Le 22 avril au soir, lors de se déclaration à l’issue du premier tour de la présidentielle française, on a vu un Nicolas Sarkozy atone, gnangnan, le contraire d’un homme vif, éloquent, sémillant à la limite du physique.
Avec 27% de voix, contre plus de 28% au candidat socialiste, Nicolas Sarkozy a lancé : « Les Français ont exprimé un vote de crise, face à ces angoisses et ces souffrances du nouveau monde en train de se dessiner. Ces angoisses, ces souffrances, je les comprends : elles concernent le respect de nos frontières ». Interprétant ainsi à son propre compte le sens du vote du 22 avril, Nicolas Sarkozy trace la perspective de ses thèmes de campagne d’entre-deux tours : la crise, l’immigration, l’incertitude de l’avenir. Justement, ce sont là les thèmes forts du candidat-président, mais où il a aussi un bilan peu défendable. En 2007, la France avait un taux de croissance de 2,25%, en 2012, il est de moins de 1%, 8% de taux de chômage en 2007, plus de 10% en 2012, le plus mauvais d’Europe après l’Espagne. Face à la douche froide électorale d’un président le plus impopulaire de la Ve république, il s’arc-boute sur un rassemblement vague où, parce que l’élection présidentielle n’est pas une affaire de partis mais une rencontre d’un homme avec le peuple, il veut parler à chaque Français, sans intermédiaires, au-delà des électorats traditionnels des principales forces politiques hexagonales.
Amnésique volontaire (il n’avait pas trop le choix), il fait l’impasse sur le premier tour et mise sur un duel d’homme à homme où, lui, Sarkozy aurait l’avantage de l’expérience et de l’éloquence. Mais la supposée mollesse, la supposée inexpérience de François Hollande, la supposée absence de substance de son programme ont-elles jamais été l’enjeu de l’élection présidentielle française de 2012 ? Nicolas Sarkozy compte aussi sur sa forte personnalité, son exubérance, son éloquence incarnant un chef fort dans une France dans l’incertitude (panne de croissance, chômage) dans un monde en pleines turbulences économiques. Mais le paradoxe du candidat Sarkozy, c’est que ses forces sont aussi ses faiblesses.
Le Sarkozysme : hyper présidence et bling-bling
Au-delà de la crise, c’est l’hyper-présidence, l’arrogance de l’énergie de ce président bling-bling, plus PDG que président, plus ordinaire qu’extraordinaire. Au fond, face à l’électorat d’extrême droite qu’il n’a pas pu suborner par un discours frontiste édulcoré, l’électorat traditionnel de Marine Le Pen (Front National, FN) a préféré l’original à la copie. En face, le clan Hollande démontrera la pertinence de ses propositions, socialistes, de son réalisme, et Hollande lui-même va se mettre davantage dans la posture du favori-candidat face au président-candidat, dans celle du président normal, c’est-à-dire justement extraordinaire au lieu d’un président anormal donc ordinaire. D’ailleurs, deux gestes en font l’augure : le calme de la déclaration du candidat du PS et son assurance en désormais favori à l’issue du premier tour : « Ce soir, je deviens, par le vote des Français, le candidat de toutes les forces qui veulent clore une page et en ouvrir une autre, où tous les atouts de la France seront mobilisés. Je pense à la jeunesse ».
Ensuite, son refus de la proposition de Sarkozy de trois débats télévisés entre les deux tours. Il semble vouloir signaler que désormais, c’est lui, Hollande, qui donne le tempo et le timing. Et il a raison, c’est désormais le favori. Ironie du sort, c’est l’arroseur arrosé : aux premiers jours du premier tour, Sarkozy ignorait royalement Hollande, s’occupant à son job de président de la République. Aujourd’hui, Hollande semble lui-dire, « j’ai d’autres priorités en tant que probable futur président de la République plutôt qu’à s’agiter sur les plateaux de télévision ».
En plus d’un second tour aux allures d’un référendum anti-Sarkozy (l’UMP espère en désespoir de cause un référendum anti-Hollande), l’autre péril en la réélection de Sarkozy vient de la droite de sa droite, Marine Le Pen et son historique 18%.
Le président sortant a mené une campagne volontariste de droite, en allant parfois chasser sur les terres du FN. Mais il n’a pas réussi à siphonner ces voix, cela sonne comme un déni de voir en lui celui qui peut incarner cette France qui se replie sur elle-même pour faire face à la crise. Le rapport des reports des voix tels que mesuré au premier tour donne seulement à peine la moitié des voix pour Sarkozy au second tour, sans compter les abstentionnistes frontistes et les centristes qui ne lui sont pas acquis.
La vague bleue Marine
Bien plus encore, le FN mise sur un effondrement de l’UMP aux législatives pour se positionner en nouveau magma de la droite française à la place de l’Union pour un mouvement populaire née de la fusion entre le RPR, Démocratie Libérale et l’UDF (qui deviendra le Modem de François Bayrou) le 17 novembre 2002. Les scories de l’explosion de l’UMP pourraient s’agréger autour du FN pour devenir un mouvement Bleu Marine comme la leader du FN l’a d’ailleurs annoncé lors de la campagne du premier tour. Une Française de Gauche a, sur le sujet, ce propos : « Un jour, le FN dirigera la France, les Français pure souche sont fascistes, de la droite comme de la gauche-caviar ». Ce jour est-il si loin ? Il est à parier qu’en cas de désenchantement d’un éventuel mandat Hollande, le FN au pouvoir, ce ne serait plus un phantasme.
Mais la bipolarisation remise en cause par la percée de Jean-Luc Mélenchon, et la marée Marine Le Pen a des ressorts plus profonds à cause de ce qu’on peut qualifier de « vote utile ». La même électrice qui a voté François Hollande affirme sur ce point que le candidat le plus sérieux et crédible pour elle, c’est le centriste François Bayrou (d’autres sondages ont tendu à le montrer), mais voter Bayrou en l’état actuel poursuit-elle, contribuerait à éparpiller les voix, ce qui laisserait la place à des électeurs aux habitudes électorales moins erratiques comme ceux du FN et grossir les scores du parti frontiste. En d’autres termes, si un fort taux d’abstention est favorable à la droite et l’extrême droite (comme en 2002 au premier tour), un éparpillement des voix pourrait faire de l’extrême droite la deuxième voire la première force politique française.
Au-delà du 6 mai, date du second tour, François Hollande a donc un énorme challenge : amorcer l’ère d’une gauche qui rassemble sur ses valeurs idéologiques fondamentales, méritocratiques et technocratiques, et non plus seulement comme le profiteur d’un effet du « tout sauf Sarkozy ». La marée haute bleue Marine gronde, une « caviardisation » de la gauche, et une implosion de l’UMP du fait de son hypersarkozysme pourraient hâter le tsunami politique frontiste qui guette les berges de la Marianne.
Par François Bimogo
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