Première étude sur le marché de l’emploi au Cameroun


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Le Cameroun vient de publier pour sa première enquête nationale sur l’emploi et le secteur informel. Le taux de chômage atteindrait 4,4% au Cameroun et 70% des travailleurs gagneraient moins que le salaire minimum mensuel qui s’élève à 23 500 Fcfa (40 euros). Selon ce rapport, les jeunes seraient les plus touchés par le problème de l’emploi. Interview de Joseph Tedou, directeur général de l’Institut de la statistique au Cameroun.

Par Louise Simondet

L’enquête de l’Institut de la statistique du Cameroun montre une certaine réalité du marché de l’emploi au Cameroun. Les opérations de collecte et de terrain pour réaliser cette étude se sont déroulées du 23 mai au 10 juillet 2005. Il en ressort que le taux de chômage atteindrait 4,4% de la population. Mais les critères de quantification restent discutables…

Afrik.com : Quel était l’objectif de cette enquête ?

Joseph Tedou : Cette enquête s’inscrit dans le cadre du renforcement du système d’informations statistiques. Sa réalisation au niveau national vise à fournir aux utilisateurs une batterie d’indicateurs sur le marché du travail, les conditions, les revenus d’activité, le secteur informel et sa contribution à l’économie, en termes d’emploi et de valeurs ajoutée.
Les résultats obtenus vont aider le gouvernement à affiner ses options stratégiques en matière d’emploi et leurs implications sur la réduction de la pauvreté. Ils permettront aussi de poser les bases du suivi et de l’évaluation des programmes et politiques arrêtés dans ce domaine, en collaboration avec les partenaires au développement.

Afrik.com : Dans un pays où l’économie est largement dominée par l’informel, la notion occidentale de chômage est-elle adaptée à la réalité camerounaise ?

Joseph Tedou : Cette définition ne convient pas à l’économie du pays. Elle est insuffisante. Les indicateurs pris en compte pour obtenir le chiffre du chômage dans cette enquête sont ceux du Bureau international du travail (BIT). Mais la définition donnée par le BIT n’est pas pertinente, car elle ne renvoie pas à la qualité de l’emploi. Un chômeur BIT est une personne qui n’a pas travaillé (ne serais-ce qu’une heure) lors de la semaine précédant l’enquête et ayant recherché un emploi au cours du mois précédant l’enquête. Pour un Camerounais ordinaire qui connaît bien son milieu, le chômage ne peut pas toucher que 4,4% de la population active. Pour avoir des chiffres plus objectifs, il aurait fallu prendre en compte le chômage, le sous-emploi et le chômage déguisé. Car si on le prend au sens élargi (chômeur BIT+ chômeurs découragés) [[<1>Personnes n’ayant pas travaillées (ne serait-ce qu’une heure) lors de la semaine précédent l’enquête, n’ayant pas recherché un emploi au cours du mois précédent l’enquête mais étant disponible pour travailler si on leur en offrait un (cf Institut nationale de la statistique du Cameroun)]] le taux de chômage s’élèverait à 6,2% soit un écart de 1,8 point par rapport au taux de chômage affiché.

Afrik.com : Quelles sont les principales causes du chômage au Cameroun ?

Joseph Tedou : Au Cameroun, le chômage est dû au gaspillage des ressources humaines que nous n’arrivons pas à mettre en valeur, ainsi qu’au manque à gagner. Le facteur de la pauvreté joue aussi un rôle important pour ce qui est du chômage. Ce phénomène économique reste principalement urbain (10 ,7%). Yaoundé et Douala affichent les taux les plus élevés, avec respectivement 14,7% et 12,5%. Cette situation économique exclue de la consommation une partie de la population.

Afrik.com : Quel est le principal problème du marché du travail ?

Joseph Tedou : Le principal problème du marché du travail au Cameroun n’est pas tant le chômage, que le sous-emploi (c’est-à-dire qui font moins de 35 heures de travail par semaine), dont le taux pour l’année 2005 est de 75,8%. 69,3% de travailleurs gagnent moins que le salaire minimum légal du pays qui est de 23 500 Fcfa (40 euro), un salaire de misère insuffisant pour vivre et subvenir à leurs besoins… Il faut noter que 4 personnes actives sur 3 sont en situation de sous-emploi.

Afrik.com : Quelle est la partie de la population la plus touchée par le chômage ?

Joseph Tedou : La situation est plus alarmante chez les jeunes qui sont de plus en plus nombreux à arriver sur le marché du travail. Aujourd’hui, les jeunes de moins de 17 ans représentent la moitié de la population. Le problème est que l’offre ne suit pas.
Les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur sont particulièrement touchés par ce phénomène. Dans cet environnement économique, le diplôme ne facilite plus nécessairement l’insertion professionnelle, puisque le taux de chômage augmente avec le niveau d’instruction.

Afrik.com : Quel problème se pose pour ces jeunes ?

Joseph Tedou : Il y a un problème d’adéquation entre l’offre de travail et les profils des jeunes. L’emploi public continue de symboliser en quelque sorte l’emploi décent, mais les jeunes en sont exclus à cause de la mise en œuvre, depuis la fin des années 80, de plusieurs programmes de stabilisation des finances publiques et d’ajustements structurels. L’emploi privé formel, qui aurait pu constituer une alternative, demeure encore bloqué. Ces jeunes gens, lancés sur le marché du travail, cherchent un moment… Et lorsqu’ils sont désespérés de ne rien trouver, ils se tournent vers le secteur informel [[<2>Secteur de travail non déclaré et donc en principe à faible revenu (cf Institut national de la statistique au Cameroun)]] qui est le seul à fournir des opportunités d’emplois, certes peu décentes, mais qui assure la survie. Cette conjoncture est due à la crise économique qui a touché le Cameroun dans les années 1990 et dont le pays ne s’est toujours pas remis.

Afrik.com : En 2001, le chiffre du chômage était de 7,2%. L’étude que vous avez réalisé en 2005 montre une baisse significative. Quels en sont les explications ?

Joseph Tedou : Le taux de chômage a, en effet, subi une baisse conséquente entre 2001 et 2005. Il est passé de 7,2% en 2001 à 4,4% en 2005. Cette chute s’explique par l’explosion du secteur informel et par la précarité de l’emploi. Selon notre enquête, près de 90% des travailleurs au Cameroun exercent dans le secteur informel. Les principales caractéristiques de ce secteur sont les conditions de travail et de rémunérations qui sont très précaires. Le secteur informel croit de plus en plus depuis la crise économique et tente ainsi de remédier au problème du chômage.

Afrik.com : Quelles propositions l’Institut nationale des statistiques avance-t-il pour inverser cette tendance du sous-emploi ?

Joseph Tedou : Avec ces résultats, le gouvernement camerounais va se rendre compte que la situation du secteur informel a réglé en partie le problème du chômage. Mais il faudra tout de même trouver des solutions pour que les emplois deviennent durables et de qualité. Pour inverser cette tendance du sous-emploi, il conviendrait de dynamiser le secteur privé avec une baisse de la pression fiscale et de créer les conditions d’une évolution progressive des unités de production du secteur informel vers le secteur privé formel. Il convient également d’améliorer les conditions d’accès aux crédits afin que les opérateurs économiques puissent en bénéficier. Pour lutter contre les phénomènes préoccupants du chômage et du sous-emploi, des politiques stratégiques ont été ou vont être mises en place comme par exemple des programmes d’insertion des jeunes, à l’instar du Front nationale de l’emploi ou encore de l’Observatoire de l’emploi. Il y a aussi un contrat d’endettement et de développement qui est en train de voir le jour en partenariat avec la France. Le problème du marché du travail ne doit pas être pris à la légère et le gouvernement en lisant ce rapport devra tenir compte de ces réalités économiques…

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