À peine rouvert, ce jeudi, le procès Thomas Sankara a été suspendu. Le motif de la suspension : une exception en inconstitutionnalité soulevée par la défense requiert l’avis du Conseil constitutionnel qui se retrouve face à une alternative.
Au Burkina Faso, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons a normalement repris ce jeudi 3 mars 2022, mais pour être à nouveau suspendu, après trois semaines de pause. À partir de ce jour, la défense devait faire sa plaidoirie. Mais, dès l’ouverture de la séance, Me Aliou Diakité, avocat de Jean-Pierre Palm, inculpé pour complicité d’attentat à la sûreté de l’État, a soulevé une exception d’inconstitutionnalité. Pour l’avocat, soutenu par ses autres collègues de la défense, le fait que le Conseil constitutionnel ait conféré un statut légal au MPSR, pouvoir issu d’un coup d’État, donc d’un attentat à la sûreté de l’État, légalise ipso facto ce mode de conquête du pouvoir d’État.
« L’histoire du pays nous montre qu’il y a une forme de légalisation de ses actes d’attentat à la sûreté de l’État. Il faut que le Conseil constitutionnel se prononce et on verra bien si l’attentat à la sûreté de l’État est, du point de vue du droit, toujours admis ou interdit par la loi », ont martelé Me Aliou Diakité et ses collègues qui ont formellement sollicité l’avis du Conseil constitutionnel sur la question. Les tentatives des avocats de la partie civile pour obtenir le rejet de la requête de la défense auprès du président du tribunal n’ont pas porté de fruits.
Après un long débat, le juge Urbain Méda a pris la décision de suspendre le procès, le temps de permettre au Conseil constitutionnel de se prononcer. Si le juge constitutionnel, qui a jusqu’à un mois pour donner son avis, se prononce en faveur de la défense, alors, tous les accusés inculpés pour attentat ou complicité d’attentat à la sûreté de l’État ne pourront plus être condamnés. Dans le fond, même s’ils ont dénoncé une manœuvre dilatoire de leurs collègues de la défense, les avocats de la partie civile reconnaissent le bien-fondé de la question soulevée.
« Ces évènements du 24 janvier soulevés, avec l’attitude du Conseil constitutionnel, ont induit que la défense pense que l’infraction d’attentat à la sûreté (de l’État) n’existe plus, s’agissant d’un coup d’État. Donc, on renvoie la balle au Conseil constitutionnel, qui doit situer l’opinion publique de façon générale et même mettre un holà sur un débat qui est toujours en cours. Pour moi, quant au fond, cette question qui a été soulevée est très intéressante », laisse entendre Me Benewende Sankara.
« Personnellement, poursuit-il, je suis plutôt fier de voir les jeunes confrères rester dans le sillage du procès équitable et surtout de défendre bec et ongles les principes qui font que l’avocat est celui-là qui doit défendre la liberté et rien que la liberté ». « L’actualité politique nationale nous rattrape. La décision prise par le Conseil Constitutionnel relativement à la prestation du serment du Président du MPSR et de son investiture, cela revient à dire qu’au Burkina Faso, le coup d’État constitue un mode légal d’accession au pouvoir », concède, pour sa part, Me Prosper Farama.
Tous les regards sont donc tournés vers le Conseil constitutionnel qui, finalement, se retrouve face à un dilemme. Va-t-il soutenir que l’attentat à la sûreté de l’État constitue une infraction et se retrouver dans une position incohérente, puisqu’ayant donné sa bénédiction au MPSR, ou va-t-il, au contraire aller dans le sens des avocats de la défense et effacer de la sorte l’infraction d’attentat à la sûreté de l’État ? Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, elle ne sera pas exempte de critiques. Mais, la deuxième option paraît improbable.
D’ailleurs, à ce sujet, Me Benewende Sankara est très clair : « Même si nous, nous avons pensé que d’un point de vue de la procédure pénale, c’est un débat qui a été soulevé tardivement, puisque le Parquet a déjà pris ses réquisitions, les parties civiles ont déjà plaidé et nous ne voyons pas comment le Conseil constitutionnel va se dédire », tranche-t-il. Pour son collègue, Me Prosper Farama, les conséquences d’une telle décision « seraient désastreuses pour l’État de droit naturellement ».