La progression faramineuse du nombre de passagers transportés en Afrique permet d’anticiper une progression constante de ce marché dans les années à venir. Les pays africains pourront-ils répondre à ces nouveaux besoins ? Oui, en prenant conscience des entraves qui freinent l’essor d’une aviation africaine, comme la volonté des pays de développer des solutions nationales. La libéralisation du ciel africain est souhaitable car les Etats africains, à quelques notables exceptions près, se sont illustrés par une inefficacité totale en matière de gestion d’une compagnie aérienne…
Même si l’Afrique abrite 15% de la population mondiale, elle ne représente qu’une proportion relativement faible du trafic aérien, soit moins de 3% du trafic mondial. Bien que petit, le marché de l’aviation africaine se développe rapidement. Le nombre de passagers aériens internationaux a connu une croissance constante d’année en année depuis 2004, sauf en 2011 où le trafic a plongé en raison de l’instabilité politique dans certaines régions d’Afrique du Nord.
De moins de 40 millions de passagers transportés en 2004 par les compagnies aériennes africaines, le nombre de passagers est passé à 73,8 millions en 2013. Le nombre de passagers intérieurs dans la région a également augmenté pour atteindre le chiffre significatif de 28 millions en 2013. Cette croissance devrait se poursuivre. A ce titre, les prévisions à long terme de Boeing pour la période de 2014 à 2033 indiquent que, entraîné par une conjoncture économique favorable, l’augmentation des liens commerciaux, et une classe moyenne de plus en plus consistante, le trafic vers et à partir de l’Afrique devrait croître d’environ 6% par an dans les deux prochaines décennies. Selon le Groupe d’action du transport aérien, en 2014, l’industrie de l’aviation en Afrique a créé 6,8 millions d’emplois et a contribué avec 72,5 milliards USD au PIB de l’Afrique. Cela représente 3% du PIB et 11% des emplois créés par l’industrie du transport aérien dans le monde entier.
Ces développements encourageants ne doivent cependant pas occulter les principaux obstacles encore rencontrés par l’industrie de l’aviation sur le continent. L’Afrique reste l’une des régions les plus dangereuses pour le trafic aérien ; elle est en retard en matière de libéralisation ; ses infrastructures aéroportuaires nécessitent des investissements massifs ; et la formation de personnel qualifié n’est pas correctement planifiée.
La consolidation des compagnies aériennes africaines est un autre défi. Au cours des années 1970 et 1980 il y avait environ 36 compagnies aériennes africaines dont 26 assuraient des vol intercontinentaux. Aujourd’hui, il en reste autour de 12 avec des opérations intercontinentales. Au cours des deux dernières décennies, un total de 37 nouvelles compagnies aériennes ont été lancées en Afrique, mais la quasi-totalité d’entre elles a échoué. La plupart des pays continuent de faire cavalier seul et sont guidés par des logiques autres qu’économiques. Nous continuons à voir des tentatives de créer ou de maintenir des transporteurs nationaux, à contre-courant des tendances internationales. Il est vrai que les transporteurs du Moyen-Orient et la bonne performance de la compagnie Ethiopian Airlines contredisent les détracteurs des compagnies aériennes appartenant à l’Etat, mais ce sont des exceptions qui doivent être placées dans leur contexte. Par ailleurs, n’oublions pas que 80% du trafic long-courrier du continent est dominé aujourd’hui par les transporteurs non-africains.
Le coût moyen d’un vol en Afrique est plus élevé que partout ailleurs dans le monde. Des frais élevés d’atterrissage, des taxes exorbitantes prélevées sur les billets d’avion, ainsi que des prix du carburant d’aviation au-dessus de la moyenne, près de 30% plus élevé qu’en Europe, ne facilitent pas la compétitivité des compagnies africaines. La connectivité intra est panafricaine est si médiocre que n’importe quel passager se trouve obligé de parcourir des milliers de miles en dehors du continent juste pour rejoindre une autre destination africaine. Un quart des routes intra-africaines est effectivement desservi par une seule compagnie aérienne. Bien que les Etats africains aient signé un accord pour une libéralisation complète du marché régional à Yamoussoukro en 1999, les restrictions et le protectionnisme perdurent.
Dès lors, l’Afrique doit converger vers un cadre réglementaire plus favorable et une libéralisation afin de développer une industrie aérienne rentable et compétitive au niveau mondial. Une industrie véritablement compétitive devrait innover et privilégier les intérêts du continent plus que les petits intérêts nationaux. Une politique d’ouverture permettra une baisse du coût des billets le coût. Selon l’IATA, la déréglementation et la libéralisation des services aériens africains dans 12 marchés clés permettrait de créer 155.000 emplois et générer 1,3 milliard de dollars.
Les faits montrent que les accords Open Sky ont bien fonctionné dans d’autres régions. Par exemple, en Europe, il a permis d’augmenter de façon exponentielle le nombre de lignes et a permis une baisse de 34% des prix des billets. En effet, là où les pays africains ont libéralisé leurs marchés aériens, que ce soit en Afrique ou avec le reste du monde, ils ont obtenu des retombées positives. Par exemple, l’accord d’un marché aérien plus libre entre l’Afrique du Sud et le Kenya, au début des années 2000, a conduit à une hausse de 69% du trafic de passagers. L’accord du « Open Sky» en 2006 entre le Maroc et l’Union Européenne a permis une augmentation de 160% du trafic avec la multiplication par quatre du nombre de lignes entre les deux zones. La simple autorisation d’un service aérien low cost entre l’Afrique du Sud et la Zambie (Johannesburg-Lusaka) a entraîné une réduction de 38% des tarifs et une augmentation de 38% du trafic de passagers. Le continent doit créer plus d’espace pour les vols low cost. En 2013 la pénétration des compagnies low-cost en Afrique était la plus faible dans le monde, ce qui représente moins de 10% du total du trafic sur le continent.
Dans un monde interconnecté, voyager en prenant l’avion n’est plus un luxe, c’est devenu une nécessité pour un continent prospère.
Carlos Lopez, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique.