Le « projet Pegasus » n’en finit pas de créer des remous après ses révélations sur la surveillance massive de personnalités par différents Etats du globe. Grâce au logiciel israélien Pegasus, les services de renseignements de plusieurs pays ont pu intercepter les communications de milliers d’hommes politiques, journalistes et membres de la société civile. Chaque jour, la presse internationale distille de nouvelles informations sur l’ampleur du système et ses discrets clients. Dans les principaux Etats éclaboussés figure en bonne place le Maroc.
Le Maroc, ses paysages à couper le souffle, sa richesse architecturale, sa cuisine succulente… et sa surveillance tous azimuts. Les investigations faites par le consortium Forbidden Stories et plusieurs grands médias, radios, presses et télévisions, viennent troubler l’image idyllique que la communication du royaume s’évertue à présenter au monde.
L’enquête révèle en effet que l’Etat marocain est un des clients et utilisateurs du logiciel espion Pegasus, commercialisé par la société israélienne NSO Group. Ce logiciel permet de sélectionner le numéro de téléphone d’une « cible » pour ensuite pirater son smartphone en utilisant les failles de sécurité non encore détectées – ou non corrigées – de l’appareil. Toutes les marques de téléphones grand public semblent concernées, notamment les iPhone, pourtant réputés pour leur sécurité. Pegasus, c’est le rêve de n’importe quel service de renseignement à portée de clic…
Parmi les personnalités victimes de ce cyber-espionnage, on trouve des journalistes (français, marocains, algériens…), des hommes politiques de tous bords, dont le Président Macron et son ancien Premier ministre Edouard Philippe, mais aussi des membres de la famille royale. Et, ce qui ne manque pas de sel et qui inquiète le Royaume Chérifien, le roi du Maroc Mohammed VI lui-même.
Un Etat dans l’Etat ?
Il semble difficile de croire que ce piratage à grande échelle soit l’œuvre de hackers marocains, tant la société NSO Group est étroitement liée à Israël et aux intérêts stratégiques de l’Etat hébreux. Ce sont les autorités israéliennes qui valident la vente du logiciel Pegasus à certains Etats amis – officiellement pour lutter contre le terrorisme.
De même, on imagine mal le gouvernement du royaume se laisser déborder puis finalement supplanter par des services de renseignements en roue libre. Non, c’est bien l’Etat marocain qui a acheté cet outil d’espionnage, dont le coût est estimé à plusieurs millions de dollars (et jusqu’à plusieurs dizaines de millions par an, selon l’usage que l’on en fait), et qui a donné des instructions pour mettre en place cette surveillance.
Chérifien, fais-moi peur
Comme les « Panama Papers », qui révélaient les pratiques d’évasion fiscale, il y a quelques années, l’enquête internationale « projet Pegasus » jette une lumière crue sur les méthodes de renseignement du Maroc et sur la réalité d’un système qui opérait jusqu’à maintenant dans l’ombre.
Autant de personnalités mises à l’index, de manière systématique – pour ne pas dire industrielle – rappelle les heures sombres de la dynastie Alaouite, quand les opposants étaient étroitement surveillés. Avant, pour certains, de disparaître sans laisser de traces. Évanouis, volatilisés, dissous.
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Mohammed VI, ce roi moderne, est-il lentement passé du côté obscur après vingt années d’un règne sans partage ? L’exercice solitaire du pouvoir a-t-il changé l’homme ? Ou bien le souverain s’est-il laissé tordre le bras par les caciques du royaume, ou s’est-il laissé déborder sans s’en apercevoir, à mesure que sa femme Lalla Salma s’éloignait de lui ?
Le recours à un tel arsenal pour contrôler ceux qui pensent, ceux qui parlent, ceux qui écrivent, est-il un aveu de faiblesse d’un Etat craintif ? Ou bien la marque d’un délire paranoïaque institutionnalisé ?
Et quelle contrepartie Israël a-t-il exigé du royaume chérifien pour autoriser la vente de Pegasus ? À quel chantage le Maroc a-t-il cédé pour obtenir cet outil high-tech ? Est-ce une raison du moindre soutien actuel du Maroc à la Palestine ?
« Fake news »
Pour l’instant, l’Etat marocain se contente de rejeter les allégations et de nier toute implication dans cette surveillance de masse, parlant même de « fausses informations ». Une communication a minima, très prudente (en attendant de futures révélations ?), plutôt classique en diplomatie.
Reste que le royaume du Maroc et son souverain devront trouver un bon avocat pour déminer ce dossier et plaider leur cause. Surtout depuis qu’Éric Dupond-Moretti – avocat de la famille royale, devenu ministre français de la Justice – a été mis en examen pour « prise illégale d’intérêt » dans son pays.
Dans la mythologie grecque, Pégase, le cheval blanc ailé, était chargé par Zeus d’apporter les éclairs et le tonnerre sur l’Olympe. Est-ce l’annonce d’un avis de tempête sur la monarchie marocaine ?