Le rôle de la France soulève bien des rumeurs dans l’élection présidentielle gabonaise d’août dernier, qui a vu la victoire contestée d’Ali Bongo. Difficile de démêler le vrai du faux pour André Mba Obame et Pierre Mamboundou, les deux principaux candidats d’opposition. Leurs interprétations diffèrent d’ailleurs sur l’influence réelle de Paris, même s’ils s’entendent sur la duplicité de l’ancienne puissance coloniale. Enfin, les deux camps regrettent clairement l’absence de médiation internationale, citant le cas récent de la Guinée en exemple.
« La France, on en a déjà bien assez parlé », lâche un conseiller d’André Mba Obame, candidat à l’élection présidentielle gabonaise d’août dernier. Quatre personnes se relaient au téléphone, au quartier général du candidat, avant que Michel Ongoundou, directeur du Gri-Gri International « dans le civil », n’accepte de répondre aux questions d’Afrik.com. Le sujet suscite les passions dans le camp de Pierre Mamboundou, l’opposant historique au clan Bongo, mais on rechigne au contraire à s’y attarder parmi les partisans de Mba Obame. Le rôle de la France a-t-il été important dans l’élection présidentielle gabonaise d’août dernier ? Vaut-il la peine d’insister sur le sujet ? Les avis sont partagés.
Depuis la proclamation des résultats le 3 septembre, le flou de la situation au Gabon favorise les on-dit. Un certain nombre d’entre eux concerne bien entendu l’intervention présumée de la France dans le scrutin, en particulier dans le but de préserver ses intérêts militaires et commerciaux. Paris possède une base militaire d’importance stratégique dans la capitale gabonaise, Libreville, et l’entreprise d’hydrocarbures Total possède de gros intérêts au Gabon.
« Nous n’accordons aucun crédit aux rumeurs », balaye Michel Ongoundou, qui rejette par exemple l’hypothèse d’une médiation orchestrée dans l’ombre par la diplomatie française, relayée sur la plate-forme Twitter[[Il est suivi en cela par l’entourage de Pierre Mamboundou et le secrétariat d’Etat français à la Coopération]].
La visite d’Alain Joyandet en Guinée équatoriale
La presse tente de mettre à jour la vérité, en se basant sur ses relais d’information. Jeune Afrique affirme ainsi après enquête que le secrétaire d’Etat français à la Coopération Alain Joyandet se serait rendu en Guinée équatoriale une semaine avant l’élection gabonaise afin de convaincre le Président Teodoro Obiang Nguéma d’arrêter de soutenir André Mba Obame, son « cousin » fang.
« Une affirmation très aventureuse », selon Guyonne de Montjou, porte-parole d’Alain Joyandet, qui explique que le Gabon ne figurait pas à l’agenda des discussions entre les deux officiels. On peut douter toutefois qu’aucun propos n’ait porté sur une élection aussi importante et aussi imminente dans le pays voisin. Si Michel Ongoundou ne confirme pas l’information de Jeune Afrique concernant son candidat, il ne la rejette pas pour autant.
Le peuple fang, auquel appartient André Mba Obame, est présent entre autres au Gabon et en Guinée équatoriale, et représente respectivement 40% et 70% de la population environ. La question ethnique a été un enjeu implicite dans l’élection, puisque M. Mba Obame aurait été le premier Président fang depuis 42 ans. Les accusations portées par le camp d’Ali Bongo envers Mba Obame ont à l’inverse joué sur l’insinuation de l’existence d’un complot fang dans les Etats voisins.
Une neutralité de façade
Mais au-delà des propos ou actes rapportés, que les candidats disent souvent découvrir dans les journaux ou sur Internet, quel a été le rôle effectif de la France ? « Le Gabon n’est pas une colonie ! », s’exclame Michel Ongoundou, visiblement énervé de l’insistance médiatique à évoquer la présence française au Gabon, et « la supposée intervention de la France ne change rien à l’état d’esprit de M. Mba Obame ».
Pour Thomas Ibinga, porte-parole de Pierre Mamboundou, les choses sont plus concrètes : « la neutralité de façade de l’Etat français a cessé lorsque Robert Bourgi, proche du Président français Nicolas Sarkozy, est intervenu dans la presse pour déclarer son soutien à Ali Bongo ». La France a félicité Bongo fils quelques jours après le vote, alors que, un mois plus tard, les contestations pour fraude sont toujours examinées par la Cour constitutionnelle. « Si la France avait assumé une véritable neutralité, elle aurait défendu l’application des règles démocratiques et déclaré que le scrutin ne s’est pas déroulé correctement ! », dénonce le porte-parole de Mamboundou.
Selon Michel Ongoundou, l’insistance sur le rôle supposé de la France « ne fait que mener à la francophobie, comme on l’a vu en Côte d’Ivoire ou au Togo ». Ce n’est pourtant pas le but de Pierre Mamboundou, explique Ibinga : « Nous avons clairement dit à l’ambassadeur de France que la présence d’une base militaire française à Libreville ne nous posait pas problème. Cela participe même à la sécurité du pays, si l’armée reste en marge des affaires internes ». La France avait prévu, dans un « livre blanc de la Défense » publié en 2008, de ne maintenir qu’une base militaire sur la côte atlantique d’Afrique. Mais il a été finalement décidé de conserver la base de Dakar, au Sénégal, comme celle de Libreville.
Pour une médiation internationale ? Oui, mais sans la France
L’ingérence française est dénoncée par les partisans de Pierre Mamboundou, car supposément en faveur du candidat Ali Bongo. Mais la perspective d’une aide étrangère pour la sortie de crise n’est pas forcément exclue. Thomas Ibinga et Michel Ongoundou sont d’accord, quand ce dernier déclare que « la communauté internationale devrait réagir au Gabon, aussi vite qu’elle l’a fait en Guinée ». Au secrétariat d’Etat à la Coopération, Guyonne de Montjou précise que la France serait en théorie disposée à intervenir, si jamais les Gabonais le demandaient, « même si les crises guinéenne et gabonaise ne sont pas de la même intensité ». Mais de l’avis de Michel Ongoundou, « la duplicité avérée de la France ne lui permet pas d’apparaître comme un acteur crédible ».
Pierre Mamboundou s’est par ailleurs adressé, lors des émeutes de Port-Gentil, aux institutions internationales. Mais, révolté, Thomas Ibinga explique qu’on a alors répondu au candidat que pour qu’une intervention internationale soit possible, « il fallait que Libreville brûle aussi, sinon les troubles n’étaient pas suffisamment importants ». Et le porte-parole de s’interroger sur la tragique absurdité de la situation : « Combien faut-il de morts pour considérer qu’une situation est grave ? ».