Mouammar Kadhafi a retrouvé, samedi, l’ex-Premier ministre espagnol, Jose Maria Aznar, l’un des premiers chefs d’Etats occidentaux à s’être rendu à Tripoli, en 2003, après la levée des sanctions internatinales contre la Libye. Attiré par le pétrole et les pétrodollars libyens, il n’avait pas tardé à être imité par Schröder, Chirac et Tony Blair.
« Ce qui se joue actuellement dans mon pays, c’est une perestroïka et une glasnost à la libyenne. C’est ce que nos détracteurs ne veulent ni voir ni croire », expliquait mercredi Mohammed Sharafeddine, ancien ministre de l’Information et membre de la délégation qui accompagnait le colonel Kadhafi en France, dans une tribune au quotidien Libération. Il est vrai que peu d’individus, pas même les politologues spécialistes de la question, n’entendent grand-chose à la politique en Libye. En revanche, il en va tout autrement pour le commerce.
Après sa visite en France, Mouammar Kadhafi est arrivé samedi en Espagne, où sa présence n’a pas suscité autant de remous qu’en France. Il a été reçu ce lundi par José Luis Zapatero, le chef du gouvernement espagnol, et par le roi Juan Carlos, au palais du Pardo, avec les honneurs militaires. Il recevra mardi un groupe de chefs d’entreprises espagnols, dont Antoni Brufau, le patron du groupe pétrolier Repsol, qui souhaite consolider sa position en Libye, où il possède 4,5% de ses réserves mondiales. Les entreprises espagnoles du BTP et des infrastructures lorgnent aussi sur Tripoli et son vaste plan de développement d’infrastructures, d’un « montant supérieur à 50 milliards d’euros », selon l’une d’elles.
José Maria Aznar en 2003, Tony Blair, Jacques Chirac, Gerhard Schröder ou William Burns (secrétaire d’État adjoint américain pour le Proche Orient) l’année suivante, les pays occidentaux se sont rués vers la Libye très vite après que le Conseil de sécurité des Nations unies a voté la levée des sanctions internationales contre Tripoli (septembre 2003) et que le colonel Kadhafi a annoncé la fin de son programme d’armes de destruction massive (décembre 2003). Premier objectif : les hydrocarbures. Actuellement, environ 1,7 millions de barils de pétrole sont produits quotidiennement, mais ce chiffre est appelé à grossir, dans un pays au sous-sol encore sous exploré qui recèlerait 40 milliards de barils.
Pétrole : un gâteau à partager
Au début de l’année 2005, une trentaine de pays avaient ainsi répondu au premier appel d’offre international de prospection, de partage et de production émis par la Libye depuis son retour dans le concert des Nations. Il avait été emporté par l’américain Occidental Petrolium Corporation et l’émiratie Al-Liwa, mais en octobre de la même année, 11 pays avaient pu se partager les 44 concessions contenues dans le second appel d’offre (Japon, Indonésie, Chine, Etats-Unis, France, Norvège, Inde, Russie, Grande-Bretagne, Turquie et Italie).
Le 9 décembre dernier, à la veille de la visite de Mouammar Kadhafi en France, les autorités libyennes ont attribué quatre périmètres d’exploration gazière à Shell, Gazprom (Russie), Sonatrach (Algérie) et Polish Oil and Gaz Company (PGNIG, Pologne), lors du premier appel d’offre portant sur l’exploitation de gaz naturel. Pour chacun de ces périmètres, une entreprise française – Gaz de France ou Total – était candidate et n’a pas été retenue.
Terrorisme et immigration
Mais la Libye, ce n’est pas seulement le pétrole. Après qu’il ait disparu de la liste des « Etats voyous », les pays occidentaux n’ont pas tardé à solliciter Tripoli pour son « expertise sur le terrorisme », comme l’explique le chercheur Luis Martinez dans son dernier ouvrage. Pour légitimer la visite de son homologue en France, Nicolas Sarkozy a ainsi rappelé la semaine passée que Paris collabore avec les services secrets libyens depuis plusieurs années sur cette question.
De son côté, l’Union européenne a engagé une coopération sur l’immigration avec le gouvernement libyen, qui a accepté le principe de « centres fermés » sur son sol. En Europe, des associations de défense des droits des étrangers dénoncent régulièrement cette sous-traitance de l’immigration par un pays tiers, ainsi que la manière dont elle est menée. L’Italie, principale destination des réfugiés qui partent de la côte libyenne, a intérêt à voir son ancienne colonie collaborer avec elle. En contrepartie, Tripoli a obtenu en octobre 2004 la levée d’un embargo européen sur les armes, qui courait depuis 1986, condition nécessaire à l’achat d’équipements radar. Un nouveau marché pour l’industrie de l’armement est donc né et la Libye pourrait être le premier pays étranger à acheter des avions Rafale à la France. Les deux pays ont signé la semaine dernière « un mémorandum d’intentions de coopération » pour l’achat de ces avions, d’hélicoptères, de blindés, de navires et de radars.
Mais le principal partenaire économique de la Libye, devant l’Allemagne, la Chine, la Tunisie et la France, c’est l’Italie. Agip, la filiale du groupe ENI, est l’une des sociétés pétrolières les plus actives de l’autre côté de la Méditerranée. Rome prépare d’ailleurs un accord exceptionnel visant à offrir des compensations pour la période coloniale. « Nous avons des dettes envers la Libye, mais aussi un intérêt fondamental à renforcer nos liens avec ce partenaire essentiel », a expliqué dans ce sens le ministre italien des Affaires étrangères, Massimo d’Alema, le 29 octobre dernier, lors d’un colloque sur les déportations de Libyens en 1911 et 1912 dans les îles italiennes de Termiti. Si l’Espagne ne figure pas encore dans le quinté de tête des partenaires économiques libyens, elle entend bien profiter de la visite du Guide pour que cela change.
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