Le tchip aurait ses raisons d’être, surtout dans la communauté noire en générale, et africaine en particulier, où il puise de ses racines. Ce petit bruit de bouche passe partout et connait des adeptes de tous les âges, et de différents niveaux sociaux. Au point d’en énerver beaucoup.
Qui n’a pas tchipé ou qui n’a pas été tchipé au moins une fois ? Ou disons, qui ne connait pas le tchip ? Un petit bruit de la bouche qui peut prendre beaucoup de sens : le tchip. Cette onomatopée produite par « un mouvement de succion des lèvres contre les dents, parallèlement à un mouvement opposé de la langue », est entrée dans la langue courante au point d’en devenir un tic pour certains.
Cette production buccale est typiquement afro, mais connait aujourd’hui des disciples de tous horizons. On le manifeste généralement pour exprimer son mécontentement. Mais aussi, le tchip peut prendre différentes formes, selon son usage. Au cours d’une conversation avec des jeunes d’origines diverses, on s’est vite rendu compte de l’influence du tchip dans leur langage. On tchipe pour exprimer toutes sortes de sentiments. Il ne suffit pas de tendre l’oreille pour avoir la signification de tel ou tel tchip, il faut aussi observer la disposition du corps, mais aussi des mouvements de la bouche.
Une onomatopée comme tant d’autres
A l’origine, le tchip est partagé par la majorité des cultures noires, qu’elles soient africaines, caribéennes ou noires-américaines. Mais aujourd’hui, d’autres communautés non-noires l’ont adopté. On est loin de son sens initial qui exprime la désapprobation, le dégoût.
Le linguiste Philippe Hambye (enseignant à l’université catholique de Louvain) le confirme : « le phénomène est fréquent, voire courant. Le tchip est une onomatopée comme les autres. Certains l’utilisent tout le temps au même titre que « hum hum » ou « waou ». Des emprunts à d’autres langues, il y en a tout le temps. La langue varie de façon continue et se renouvelle, car on y intègre de nouvelles expressions. On s’inspire souvent de ce que l’on a autour de soi, de ce qui se passe dans l’environnement ».
Les langues africaines connues pour composition typiquement orale, ont intégré certaines expressions comme le tchip pour ponctuer certaines phrases. Ainsi, il est parfois difficile d’expliquer certaines expressions comme le tchip, que vous ne retrouverez pas dans votre dictionnaire, mais qui s’emprunte de bouche à oreille.
Mais pourquoi tchipe-t-on ?
Une question a été posée de façon simultanée à une bande de cinq filles de manière à les provoquer : « connaissez-vous le tchip ? Pourquoi tchipe-t-on ? » S’en est suivi un concert de tchip, en réponse. Aucune des filles n’a prononcé un mot jusqu’ici. La plupart tchipent et les autres en rient. Un brouhaha de tchip s’improvise. « En fait, tchiper ça veut dire beaucoup de choses », lance une jeune fille d’à peine 14 ans. Sa copine Cyntia rétorque « on t’a posé une question toi ? tchiiiiiiiiiiiiiiiip ». Alors qu’à côté une autre fille de quatre ans son aîné lui fait signe d’arrêter de parler, en la tchipant à son tour. En un laps de temps, on a assisté à au moins cinq types de tchip différents.
En effet il existe différents types de tchip, ou différentes façons de tchiper. Après quelques minutes de discussion, en se mettant à l’écart, on a constaté que les tchip partaient de part et d’autre, comme si ces jeunes filles ne se rendaient pas compte de leur mode de conversation. Moins de parole, autant de tchip. Une d’entre elles s’approche et lâche : « vous voyez , elles n’arrêtent plus de tchiper depuis. C’est comme ça. Le tchip ça ne s’explique pas ».
Pourtant une étude qui a été faite par certains linguistes et les témoignages des plus anciens, nous confirment qu’il existe réellement différentes sortes de tchip.
Comment tchipe-t-on ?
Contrairement à la démonstration qui nous a été faite par les jeunes filles, le tchip a ses codes bien précis qui suivent une certaine voie hiérarchique. En Afrique, on ne tchipe pas son aîné. Car le tchipe est une marque de détachement, de désapprobation et d’agacement. Or, on ne manifeste pas une quelconque sorte de dégoût à l’égard de ses aînés. On se tchipe entre pairs, ou envers un subordonné, mais jamais envers la haute hiérarchie.
D’autres spécialistes ont descellé le « super-tchip ». Accompagné le plus souvent par un claquement de la langue à la fin, pour signifier que l’affaire est pliée. Inutile de rajouter un mot, ou d’insister. « C’est maïs », comme disent les Ivoiriens. Et le tchip-berceur, celui lancé par le parent soucieux de la bêtise de son enfant. Une sorte de recadrage sans méchanceté, et surtout sans paroles.
Et le plus banal entre eux, c’est le tchip conversationnel. Celui lancé par les filles interrogées. Un tchip placé au milieu d’une conversation sans viser une personne en particulier, est un commentaire désapprobateur. Certaines personnes préfèrent mêmes prononcer le mot « tchip » pour manifester leur désaccord, au lieu de tchiper. On peut aussi noter le tchip de provocation, le tchip de connivence et un tchip pour ne rien dire.
Aujourd’hui, le tchip se décline. Passant du tchip long, méchant, accusateur et méprisant, à un tchip simple et court, qui veut juste dire « arrête un peu », « non » ou « tu dis des bêtises ». Mais la meilleure façon de comprendre un tchip, c’est de l’observer. Car l’expression du visage en dit long sur la volonté affichée par le tchipeur. Et dans ce sens on note même le tchip boudeur, ou le tchip-amoureux, qui peut avoir la signification de « hum si tu savais ».