Procès Thomas Sankara : « C’est la première fois que je voyais Blaise Compaoré pleurer »


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Blaise Compaoré, ancien Président du Faso
Blaise Compaoré, ancien Président du Faso

Les témoignages ont repris mercredi à la salle des banquets de Ouaga 2000 qui fait office de tribunal pour le procès de l’assassinat du Président Thomas Sankara. Des témoins ont confirmé la thèse du complot savamment ourdi pour en finir avec le père de la révolution burkinabè.

L’audience du procès de l’assassinat de Thomas Sankara s’est poursuivie, ce mercredi 15 décembre. Plusieurs témoins ont fait leur déposition à la barre. Le premier sur la liste est Eugène Somda dont le témoignage avait été suspendu lundi dernier pour cause de décès. À la reprise de l’audience, l’adjudant-chef major à la retraite a été confronté aux accusés qu’il a cités au cours de son témoignage. Il s’agit de Nabonswendé Ouédraogo et de Gilbert Diendéré. Le premier a déclaré que le témoin a dû le confondre avec un autre soldat nommé Nasonswendé Ouédraogo (également membre de la garde rapprochée de Blaise Compaoré). « Je n’ai pas de problème avec Somda K. Eugène, je le respecte, mais je pense qu’il me confond avec Nasonswendé Ouédraogo. Parce que quand les tirs ont commencé, je n’étais plus à mon poste, alors comment pourrais-je arrêter quelqu’un si je ne suis pas là ? », interroge l’accusé Nabonswendé Ouédraogo.

Mais en face, Eugène Somda est formel : « Je connais très bien Nabonswendé Ouédraogo. Lui et moi, nous sommes intimes. Je ne peux pas oublier ce visage qui m’a plus ou moins scandalisé, ce jour-là. C’est un soldat calme, très sage. C’est d’ailleurs ce qui m’a étonné quand il m’a arrêté et désarmé », soutient le témoin. Du reste, le président du tribunal ne s’est pas empêché de relever l’incohérence des propos de l’accusé : « C’est vrai qu’on pourrait confondre les noms qui se ressemblent, mais on ne peut pas vous confondre physiquement. En tout cas pas Somda K. Eugène, qui est votre chef et qui vous connaît tous », tranche-t-il.

Gilbert Diendéré a, pour sa part, confirmé avoir rencontré Eugène Somda, peu après le drame au Conseil de l’entente. « Oui, nous nous sommes vus. Il m’a dit qu’il avait été désarmé. J’ai donné des instructions à Maïga Hamidou pour que son arme lui soit rendue. Face à la question de savoir qui avait désarmé Eugène Somda, Gilbert Diendéré répond : « Là je ne saurais répondre. Il ne me l’a pas dit et je n’ai pas cherché à le savoir non plus ».

Un coup bien planifié

À la fin de l’audition d’Eugène Somda, le colonel-major à la retraite, Blaise Sanou, a été invité à la barre pour apporter sa version des faits. De la déposition de celui qui, en octobre 1987, était capitaine et commandait l’escadron de chasse de la base aérienne, il ressort que le coup du 15 octobre a été bien planifié et méthodiquement mis en œuvre. Plusieurs éléments cités par le témoin le prouvent à suffisance. Blaise Sanou rapporte qu’il était à une réunion qui a commencé à 15 h avec le capitaine Henri Zongo et d’autres personnes, au Conseil de l’entente, lorsqu’ils ont entendu les coups de feu.

En bon officier, le témoin a voulu prendre des dispositions, mais il a constaté que tous les chargeurs des armes stockées au magasin avaient été enlevés tout comme les chargeurs des armes de la sécurité. Blaise Sanou a également évoqué la production de tracts comme une autre preuve que le coup d’État a été bien préparé. Pour lui, les tracts provenaient de la même source. Ils s’en prenaient aux deux premiers responsables de la révolution, mais étaient particulièrement virulents quand il s’agissait de Thomas Sankara.

Troisième élément attestant la thèse du complot : les propos de Lucien Watamou, un des responsables de l’Union des communistes burkinabè (UCB) et membre du Conseil national de la Révolution, qui a confié à un proche de Thomas Sankara que le capitaine n’était pas homme à arrêter et emprisonner. Et Blaise Sanou d’affirmer : « En français facile, ça veut dire qu’il faut le tuer ».

Quatrième élément mis en exergue par le colonel Sanou : l’avidité du pouvoir de Blaise Compaoré. Pour le témoin, Blaise Compaoré n’a jamais caché sa volonté de prendre le pouvoir, depuis le début de la révolution. C’est cette même avidité du pouvoir qui s’est traduite par l’élimination des deux autres leaders de la révolution, le capitaine Henri Zongo et le commandant Jean-Baptiste Lingani. La thèse du complot a été confirmée par l’adjudant-chef, Denis Bicaba, pendant sa déposition. Rentré d’une formation à Cuba, en juillet 1987, il s’est rendu compte qu’un fossé de divergences séparait les deux premiers responsables de la révolution.

Pendant que Thomas Sankara a fait dire à Denis Bicaba qu’il avait besoin de lui pour l’aider à consolider la révolution, Blaise Compaoré, de son côté, lui envoya Gabriel Tamini (beau-frère du témoin) pour lui demander de le rejoindre pour faire un coup d’État. Denis Bicaba déclare à la barre avoir rapporté ces propos au capitaine Thomas Sankara. « Tamini est revenu après me dire qu’on l’a instruit pour venir me signifier qu’avec moi ou sans moi Sankara sera renversé », poursuit le témoin. Inquiet face à cette menace ouverte, Denis Bicaba se porta vers le Président Sankara qui lui confia qu’il ne sera pas le premier à s’en prendre à Blaise Compaoré, mais que s’ils entendaient des coups de feu, qu’ils pouvaient riposter.

En plus de son beau-frère, Denis Bicaba a indiqué qu’Arsène Bognessan Yé l’avait également approché pour un coup d’État, avec la promesse d’être promu au grade de sous-lieutenant, s’il coopérait. L’atmosphère était viciée et la tension perceptible. « À environ trois semaines avant le drame, lors d’une réunion, Blaise Compaoré a été mis en minorité dans la salle. Les gens qui prenaient la parole lui disaient qu’ils sont découragés de lui, car ils apprenaient qu’il voulait faire un coup d’État. C’est la première fois que je voyais Blaise Compaoré pleurer. Et c’est après cette réunion qu’il est allé préparer le coup pour taper fort », indique Denis Bicaba.

Interrogé sur la raison pour laquelle les éléments proches de Thomas Sankara n’ont pas riposté comme le leur avait demandé leur chef, Denis Bicaba évoque une absence de coordination.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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