La nouvelle des attaques d’hommes armés non encore identifiés contre des positions de l’armée béninoise dans deux communes du Nord du pays, frontalières du Burkina Faso, continue de défrayer la chronique. Et pour cause ! C’est la première fois que l’armée béninoise est prise pour cible par des éléments armés. Afrik.com a recueilli les réactions de quelques citoyens béninois sur ce drame.
Mardi 30 novembre et mercredi 1er décembre 2021. L’armée béninoise a essuyé deux attaques meurtrières dans, la partie septentrionale du pays. Des individus armés se sont attaqués, coup sur coup, aux positions des forces de défense béninoises dans le village de Mékrou Yinyin (commune de Banikoara, département de l’Alibori), le 30 décembre, et dans la localité de Porga (commune de Matéri, département de l’Atacora), dans la nuit du mercredi 1er au jeudi 2 décembre. Le bilan fait état de deux morts et quelques blessés dans les rangs de l’armée béninoise et de deux morts également du côté des assaillants.
Depuis lors, des réactions ne cessent de fuser de toutes parts. D’abord, par un communiqué, l’état-major général de l’armée a tenté de « rassurer la population béninoise qu’il met tout en œuvre pour assurer la défense du territoire national ainsi que la sécurité des personnes et des biens » et invite, par conséquent « chaque citoyen à vaquer normalement à ses activités ».
À la suite de l’état-major général, le ministre béninois de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Dr Alassane Seidou, s’est également prononcé sur la question, sans oublier l’ambassade des États-Unis qui offre son soutien au « gouvernement du Bénin dans ses efforts de promotion de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, notamment à travers une assistance aux Forces armées béninoises dans le but de mieux sécuriser les frontières du pays ».
Des réactions ont également été enregistrées dans le rang des organisations de la Société civile, notamment de la part du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (WANEP-Bénin, en anglais), et de la classe politique. C’est le cas du parti d’opposition « Les Démocrates » qui, à travers son président, Éric Houndété, a invité toute la nation à faire front contre l’ennemi commun. C’est également le cas de Candide Azannaï de la Coordination nationale de la résistance nationale qui, après s’être incliné devant la mémoire de victimes côté béninois, a souhaité « des enquêtes judiciaires sérieuses » pour mieux comprendre ce qui s’est passé.
Des citoyens réagissent
Mais au-delà de ces réactions officielles, Afrik.com s’est rapproché de quelques citoyens béninois qui ont bien voulu se prononcer sur ce sujet de préoccupation nationale. « Ces attaques suscitent en moi à la fois un sentiment de tristesse et de fierté. La tristesse parce que le Bénin n’était pas habitué à ces genres d’attentats. La fierté parce que selon les discours officiels, les djihadistes s’apprêtaient à attaquer l’armée béninoise aux frontières du Bénin avec le Burkina Faso quand ils ont été repérés et ont ouvert le feu. Cela suppose que l’armée béninoise est aux aguets et le sera davantage, à compter de cette expérience difficile », nous a confié Wilfried Gnanvi, journaliste et cadre de l’administration publique béninoise.
De la consternation mâtinée d’interrogations ! Voilà le premier sentiment qui anime Chabi Gani Tamou Barthélémy, directeur d’un collège d’enseignement général (CEG) dans la commune de Bembèrèkè, dans le Nord-Bénin : « Comme tout citoyen, je suis surpris et consterné par ce triste événement. C’est vrai qu’il y a eu les attaques de 2019 (l’enlèvement de deux touristes français et de leur guide béninois, ndlr). Mais cela s’estompait déjà dans la mémoire des Béninois. Avec les attaques-ci, la psychose risque de s’installer. Ce qui pouvait être considéré comme un cas isolé en 2019 ne peut plus l’être aujourd’hui. Les voix officielles essaient de nous rassurer. La situation semble être sous contrôle. Mais on se demande si on peut donner foi aux messages rassurants des autorités. Elles sont dans leur rôle. La confiance et la sérénité ne peuvent revenir que progressivement, lorsqu’on aura constaté sur le long terme l’efficacité des mesures prises pour endiguer le phénomène », laisse-t-il entendre.
Aubin Hounssokou, responsable financier dans une entreprise, pour sa part, ne se sent pas seulement triste. Il se dit également déçu. Pour lui, le gouvernement doit davantage équiper les forces de défense nationale. « Mon pays estime ne pas disposer d’assez de moyens pour équiper suffisamment notre armée ; sans l’appui des partenaires techniques et financiers (PTF), la situation pourrait être plus catastrophique. En face, il est aisé de constater que les infrastructures (marchés, routes, terrains de football, etc.) certes nécessaires reçoivent plus d’attention de la part des gouvernants. Qu’adviendra-t-il de ces belles réalisations si la sécurité ne bénéficie pas de la même attention des gouvernants ? », s’interroge-t-il.
Tiloux Soundja, chercheur dans un institut de recherche et coordonnateur d’un projet sur la sécurité dans les régions frontalières du Bénin, connaît bien les localités touchées par les attaques. C’est donc un véritable plaidoyer qu’il fait pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des hommes en uniformes qui rencontrent de sérieuses difficultés dans ces zones. « Je pense réellement que c’est très triste que des éléments des forces armées béninoises aient ainsi perdu la vie, sachant que ces militaires/et policiers qui sont positionnés dans ces zones reculées vivent dans des situations précaires (accès difficile à la nourriture, à l’eau et à l’énergie électrique, zones totalement enclavées, rejet des populations qu’ils sont appelés à protéger, etc.).
Malgré ces difficultés réelles, ces agents des forces de défense et de sécurité s’évertuent à accomplir leurs devoirs. « Ces agents souffrent énormément, mais font de leur mieux pour remplir la mission qui leur est assignée. Apprendre que certains parmi eux ont ainsi perdu la vie m’attriste profondément », soupire Tiloux Soundja. Pour ce chercheur, c’est le moment ou jamais pour les décideurs politiques d’équiper davantage les unités des forces de défense et de sécurité en place dans les régions frontalières, en l’occurrence. « Je pense que ceci est un signal fort pour que l’État béninois puisse mieux équiper les forces de défense et de sécurité en général, et les agents unités positionnées dans les zones à risque, en particulier. Équipements sous toutes formes : logistique, ravitaillement, armes, dispositif de communication, moyens de transport, et surtout le nombre de personnes affectées. Car le nombre est vraiment insuffisant à des endroits où le risque est pourtant réel ».
L’espoir est permis
De ces différents propos recueillis, il ressort clairement que si les moyens adéquats sont mis à la disposition des Forces armées béninoises, elles pourront efficacement protéger le territoire national contre la menace djihadiste qui, elle, est réelle. Les Béninois ont encore confiance en l’efficacité de leur armée. « La menace est certaine et elle date de longtemps. Dans la partie septentrionale du pays, dans les zones proches des frontières burkinabè où les djihadistes opèrent généralement, certains courants d’idées de nature djihadiste avaient commencé à être développés par certains imams atypiques. Donc les bruits de présence de présumés terroristes ont commencé à courir au Bénin depuis un certain temps déjà. De plus, il y a eu entretemps (en mai 2019, avec la mort d’un guide béninois, ndlr), un enlèvement de touristes dans cette partie du Bénin. Tous ces éléments mis ensemble renseignent sur la réalité de la menace.
C’est d’ailleurs pourquoi le Bénin a entraîné ses troupes, les a positionnées dans cette zone, se tenant prêt à d’éventuelles attaques. La menace plane, mais le Bénin s’est préparé », affirme, serein, Wilfried Gnanvi. Dans cette position plutôt optimiste, il est rejoint Chabi Gani Tamou Barthélémy qui estime également que le Bénin ne risque pas de s’installer dans une insécurité chronique du fait des attaques djihadistes comme dans certains pays de la sous-région, et ceci pour plusieurs raisons : « D’abord, les zones possibles de manœuvre des djihadistes sur le territoire béninois me semblent moins étendues, et donc plus maîtrisables ».
« Néanmoins l’efficacité des actions de notre État dépendra de l’efficacité de sa coopération avec les pays de la sous-région qui sont confrontés, avant lui et plus durement, au terrorisme islamiste. Cependant, des initiatives internes ne sont pas à négliger non plus. Je pense surtout à l’attention qui doit être portée sur le règlement des contentieux entre éleveurs et agriculteurs dans le Nord et l’Extrême-nord du pays. Les djihadistes, semble-t-il, recrutent une partie de leurs contingents au sein des populations, surtout les pasteurs peulhs désabusés. La pauvreté, qui est assez élevée dans ces zones sahéliennes, peut constituer aussi un facteur favorable aux attaques épisodiques sur le sol béninois. Mais comme je l’ai dit au début de mon intervention, le risque d’une insécurité chronique est moindre sur notre territoire », poursuit Chabi Gani Tamou Barthélémy.
Et Tiloux Soundja de conclure la discussion en ces termes : « Effectivement, le Bénin vient de subir une attaque, mais je suis certain que des dispositions très sérieuses seront prises pour endiguer la situation. Ayant une idée de ce qui se passe dans les pays voisins, je suis certain que des mesures conséquentes seront prises pour éviter que cela ne s’intensifie au Bénin. Toutefois, je tiens à soulever que les mouvements djihadistes dans nos régions sont souvent motivés par des raisons qui sont plus ou moins personnelles aux concernés. Et je suis convaincu que les forces armées béninoises, en l’occurrence les commandants de postes frontaliers sont assez outillés pour identifier les personnes à risque et discuter avec elles afin de réduire leur niveau d’endoctrinement. Je reste persuadé que la situation au Bénin ne va pas se dégrader comme dans les autres pays ».
Dans la réalité, depuis que les deux attaques ont été perpétrées, l’état-major général de l’armée et le ministre béninois de l’Intérieur ont rassuré les populations sur les mesures qui ont été prises pour renforcer le dispositif de sécurité sur le terrain. Sur place, dans les deux communes touchées par les attaques, des sources confirment un renforcement visible du dispositif sécuritaire. L’armée et la police sont, depuis lors, en patrouille dans ces régions. Mieux, des séances de sensibilisation pour appeler les populations à la vigilance ont été renforcées, depuis vendredi.