Qu’est-ce qui explique la persistance du phénomène du charlatanisme en Afrique ? Dans cette contribution, Félicité Annick Fougbé, essayiste, auteure de Le Treizième Apôtre : Sectes et obscurantisme en Afrique aux éditions l’Harmattan, nous propose une lecture originale de ce phénomène sévissant encore dans plusieurs pays africains.
Dans son édition de la mi-journée du mercredi 23 février dernier, la chaîne d’information BBC a diffusé un reportage sur la problématique de la stérilité en RDC qui n’est autre que la mise en lumière de l’ancrage du charlatanisme dans les mœurs africaines. Le reportage de Lubunga bia Ombé, révèle ce fatalisme qui fait le bonheur des marchands d’illusion en tous genres. Qu’est-ce qui prédispose les populations à subir leur influence et comment opèrent-ils ?
La cause majeure est imputable aux religions traditionnelles africaines avec le recours inévitable aux arts divinatoires pour régler les problèmes. Aujourd’hui les sectes « spécialisées » dans la conjuration des mauvais sorts et la traque des sorciers voient le lot de leurs adeptes grossir du fait de personnes recherchant désespérément la fécondité. Le reportage de la BBC mentionne l’Eglise Réveil en RDC, une église évangélique d’inspiration nord-américaine. A Cela, il faudrait ajouter la quasi-totalité des églises nouvelles et même du Renouveau Charismatique de l’Eglise Catholique. Il est courant d’y entendre des témoignages édifiants de guérisons spectaculaires. Des femmes brandissent fièrement devant l’assemblée ébahie, de beaux nourrissons conçus grâce à des séances de prière ; des nourrissons porteurs de prénoms éloquents : Grâce divine, Cité de grâce, Samson, Samuel…
Dans les coulisses, il n’est pas rare d’entendre un autre son de cloche de la part de victimes malchanceuses qui accusent les gourous et autres guérisseurs d’avoir voulu forcer la chambre des miracles. Des femmes pour la plupart se plaindraient de relations sexuelles qu’on a cherché à leur imposer afin de tester leur degré de fécondité. Il y a le cas de cette dame gourou d’une église dans le sud de la Côte d’Ivoire qui a voulu créer son miracle en se rendant coupable d’un vol de nourrisson. Le but était de faire croire à la guérison par la main de Dieu d’une fidèle après d’intenses séances de prières.
L’influence des charlatans s’appuie également sur le manque de réponse réelle de la pharmacopée moderne face à la pandémie du VIH/SIDA en Afrique. Beaucoup d’africains préfèrent s’appuyer sur la médecine ancestrale quand on sait qu’au début des années 90, feu Nanan Drobo II, un tradi-praticien originaire du Ghana aurait eu la faculté de traiter et de guérir le SIDA. Profitant donc de ce qu’ils ont le vent en poupe, du fait de la grande misère des populations découlant pour l’essentiel de la mal-gouvernance, les charlatans s’en donnent à cœur joie. Certains gourous de sectes parviennent à faire arrêter la prise en charge par le malade du VIH, pour le faire jeûner et prier afin d’obtenir la guérison. Au bout du compte, le malade se retrouve dans un état des plus déplorables lorsque ses parents décident de le reprendre en main pour le reconduire à l’hôpital, lorsqu’il ne meurt pas tout simplement. Les faux guérisseurs accumulent eux-aussi des homicides et autres complications dues aux médications inappropriées. Des femmes souffrant par exemple de tumeur bénigne du sein s’en remettent à ces personnes pour finir à l’hôpital avec une ablation de l’organe.
En outre, l’accès libre aux médias confère à ces charlatans de la légitimité auprès des populations. Car force est de constater que les médias ont oublié leur rôle premier d’informer les populations. Ainsi dans un passé récent, les antennes de la télévision nationale se sont faites le relais d’individus qui prétendent soulager les gens de tous leurs maux. Avec force photos à la clé, on présentait aux téléspectateurs des excréments qui seraient le rejet par l’organisme malade de la mauvaise graisse et des germes autrefois logés à l’intérieur. Tout cela, sur les antennes d’un média d’État, quand on sait que l’illettrisme est en grande proportion et que plus d’un tiers de la population avaleraient ce gros canular. Partout, l’on jette du n’importe quoi à la face du consommateur pauvre. On vous dira la majeure partie du temps qu’il n’existe point d’effets secondaires et qu’une prise unique suffira à épurer l’organisme. Pourtant, l’insuffisance rénale qui pourrait être aggravée par cette médication sauvage est aujourd’hui en nette augmentation. A bord de véhicules de transports en commun assurant la liaison Abidjan entre et les villes de banlieue, des agents commerciaux assurent la propagande de ces produits dangereux qu’ils écoulent tels de petits pains. Leur langage très virulent vis-à-vis de la médecine des blancs, s’appuie sur des cas de mauvaise prescription ou d’effets secondaires. Face notamment à l’image de l’occident qui s’est dégradée sous nos cieux, la pilule est très vite avalée.
Il serait intéressant que les pouvoirs publics s’impliquent davantage afin d’amoindrir les risques encourus par les populations. Car la médecine traditionnelle regorge de tradi-praticiens sérieux comme le démontrent les travaux du Père de La Pradilla aujourd’hui basé au Burkina Faso. L’initiative des autorités ivoiriennes qui ont mis en place au sein du Ministère de la Santé, un organe chargé d’encadrer la collaboration entre les deux pharmacopées est à saluer. Cependant, il faut aller plus loin en instaurant un cadre légal obligeant les individus véreux à répondre de leurs actes, pour éviter de transformer les populations en cobayes : il faut instaurer un État de droit. En outre, les États gagneraient à faciliter la création de cliniques par le secteur privé marchand et non marchand. De même, il faudrait une stratégie plus globale et à plus long terme en faveur de la dynamique entrepreneuriale de création d’entreprises, sources de croissance et d’emplois, relevant ainsi le niveau de vie des populations et améliorant donc leur accès aux soins. Enfin, les campagnes des ONG visant à réduire l’illettrisme de manière drastique doivent aussi avoir le ferme appui des autorités compétentes, parce qu’il est temps que les mentalités changent.
Par Félicité Annick Foungbé