Le pouvoir tunisien a entamé, depuis la confirmation de l’élection du Président Zine el-Abidine Ben Ali, une vague de répression à l’égard de l’opposition. Ces derniers jours, les journalistes et activistes Taoufik Ben Brik et Zouhair Makhlouf ont été arrêtés suite à de probables mises en scène, Slim Boukhdhir a été passé à tabac, et Moudi Zouabi a subi des tentatives d’effraction à son domicile. Les réactions sont vives, face à cette dérive, et la gauche française critique le Président Nicolas Sarkozy pour son silence.
La brosse à reluire
Fustigeant cette « minorité infime de Tunisiens qui dénigrent leur pays en s’appuyant sur des parties étrangères », le Président Ben Ali ne se refuse toutefois pas toujours à remplir les pages de journaux français complaisants. Quelques jours avant l’élection présidentielle de dimanche, Afrique Asie Magazine a par exemple opportunément publié, en 43 000 exemplaires, 106 pages de flagornerie envers le pouvoir tunisien. Directement sur la ligne officielle, le publi-reportage n’a pas manqué de soulever les critiques. Comme celle de Pierre Puchot, qui détaille longuement sur son blog le contenu du numéro, et y voit « de quoi devancer haut la main Jeune Afrique et Afrique magazine qui propose pourtant ce mois-ci, outre un « entretien exclusif » avec Ben Ali, un dossier de 15 pages sur « ce pays jeune et complexe » ». |
La messe est dite, Zine el-Abidine Ben Ali a été réélu triomphalement à la tête de l’Etat tunisien. Les reporters étrangers sont repartis. Il est à présent temps de réprimer les opposants qui ont pu critiquer le pouvoir tunisien. Ben Ali avait ouvertement menacé ceux qui émettraient « des accusations ou des doutes concernant l’intégrité de l’opération électorale, sans fournir de preuves concrètes ». Les journalistes et activistes Taoufik Ben Brik, Slim Boukhdhir, Mouldi Zouabi et Zouhair Makhlouf sont les premiers à en faire les frais.
Une arrestation mise en scène
Le journaliste Taoufik Ben Brik a été incarcéré jeudi, après avoir répondu le matin à une convocation au commissariat. Il est depuis ce vendredi sous mandat de dépôt pour « agression et atteinte aux bonnes mœurs », suite à la plainte d’une femme l’accusant d’être sorti de ses gonds lors d’un accrochage routier, le 22 octobre. Il a été entendu jeudi par le procureur, sans avoir le droit d’être assisté par un avocat. Désormais emprisonné à Mornaguia, dans la banlieue de Tunis, il attend un procès pour lequel il risque jusqu’à 18 mois de prison ferme.
Taoufik Ben Brik a donné le 23 octobre sa version des faits à Rue89. Allant chercher sa fille à l’école, il monte en voiture, et est immédiatement embouti par une Renault 19 verte. Il ne semble y avoir aucun dégât mais la conductrice s’énerve et l’attaque. « J’ai compris que c’était [un piège de] la police, alors j’ai commencé à crier […] parce que j’avais la trouille », explique-t-il. Des ouvriers d’un chantier voisin s’interposent et lui permettent d’échapper à la femme, qui est allée jusqu’à lui déchirer sa chemise. Elle se jette alors sur le capot en affirmant qu’il faut aller au commissariat régler l’affaire. « Elle voulait que je la tabasse », dit Ben Brik Taoufik. Ce dernier ne veut en aucun cas la suivre, pour ne pas subir le sort de son frère, arrêté dans les mêmes conditions en 2004 et emprisonné ensuite pendant un an. Il sera convoqué quelques jours plus tard. Ce type de mise en scène a déjà été dénoncé à plusieurs reprises par les associations de défense des droits humains.
Egalement membre fondateur du Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT), ligue correspondante de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), Taoufik Ben Brik s’investit depuis plusieurs années contre le régime tunisien. Il a collaboré avec plusieurs médias étrangers, dont Mediapart, Rue89, Courrier international et [Nouvelobs.com]. Sa santé est motif d’inquiétude pour ses proches, car le journaliste est atteint du syndrome de Cushing, qui le prive de toute immunité. Les conditions sanitaires déplorables des prisons tunisiennes pourraient lui être fatales.
Les opposants harcelés
Mercredi, le journaliste Slim Boukhdhir a quant à lui été enlevé devant son domicile de Tunis. Par ailleurs membre fondateur de l’association de défense des droits humains Liberté et équité, il a été forcé par plusieurs hommes en civil à monter, yeux bandés, dans une voiture. Durant le trajet, il a été violemment battu puis laissé dans les hauteurs de la ville, couvert d’hématomes et le nez cassé, dépouillé de ses vêtements, de son portefeuille et de son téléphone portable. Deux heures plus tôt, il dénonçait au micro de la BBC les difficultés à exercer le métier de journaliste indépendant en Tunisie.
C’est également mercredi que des inconnus ont tenté à trois reprises de forcer l’entrée du domicile de Moudi Zouabi, correspondant du journal panarabique Al Quds Al Arabi, basé à Londre, et du site de la chaîne de télévision satellitaire Al-Arabiya, installée à Dubaï. Prévenue, la police n’a rien constaté de troublant. Moudi Zouabi affirme également être suivi de très près par des policiers depuis plusieurs jours.
Membre de Liberté et équité ainsi que de la direction du Parti démocrate progressiste (PDP), Zouhair Makhlouf est emprisonné depuis le 21 octobre à Mornaguia. Il comparaîtra mardi au tribunal, pour une question de droit à l’image dans un reportage.
Le silence de la France critiqué
Les réactions à cette série d’arrestations sont nombreuses. Reporters sans frontières (RSF) a appelé jeudi « la communauté internationale à réagir face à ces agissements dignes d’un régime mafieux ». La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) a également dénoncé la situation, ainsi que l’Institut international de presse (IPI).
Parmi les partis politiques français, les Verts se sont étonnés jeudi du « silence assourdissant » des ministres français, alors qu’ils avaient été très prompts à commenter l’arrestation du cinéaste Roman Polanski en Suisse. « Malgré la condamnation de certains de ses acteurs d’hier [au procès de l’Angolagate, nldr], la Françafrique continue d’exister aujourd’hui, comme elle existait sous Chirac ou Pasqua », regrette le communiqué.
La secrétaire nationale du Parti communiste français (PCF), Marie-Georges Buffet, a quant à elle déclaré regretter « vivement que les plus hautes autorités françaises fassent le choix de féliciter un chef d’Etat « élu » par la manipulation et par la peur dans un contexte où la liberté d’expression et d’association est étouffée ».
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Crédit photo : Sébastien Durand
Dessins issus du blog Débat Tunisie