Dans le numéro actuellement en kiosque, le mensuel Courrier de l’Atlas, principalement axé sur les Marocains résidents à l’étranger (MRE), publie un dossier sur « les dérives de l’antiracisme ». A travers plusieurs articles signés du journaliste Yann Barte, le magazine s’attaque à un certain nombre d’associations antiracistes, dont les Indigènes de la République, Les Indivisibles, le Mrap, taxées d’antisémitisme et de pro-islamisme. Plus globalement, le magazine dénonce le glissement du mouvement antiracisme français vers l’extrémisme et le repli identitaire.
« On crache sur un universalisme qui se ressource dans la laïcité, elle-même dénoncée comme « intégriste », « dogmatique », voire « raciste ». De Mouloud Aounit (président du Mrap) à Esther Benkassa (chercheur et universitaire, spécialiste de l’histoire des juifs), de Houria Bouteldja (président des Indigènes de la République) à Rokhaya Diallo (membre fondateur des Indivisibles)… tous, oublieux de l’histoire de la philosophie du droit naturel, tirent à boulet rouge sur les valeurs universelles, décrites comme une abstraction, une hypocrisie. » C’est ce qu’on peut lire dans le numéro actuellement en kiosque du Courrier de l’Atlas. Le magazine, dans son numéro du mois, consacre un dossier aux « dérives de l’antiracisme ». Ainsi des associations comme les Indivisibles, Les Indigènes de la République, le Mrap, le CRAN, jusqu’aux Panthères roses, association LGBT ( lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles de France), toutes mises dans le même sac, sont accusées d’être les dangereux petits soldats d’un mouvement anti-universaliste, sous couvert de lutte anti-raciste, de favoriser les fanatiques de tout bord, contre les républicains, et de participer au repli identitaire qui ronge la société française.
« L’antiracisme s’est dévoyé »
Sous la plume du journaliste Yann Barte, le dossier revient sur 20 ans de lutte antiracisme, au cours desquels « l’antiracisme sombre dans le différentialisme et dans un virulent réquisitoire contre l’universalisme. Une erreur qui lui fait adopter les travers du racisme qu’il combat. (…) Prenant la défense des particularismes, enfermant les individus dans leurs identités d’origine, glissant de la revendication de l’égalité du droit au droit à la différence, stigmatisant des groupes dits « dominants »…, l’antiracisme s’est dévoyé ». Au cœur de son fourvoiement, son antisémitisme, manifeste. « L’obsession du complot juif-sioniste traverse nombre de ces mouvements, écrit Yann Barte. Dans les manifestations, les Indigènes brandissent désormais des drapeaux du Hezbollah, les portraits de Cheikh Yassine ou de Hassan Nasrallah. (…) C’est un fait : une partie inquiétante du mouvement antiraciste est devenue aujourd’hui une machine de guerre contre l’universalisme».
Des universitaires également en prennent pour leur grade, dans un article intitulé « Ces intellectuels qui déraillent ». « Développement de la martyrologie, enfermement des personnes dans des identités recrées, mise en concurrence des mémoires, ethnisation des questions sociales… Le monde universitaire n’est pas exempt d’un militantisme victimaire qui, à l’analyse, s’avère tout à faire contre-performant. » Ainsi Vincent Geisser serait « le porte-parole officieux des islamistes » et Pascal Boniface, « obsédé » par le lobby sioniste.
La réplique des militants ne s’est pas faite attendre. Via le Net et les réseaux sociaux, « une cabale » anti-Courrier s’organise. Des plaintes en diffamation sont envisagées. « Ces articles ne sont ni plus ni moins qu’une attaque en règle contre le mouvement anti-raciste, juge Houria Bouteldja, présidente des Indigènes de la République, contactée par Afrik.com. Les personnes mises en cause sont choquées. J’ai eu un échange avec Pascal Boniface, notamment, choqué. Moi, par contre, je ne le suis pas. Je connais ce magazine, je sais que c’est un journal laïcard, républicaniste… Ce n’est pas le premier article dans lequel il s’attaque à nous. Même s’ils n’ont jamais cherché à nous contacter. Ils ne font pas du journalisme mais de la propagande. » Cette dernière, avec Rokhaya Diallo est personnellement ciblée par le magazine, qui l’accuse, entre autre, de racisme anti-blanc quand elle parle des « souchiens » (en faisant allusion au Français de souche) et d’antismétisme. « Je ne répond pas à cette accusation. Les Indigènes sont un mouvement anti-sioniste, et on l’assume, nous soutenons des associations de résistance palestinienne. Si nous sommes antisémites, qu’ils portent plainte. L’antisémitisme est un délit en France, non ? Nous, en revanche, nous préparons une riposte politique. Nous ne porterons pas plainte. Ce type de chose se traite par le mépris.
C’est cousu de fil blanc, ce n’est pas argumenté, pas professionnel, il y a des contre-vérité. » Et de renvoyer le Courrier de l’Atlas à un mouvement qui va de Bernard-Henri Lévy,au Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). « Le Crif et Courrier de l’Atlas même combat finalement, conclue la militante. Ça rejoint un mouvement plus grand qui s’attaque à l’antiracisme. Aussi bien à des associations comme la nôtre, mais aussi le Mrap, des féministes. Tout un mouvement militantiste proche des préoccupations actuelles, des réalités sociales. Et cela c’est dangereux. Les personnes qui ont été ciblées sont hors de cause. Ce sont des personnes qui mènent un combat juste. »
« On essaie de flatter les puissants, en tapant sur les noirs et les arabes »
Rokhaya Diallo, membre des Indivisibles dont elle a été présidente, est également taxée d’antisémitisme et de racisme anti-blanc . Le journaliste lui reproche notamment d’avoir trop copiné avec les filles de « Hijab and the city ». « Nouvelle compagne de route des mouvements pro-hijab », selon lui, elle serait trop complaisante à l’égard des musulmans extrémistes, mais trop dure avec les musulmans modérés. « Peu à peu, les Indivisibles deviennent les adversaires de la laïcité, qualifiée de « laïcisme intégriste », et du féminisme adversaire trop bruyant de l’intégrisme » observe Yann Barte. Et pour appuyer ses dires, l’auteur cite des morceaux, choisis, du livre de Rokhaya Diallo, Racisme, mode d’emploi. « Des citations sorties de leur contexte, réplique Rokhaya Diallo. « Au départ, confie-t-elle à Afrik.com, je n’avais lu que l’édito. Puis très vite, j’ai reçu des coups de fil et là j’ai vu qu’une double page m’était consacrée. » Elle non plus n’a pas été contactée par le journaliste. « Je n’ai jamais été attaquée, si ce n’est pas des canards d’extrême droite, là venant d’un magazine communautaire, c’est étonnant. C’est à la fois violent et grave. » Même si elle n’envisage pas de porter plainte pour diffamation, Rokhaya Diallo reproche au journaliste son manque de professionnalisme. « Il a peut-être lu mon livre, mais les propos cités sont dénaturés, on me fait dire des choses que je n’ai pas dite. C’est une opération de marketing. Faire du bruit autour du nom de quelques personnes. » Au-delà de cela, selon elle, cet article est conforme à la ligne éditorial du Courrier de l’Atlas. « On essaie de flatter les puissants, en tapant sur les noirs et les arabes, c’est trop facile. C’est un magazine communautaire qui nous dit : « regardez, nous on n’est pas communautariste, on n’est pas comme eux, on est poli, on aime la République, la preuve. » » Houria Boutelja, dans le même sens, va plus loin : « Il y a une convergence d’intérêt entre la France et le Maroc. Que ce soit au niveau des revendications qui naissent au Maroc et celles dans les quartiers populaires en France, l’Etat français, comme l’Etat marocain, cherchent à les étouffer. »
On ne peut, en effet, que s’interroger, sur l’intérêt d’un tel dossier, alors qu’un mouvement populaire, prônant des réformes au Maroc, tente de faire entendre sa voix, non sans difficulté, dans la vague des révoltes arabes, et que nous sommes, en France, à quelques mois de l’élection présidentielle, et où nombre d’associations antiracistes craignent une recrudescence des dérapages racistes. La rédaction d’Afrik.com a cherché à obtenir des réponses auprès de la direction du Courrier de l’Atlas. Sans succès pour l’instant…