Precious, le deuxième film de Lee Daniels, n’est pas seulement poignant. Le destin particulier de cette adolescente afro-américaine obèse est une édifiante leçon d’humanité, notamment pour son approche de la maternité et des violences faites à l’enfance. En course pour les Oscars, il sort ce mercredi en France.
De précieux, elle n’a que son nom et surtout cette inaltérable confiance en la vie. Claireece « Precious » Jones, l’héroïne qui donne son nom au film du réalisateur américain Lee Daniels, est une jeune fille obèse de 16 ans sexuellement abusée par ses parents et maltraitée par sa mère. A Harlem où elle vit, ses seules joies sont issues de son imagination. Enceinte pour la seconde fois des œuvres de son géniteur, elle est renvoyée de son établissement scolaire. Mais la proviseure, influencée par ses bons résultats en maths (vive les maths !) l’oriente vers une école alternative où elle pourra enfin apprendre à lire et écrire. Un nouveau chapitre de sa vie s’ouvre ainsi. Au cinéma, même si en France comme au Etats-Unis le film jouit d’une distribution limitée, Daniels démocratise Push, le premier roman de la poétesse afro-américaine Sapphire qui ne lui a cédé les droits de son ouvrage qu’après avoir vu son précédent long métrage Shadowboxer. Le personnage de Precious est inspiré des personnes qu’elle a rencontrées lorsqu’elle donnait des cours d’alphabétisation à Harlem.
A l’écran une souffrance évidente, mais étrangement insidieuse. Elle se transmet par surprise au spectateur même averti. C’est la qualité première de Precious et inlassablement, le film interroge : doit-on tout faire subir à ses enfants ? Dans l’hebdomadaire français L’Express paru récemment (le 25 février 2010), l’anthropologue française Françoise Héritier soutient que « la maternité se construit affectivement ». La chercheuse n’aurait pas pu rêver d’une meilleure illustration : Mary, la mère de Precious, elle-même maman de deux enfants sont deux visions de la maternité.
Lee Daniels a dédié son film « à toutes les « Precious » du monde », il l’aurait pu y a jouter à toutes les mères et futures mères du monde. Le destin de Precious sonne comme une mise en garde, un rappel à l’ordre mille fois répété qui réaffirme que les besoins d’une progéniture doivent toujours supplanter ceux de leurs parents ou de leurs géniteurs. Surtout quand ils relèvent de l’aspiration de tout être humain à être aimé.
Martyr d’une adolescence
Le succès d’une œuvre cinématographique relève de l’alchimie et elle est patente dans Precious parce que Lee Daniels, également producteur de cette fiction, a su trouver et utiliser à bon escient les bons ingrédients. D’abord, un casting où l’on découvre Gabourey Sidibe qui fait ses débuts au cinéma. Aujourd’hui plusieurs fois nominée, celle, qui incarne avec une sincérité inouïe une adolescente meurtrie, moche et malade s’est rendue par hasard au casting « sauvage » qu’avait organisé Daniels pour trouver sa Precious. Elle est née d’un père sénégalais et d’une mère américaine, Alice Tan Ridley, qui chante encore dans le métro new-yorkais et refuse l’aide de sa célébrité de fille. Ironie du sort, la musicienne fut pressentie pour jouer la mère de Precious, il y a quelques années pour un projet qui n’a pas abouti. Sa fille découvrira l’œuvre littéraire, parue en 1996, à cette époque.
Il y a également la comédienne Mo’Nique, avec laquelle le cinéaste a travaillé sur son premier film, qui interprète aujourd’hui Mary à l’écran. Abusée sexuellement par son frère, Mo’Nique a construit un personnage éloquent dont l’incarnation a été, selon elle, une thérapie. Après les Golden Globe, la guilde des acteurs américains (SAG) l’a récompensée pour sa performance dans la catégorie meilleur second rôle féminin. Elle y concourt aussi pour les Oscars du 7 mars prochain. Paula Patton, dans la peau de l’enseignante qui va bouleverser la vie de Precious, ainsi que l’assistance sociale interprétée par la chanteuse Mariah Carey, exceptionnellement sans artifices, complète cette poignante galerie de portraits de femmes.
Enfin, Daniels filme lumière à l’appui, du moins son absence notable dans l’appartement où vit Precious avec sa mère, et sans ostentation la détermination d’une jeune fille qui avait tout pour sombrer. Sa mise en scène, bien que souffrant de brefs temps morts, banalise la dimension dramatique de l’intrigue pour mieux la mettre en exergue. A l’instar de l’alternance des images du monde rêvé de Precious et du calvaire de son quotidien. La narration du récit est d’une pudeur ravageuse qui justifie largement sa nomination aux Oscars. Lee Daniels a déjà frayé avec les prestigieuses récompenses du cinéma américain. Il a produit A l’ombre de la haine pour lequel l’actrice américaine Halle Berry a obtenu l’Oscar de la meilleure actrice. Le premier réalisateur afro-américain à être nominé par le Directors’ Guild of America (DGA) a réalisé une fiction qui n’en est pas. Car mettre les choix de vie d’un être humain en perspective ne peut en relever. Quand le Septième Art propose des œuvres du calibre de Precious, il prend alors toute sa dimension. Comme l’ont déjà souligné Tyler Perry, le seul producteur et cinéaste afro-américain qui compte aujourd’hui à Hollywood et la célèbre animatrice noire Oprah winfrey, producteurs exécutifs du long métrage, Precious est une expérience qu’il est impératif de faire partager au plus grand nombre.
Precious de Lee Daniels – Durée : 1h49 mn
Avec Gabourey Sidibe, Mo’Nique, Paula Patton, Mariah Carey