu à Ouagadougou où il a eu un entretien avec le Président Sankara qui lui a dit avoir déjà trouvé une solution pour aplanir les difficultés. Le témoin, de son côté, a promis au capitaine de discuter avec Gilbert Diendéré pour l’amener à organiser une réunion entre la garde de Thomas Sankara et celle de Blaise Compaoré.

Lorsqu’il rencontre Gilbert Diendéré, il constate que ce dernier est distant, silencieux, attitude ayant intrigué le témoin, puisque les relations étaient habituellement très cordiales entre les deux hommes. « Du 11 au 15 octobre, j’ai constaté un climat de méfiance. Nos relations ont changé donc je suis resté dans mon coin », confie le témoin à la barre. C’est sur forte insistance d’Abderrahmane Zétiyenga que Gilbert Diendéré a fini par organiser la rencontre entre les deux gardes, le 15 octobre.

Mais à cette réunion, le témoin a fait deux remarques importantes. Premièrement, alors que la garde de Thomas Sankara était fortement représentée à cette rencontre, celle de Blaise Compaoré n’était représentée que par une seule personne, Hamidou Pathé Maïga, son chauffeur qui a déclaré à la séance que Hyacinthe Kafando, le chef de la sécurité de Blaise Compaoré, était malade. Deuxièmement, Gilbert Diendéré qui a convoqué la réunion n’y a pas placé un traître mot.

La seule chose qu’il aurait fini par dire, c’est qu’il aurait reçu un message faisant état d’un complot ourdi par Thomas Sankara contre Blaise Compaoré et qui devait être exécuté ce 15 octobre, à 20 h. Il a alors pris la décision d’arrêter le Président du Faso et de le mettre en résidence surveillée afin d’éviter un bain de sang. Pour cela, Gilbert Diendéré ordonna que l’accès au Conseil de l’entente fût interdit après l’entrée du cortège du Président.

Le témoin déclare à la barre avoir été ensuite envoyé à son poste, vers la radio nationale. C’est là où il a appris, aux environs de 17 heures, la mort du Président Sankara et de ses compagnons. À l’en croire, sa déception était grande, puisque de ce qu’il a entendu Gilbert Diendéré dire, Sankara devait être arrêté et non tué. À ce niveau de son audition, Abderrahmane Zétiyenga fond en larmes. Il a déclaré être resté à son poste toute la nuit, et a pu voir deux camions transportant les détenus désignés pour enterrer les corps, quitter le Conseil.

Le témoin Lankoandé Arzouma décrit un calme inhabituel qui régnait cet après-midi du 15 octobre 1987

Avant l’audition d’Abderrahmane Zétiyenga, il y a eu le passage du sergent Lankoandé Arzouma qui, au moment des faits, travaillait avec le trésorier du Centre national d’entraînement commando (CNEC). Le 15 octobre 1987, il était à son bureau avant 15 h, attendant l’heure du sport. Alors qu’il était presque 15 h, le témoin n’a vu aucun rassemblement comme il y en avait habituellement les après-midis du jeudi consacrées au sport de masse. Sorti de son bureau une première fois, il aperçoit Gilbert Diendéré qui passait. Une deuxième fois, il voit le cortège du Président Sankara qui faisait son entrée.

Peu de temps après, des coups de feu se font entendre. Quand tout s’est calmé, il sort pour s’enquérir de ce qui s’est passé et il apprend que le Président venait d’être tué. Il décide alors de rentrer chez lui afin de troquer la tenue de sport qu’il portait contre sa tenue militaire. Le témoin déclare à la barre avoir rencontré Abderrahmane Zétiyenga vers la radio, pendant qu’il rentrait. Ceci concorde avec les propos d’Abderrahmane Zétiyenga qui confie effectivement avoir été envoyé à ce poste par Gilbert Diendéré.

Avec le recul, Lankoandé Arzouma a compris que le vide qu’il avait constaté le jeudi 15 octobre 1987 où jusqu’à 15 h, les gens ne s’étaient pas encore rassemblés pour le sport alors qu’habituellement, ils étaient en place 15 minutes avant 15 h était la preuve que le coup était bien préparé et que certaines personnes en étaient bien informées.

Lankoandé Arzouma a été précédé à la barre par le colonel major à la retraite, Léonard Gambo, commandant de la première compagnie du 1er Bataillon d’intervention rapide, qui à la fin de son audition a déclaré : « Ça a été un véritable choc de savoir que dans notre armée, on pouvait mourir banalement sans que ce ne soit au front. Ça a été un choc de savoir qu’on pouvait être enterré par des frères d’armes et sans les honneurs. Pour moi c’était une désillusion. Cela n’a pas été facile pour nous ».

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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