Procès Boko-Homeky : des témoins, sachants et prévenus entendus


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Olivier Boko (à gauche) et Oswald Homeky (à droire)
Olivier Boko (à gauche) et Oswald Homeky (à droire)

Ce mardi 28 janvier 2025, la salle d’audience a vu la reprise du procès très médiatisé impliquant l’ancien ministre des Sports, Oswald Homeky, et l’homme d’affaires, Olivier Boko, accusés d’avoir fomenté un complot contre l’autorité de l’État. Les débats ont eu lieu dans un climat tendu, marqué par l’absence d’avocats pour les accusés. De nombreuses personnes ont fait leur déposition.

Malgré un report de l’audience pour permettre aux prévenus de trouver de nouveaux conseils juridiques, aucun des accusés ne s’est présenté avec un avocat. Le procureur spécial représentant le ministère public a dénoncé une « stratégie délibérée » visant à retarder les débats, rappelant que les accusés avaient eu amplement le temps de régulariser leur situation. Il a demandé à la Cour de poursuivre les audiences, s’appuyant sur l’article 312 du code de procédure pénale qui stipule que l’absence d’avocats ne constitue pas une nullité.

Face aux explications des accusés — qui ont invoqué des délais insuffisants et des obstacles administratifs — la Cour a finalement décidé de continuer les débats sans représentation légale pour les prévenus.

Les révélations de l’enquête préliminaire

Le premier témoin à la barre, le commissaire Victorien Nounagnon, chef de l’antenne sud de la brigade criminelle, a présenté les résultats des enquêtes préliminaires. Selon lui, Oswald Homeky aurait pris contact avec le commandant de la garde républicaine, colonel Dieudonné Tévoédjrè, en vue d’une transition militaire. L’argent nécessaire à l’opération — 1,5 milliard de F CFA — provenait de retraits effectués par de proches collaborateurs. Lors d’une perquisition, la police aurait saisi six sacs remplis de billets dans un véhicule immatriculé au Togo.

Oswald Homeky aurait affirmé lors de son interrogatoire que ces fonds étaient destinés à des investissements à l’étranger. Cependant, la procédure d’acquisition du véhicule contenant l’argent présenterait des irrégularités, renforçant les soupçons de complot.

Le témoignage accablant du commandant de la garde républicaine

Le colonel Dieudonné Tévoédjrè, commandant de la garde républicaine, a été appelé à la barre pour déposer sur ses interactions avec Oswald Homeky. Il a affirmé que l’ancien ministre avait commencé à le courtiser dès mai 2024, au cours de plusieurs rencontres, lui offrant de l’argent et critiquant ouvertement le Président Talon.

Lors d’une soirée en août 2024, Oswald Homeky aurait explicitement évoqué un plan de coup d’État, prévoyant de renverser le gouvernement la veille du départ du Président pour le sommet de la Francophonie. Selon le colonel, l’ancien ministre des Sports avait prévu un budget colossal pour éviter toute défection au sein des forces armées.

Le colonel a justifié sa participation apparente au complot par une volonté de surveiller les événements de l’intérieur, affirmant que refuser aurait risqué de pousser Oswald Homeky à chercher un autre complice. D’après le commandant de la garde républicaine, l’ancien ministre, Oswald Homeky et ses alliés ont fait preuve d’une naïveté stratégique en pensant que l’armée les laisserait reprendre les rênes du pays. Le colonel Tévoèdjrè, tout en évoquant la trahison qu’aurait constitué un renversement du régime, a affirmé que la loyauté envers la République était une priorité. « Je ne suis ni un traître ni un héros, mais un soldat de la République », a conclu le chef de la garde républicaine.

Dieudonné Tévoèdjrè a également levé le voile sur la répartition des rôles entre les différents acteurs politiques et militaires en cas de réussite du coup. Le chef de la junte, selon les accords internes, serait le commandant de la garde républicaine. L’ancien ministre Homeky aurait, lui, été nommé conseiller spécial, tandis que l’ex-ministre de la Justice, Séverin Quenum, aurait accédé à la tête de la Cour constitutionnelle. Des propos du témoin, il ressort aussi qu’aucun rôle officiel n’était prévu pour Olivier Boko, le puissant homme d’affaires, qui aurait préféré rester dans l’ombre.

D’autres dépositions enregistrées

Les gardiens du domicile d’Oswald Homeky ont aussi été appelés à témoigner. L’un d’eux a raconté les événements de la soirée du 23 septembre, affirmant que l’ancien ministre avait donné des instructions strictes pour éviter toute perturbation à l’arrivée de ses invités. Selon les témoignages, plusieurs véhicules se sont rendus au domicile de Homeky cette nuit-là, notamment à l’heure où le commandant de la garde républicaine est arrivé à 00h59, pour repartir en compagnie du ministre à 1h30.

Après les gardiens, il y a eu l’intervention du directeur des titres de transport à l’ANaTT (Agence nationale des transports terrestres), qui a expliqué à la Cour la procédure légale de changement d’immatriculation des véhicules. Cette déclaration a mis en lumière la rigueur des procédures administratives, bien loin des pratiques douteuses de certains acteurs, notamment liées à l’affaire en cours. Le témoin a également rappelé que toute autre démarche en dehors de cette procédure est illégale.

Le chauffeur de l’épouse de l’ancien ministre a été appelé à témoigner, tout comme Corneille Gbaguidi, gérant d’une société de l’homme d’affaires, Rock Niéri, beau-frère de Olivier Boko également cité dans l’affaire. Bien qu’il ait été mis en charge des opérations administratives de la société depuis plus d’une décennie, il a déclaré n’avoir jamais eu de discussions politiques avec son patron, Rock Niéri. Corneille Gbaguidi a affirmé qu’il pensait que les sommes d’argent qu’il signait, qui totalisent plusieurs centaines de millions de F CFA, étaient destinées à des projets de construction, mais il s’est montré étonné d’apprendre que ces fonds étaient liés à des activités suspectes.

Hugues Adjigbékou, comptable de la société de Rock Niéri, a également été entendu par la Cour. Il a reconnu avoir effectué de nombreux retraits de fonds, notamment un total de 2,5 milliards de F CFA entre juin et septembre 2024. Des fonds qui, selon lui, étaient destinés à l’exécution des travaux de la société. Lui-même a manifesté de la surprise d’apprendre que c’est cet argent qui se retrouvait chez le ministre Homeky.

Invités à la barre, Oswald Homeky et Olivier Boko, à qui les enquêtes de moralité sont globalement favorables, n’ont pas voulu s’exprimer en l’absence de leurs avocats. Le procès reprendra le mercredi 29 janvier 2025.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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